Publié il y a 6 ans - Mise à jour le 02.06.2017 - anthony-maurin - 10 min  - vu 554 fois

NÎMES EN FERIA Le texte intégral... Du Quart d'Heure Nîmois

Le Quart d’Heure Nîmois est une création littéraire de l'association des Avocats du Diable. Ecrit et lu par Antoine Martin, voici le texte intégral pour les malheureux qui ne se sont pas rendus au rende-vous! Séance repêchage... 

Puisqu’on est entre amis, je dois d’abord faire une mise en garde, ou plutôt deux : le petit discours qui va suivre contient un peu de placement de produit. Il contient aussi des additifs, comme dans les yaourts. En effet, pour essayer d’en relever le goût, de lui apporter un peu de saveur locale, j’y ai ajouté, ici et là, des mots du parler nîmois. Oui, comme des colorants dans le yaourt à la fraise. Et donc, vous allez maintenant m’entendre babalouler.

Mais avant d’entrer dans le dur du propos, je voudrais faire une remarque préliminaire sur les péripéties qui nous ont conduits à nous retrouver ici et maintenant. Une certaine sagesse populaire prétend que le diable se trouve dans les détails. Et bien moi, j’affirme que les Avocats du diable eux, ils n’ont pas vraiment fait dans le détail, sur ce coup. Ils annoncent le quart d’heure nîmois, ce petit délai de retard, je dirais plutôt de confort qu’on s’accorde ici pour honorer un rendez-vous, pour finir un apéro ou même pour arriver presque en avance au boulot. Or, entre la date initialement annoncée pour la présente rencontre, le dimanche 28, et cet instant, il s’est écoulé environ 314 quarts d’heure. 314. Dans ces grandeurs-là, ce n’est plus un délai de confort, on touche carrément à la magnificence d’une suspension de taille gallo-romaine. 314 quarts d’heures nîmois… Si j’avais le goût de critiquer, je dirais qu’ils se sont montrés un brin rampélaïres, les Avocats du diable, avec cet agenda. Ce qui est une autre façon de dire qu’ils se montrent Nîmois à l’excès, 314 fois Nîmois.

Ah oui, 314, c’est aussi l’année de naissance de l’empereur romain Constantin II. Mais comme la chose a eu lieu à Arles, autrement dit chez la concurrence, on ne va évidemment pas en parler.

D’autres qui ont une certaine tendance, mais fâcheuse, cette fois, à rampéler, ce sont les types de l’Unesco.  Ils sont sûrement bien braves, ces types de l’Unesco, mais il me semble qu’ils sont en train de prendre les choses avec un peu de calme. Un peu trop de calme, même, à mon avis. Depuis 2012 que cette affaire a été lancée à Nîmes, qu’ils sont là à bader de longue nos monuments, c’est abusé, je trouve, qu’ils nous demandent des dossiers à boudre, et des plans de gestion, et des ci et des mi. Oui, c’est une vérité grosse comme la Maison Carrée que de dire qu’ils se montrent plutôt mouligas, dans cette affaire, les types de l’Unesco. Parce qu’ils n’ont pas à réfléchir cent-sept ans, ni même cinq minutes, pour nous faire entrer direct et sans atermoiements dans le patrimoine mondial.

D’ailleurs, avant que ce fourbi soit lancé, je pensais qu’on y était, nous, dans le patrimoine de l’humanité, depuis au moins l’enfance de Titus, en tout cas depuis l’ouverture de la porte Auguste. En fait, la question ne devrait même pas se poser, si ces gens-là étaient un minimum raisonnables. Voilà une ville qui a su ritualiser les repas du dimanche au mazet, qui a vu naître le cuisinier Augier, l’inventeur de la brandade de morue, et Jean Nicot, le découvreur du paquet de clopes, une ville qui, grâce à Notre Dame de Santa Cruz, a apporté au monde occidental la révélation du sandwich à la merguez, et elle ne serait pas admise de plein droit dans le patrimoine mondial ? Ils vont y faire entrer qui, alors, les types de l’Unesco ? Montpellier, peut-être ?

