ALÈS ITINÉRANCES Chalap, village communautaire et utopie cévenole ?
Le réalisateur Antoine Page présentera ce soir au public gardois son dernier documentaire "Chalap, une utopie cévenole". A travers plusieurs témoignages, le film retrace l'histoire parfois contrastée de ces citadins des années 70 qui ont tout quitté pour rejoindre la vie communautaire, dans un hameau du village de Sénéchas. Rencontre.
Objectif Gard : Comment est né ce projet ?
Antoine Page : Mon père avait acheté une maison à Chalap. Il l'avait eue pour une bouchée de pain et l'avait rénovée. C'était une résidence secondaire donc je n'y ai jamais vécu. Toutefois, je connaissais déjà les protagonistes et je trouvais intéressant de prendre un microcosme pour parler de la société en général.
Jeune, vous aimiez vous rendre à Chalap ?
Non. C'était pendant ma période adolescente où je voulais plutôt me séparer de mes parents. On se lavait à la bassine, ça ne me plaisait pas. Par la suite, j'ai idéalisé cette période et je n'ai compris que longtemps après que mes clichés n'étaient pas fondés.
Fêtes, travaux solidaires, liberté sexuelle, nudité, comment ce mode de vie est-il mort ?
Il faut se remettre dans le contexte des années 70. A l'époque, on assiste à une mouvance de retour à la terre, sans volonté particulière de vivre ensemble. Ils ne sont pas prêts à ça. Rapidement les problèmes financiers arrivent. Ils ont une caisse commune mais elle est toujours vide. Certains veulent donner des ordres, et d'autres ont des envies d'entreprendre. Sans compter les jalousies à l'intérieur des couples libres. Doucement, ils vont monter leurs propres projets. Ca ne va finalement durer que 3 ans.
Comment revit-on normalement après une telle expérience ?
Aucun d'entre eux n'a vraiment renoncé. Ils sont tous restés sur place. L'un a monté sa scierie, l'autre sa bergerie, comme ils le faisaient avant. Sauf qu'ils ne vivent plus ensemble.
Quel regard portez-vous sur cette parenthèse ?
Mon point de vue n'est pas essentiel. Je cherche simplement à dépeindre et à interroger des idéaux, des parcours. Certains de ces habitants n'ont pas eu une vie exemplaire, mais ils ont fait ce qu'ils voulaient, avec le bon et le moins bon.
Qu'est-ce qui vous a surpris en réalisant ce documentaire ?
La liberté sexuelle était un paradoxe permanent. Pour une fille, se refuser à un homme la faisait passer pour rétrograde. Finalement, l'égalité était à l'avantage masculin, c'était le paradis des machos! Cette vie pouvait être hypocrite, mais c'était une période transitoire. L'égalité ne s'acquiert pas du jour au lendemain. J'ai aussi été stupéfait pas les rapports entre "néos" et cévenols. Les seconds se sentaient méprisés par les premiers. Ça n'a pas été facile.
D'autres lieux comme ça existaient sûrement...
Oui, il y en avait plein dans le sud et dans les Cévennes. D'ailleurs, d'autres expériences ont été réalisées dans le même hameau, quelques années auparavant. Des Parisiens étaient venus avec l'idée de créer une nouvelle société, avec de nouvelles règles. L'état d'esprit était très différent et c'était radical. Ça n'a duré que deux ans.
Et aujourd'hui ?
L'état d'esprit alternatif est toujours là, on le retrouve à Bonnevaux par exemple, où beaucoup d'habitants sont concernés. Mais la manière de faire est différente. Dans les années 70, ils ne se posaient pas de questions, il ne théorisaient pas. Ils n'avaient pas d'électricité, pour eux, c'était normal. Ils découvraient tout. De nos jours, on réfléchit beaucoup plus.
Pourquoi ont-ils spécifiquement choisi les Cévennes ?
Ceux qui viennent de Franche-Comté voulaient changer de vie. Quitter le monde de la consommation. Ils ont cherché des ruines et ont trouvé Chalap. Les Heim quant à eux sont arrivés par le bouche-à-oreille, le hasard. C'est souvent comme ça que ça se passait. Dans les Cévennes, il y avait à la fois le soleil et les maisons à l'abandon. Catherine en est tombée amoureuse en arrivant.
Propos recueillis par Eloïse Levesque
"Chalap, une utopie cévenole", au Cinéplanet ce samedi 19 mars à 21h, en présence du réalisateur.
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