Moi, ça me ferait mal, personnellement. Ils ont quoi de plus grandiose que nous, ceux de Montpellier ? Le jardin du Peyrou ? On a les jardins de la Fontaine, et c’est quand même autre chose. Ils ont quatre lignes de tramway ? Me faites pas rigoler, vous avez vu les trambus tout neufs qu’on a mis en circulation ? Bon, après, si on cédait à la tendance toute nîmoise de rouméguer, on dirait, c’est vrai qu’on s’est farci des mois et des mois de travaux juste pour faire passer la ligne réservée aux transports en commun d’un côté de boulevard à l’autre.

Oui, ils ont quoi de plus, ceux de Montpellier ? Une équipe de foot en Ligue Un ? D’accord, mais nous, on n’est pas passé bien loin, cette saison. Bon, après, si on se laissait aller à la manie très locale de faire les réboussiers, on dirait, c’est vrai, qu’on n’a pas connu de figure vraiment marquante, question ballon, depuis Kader Firoud, et c’est pas d’hier.

Et tiens, j’y pense. Le soir du 25 mai 2009, les joueurs du Nîmes Olympique ont gagné un match quasi légendaire contre le Stade brestois, une victoire qui a permis cette saison-là le maintien du club en Ligue 2. Et ce même soir, qui c’est qui a reçu le Prix Hemingway sur la piste des arènes ? Alors, je le dis aux membres du jury, aux organisateurs et aux partenaires du Prix Hemingway ici présents : si vous aimez vraiment le foot, si vous soutenez sincèrement le Nîmes Olympique, le mieux, c’est de me filer chaque année le prix à titre honoraire. Et les 4000 boules qui vont avec. Et, évidemment, la grandiose dotation de l’Union des clubs taurins Ricard, que je promets de consommer avec toute la modération dont je suis capable.

Le foot, d’accord. Mais, en revanche, on touche notre bille au handball, et voilà un autre point que les types de l’Unesco devraient valoriser, dans le classement des villes qui ont oublié d’être cons, sportivement parlant. Nous, on se distingue dans une discipline qui se joue dans des gymnases, peinards, bien à l’abri de l’intempérie. C’est très joli de gagner des championnats, des coupes et tout ça, mais si on peut éviter en même temps de s’escagasser dans le grand mistral ou le gros cagnard, c’est encore mieux, non ? Surtout si, cerise sur le gâteau, ou plutôt graton dans la fougasse, les gymnases en question sont accessibles avec les trambus tout neufs qu’on a maintenant.

Et puis quoi d’autre, à Montpellier ? La place de l’Œuf ? Bon, mais nous, on a la rue de l’Aspic. Œuf, aspic. Je laisse les experts gastronomes des nations unies apprécier toute la saveur de ce dernier argument.

C’est comme Madrid, d’ailleurs, ou comme Séville, qui ont des sites classés, j’ai vérifié, et n’ont pourtant pas trop de leçons à nous donner. Ils ont pas trop à faire les cacous avec nous, à essayer de nous espanter, je veux dire, sur ces choses patrimoniales. Car, sans être exagérément chauvin, qui contesterait qu’à l’échelle des millénaires, un clapas de garrigue a autant de valeur que, par exemple, un alcazar arabo-andalou ? Et le square Youri Gagarine, au Mont Duplan, n’a pas à rougir, si on peut le dire comme ça, devant le parc du Retiro. Les guérilleros du Dos de Mayo ont résisté avec une ardeur farouche à l’envahisseur napoléonien, c’est une chose entendue, mais a-t-on assez loué la crânerie des fiers combattants nîmois qui s’enchaînèrent pour, faisant rempart de leurs corps, garantir la sauvegarde des micocouliers des quais de la Fontaine ? C’est d’autant plus héroïque qu’à bien y regarder, le micocoulier est l’un des arbres les plus bêtes du patrimoine mondial de la flore terrestre, un de ces trucs qui se mettent à croître et proliférer dès qu’on leur tourne un peu le dos, un enquestre dont les fruits sont juste bon à nourrir les étourneaux qui viendront ensuite caguer abondamment sur le capot de votre voiture. Et j’aurais aussi bien pu parler de la lutte homérique que certains menèrent pour sauver les colonnes toutes rabinées de l’ancien théâtre…

Madrid, oui, Séville, d’accord. Parfois c’est quand même Nîmes qui pourrait leur en remontrer. Par exemple dans ce recoin de l’activité humaine qu’on appelle la tauromachie. Voyons ça. On a coutume de déclarer, ce qui est une antonomase (ne jamais perdre une occasion d’apprendre en s’amusant), que Nîmes serait la Madrid française, ou la Séville française, je ne sais pas très bien, ça doit dépendre de l’humeur ou de la mode du moment, autrement dit que notre arène serait un sorte de réplique de ces plazas d’outre Pyrénées (et surtout, surtout ne jamais négliger la possibilité d’employer une périphrase qui fait joli). Moi je veux bien, mais je tiens cependant à faire remarquer que, quand José Tomás a décidé de faire péter tous les compteurs de la corrida, ce n’est ni à Séville, ni à Madrid, ni à Arles, ni encore moins à Montpellier qu’il est allé. Je n’en tire pas de conclusion particulière. Je relève le fait, c’est tout. Et je le consigne, au cas où il serait de la moindre utilité pour que les types de l’Unesco procèdent à une instruction pertinente du dossier. Autrement dit, pour leur éviter de faire des cagades.

Et puisqu’on parle de ça, je veux dire de cette bienheureuse matinée du 16 septembre 2012, j’aimerais qu’on m’autorise à ouvrir une courte parenthèse. Nous avons, quelque part dans notre garrigue, une voie qui s’appelle le chemin du Pied du Bon Dieu. Moi, si j’avais l’oreille de quelque personnalité influente de l’édilité de la ville, d’une autorité capable d’intervenir sur la toponymie locale, je lui soufflerais volontiers qu’on le rebaptise, ce  chemin du Pied du Bon Dieu, en "Chemin de la Zapatilla de José Tomás". Ça ne me paraîtrait pas excessif.

Puisqu’on faisait allusion tout à l’heure à Gagarine, je voudrais rappeler un événement dont pas les plus jeunes, non, mais les autres se souviennent certainement. Donc, le 27 novembre 1967, le maestro Youri Alexeïevitch Gagarine vint à Nîmes, en provenance directement de la Russie, c’est-à-dire, , plus ou moins, de Cuges. Pour l’occasion, sans doute à cause de ce truc du héros qui scrute l’histoire et des siècles qui contemplent, on lui offrit évidemment une visite guidée de l’amphithéâtre romain. Le colonel Gagarine fut ainsi le premier cosmonaute à poser le pied sur la piste des arènes. En disant ça, je m’aperçois que j’énonce maintenant une évidence grosse comme une datcha : n’importe quoi qu’il fît, siffler une vodka, jouer un air de balalaïka, ou naviguer sur le lac Titicaca, mettons, Gagarine était toujours le premier cosmonaute à le faire, c’est con à dire, vu qu’il était le premier et, pendant quelques temps, le seul dans son boulot de voyageur de l’espace. J’ignore si d’autres conquérants de immensités intersidérales ont foulé ce sable après lui. Bon, il y a eu Mourousi, mais c’est une autre histoire. Mais le fait est incontestable, car amplement documenté : il existe des images où on peut le voir, dans son uniforme fantaisie de l’armée de l’air soviétique, en train de croiser le ruedo, de faire une sorte de paseo, quoi, comme un quelconque Paco Ojeda ou El Cordobes. Ça quand même une autre gueule que Vladimir Poutine dans les galeries du château de Versailles.

Après cette visite, une réception et un vin d’honneur furent donnés par les autorités municipales de la ville et j’ai tendance à penser que Gagarine fut le premier cosmonaute à être reçu et arrosé par les autorités municipales de la ville, peut-être à s’y empéguer avec des conseillers municipaux en habits du dimanche, mais ça m’étonnerait. En général, le Russe, ça tient la boisson. Le raout se célébra dans des locaux qui, quelques années plus tard, accueilleraient le pas si mal nommé supermarché Gros, la mère de toutes les grandes surfaces de Nîmes, du côté, pour situer, où se trouvent maintenant les installations de la Banque de France. Je donne toutes ces précisions circonstancielles comme illustration du bien-fondé  de l’intitulé de notre dossier de candidature au patrimoine de l’humanité : L’antiquité au présent. Un cosmonaute chez les Romains, ça fait un peu la synthèse de ça, non ?

Il faut dire que question synthèse, ou plutôt syncrétisme, on est plutôt balèze, ici. Prenez la feria, qui est sur le point de commencer, et qui consiste en gros, à ce que les indigènes et leurs visiteurs deviennent  Espagnols, un peu plus que les Espagnols, mais sans être trop regardants non plus sur l’Espagne. On donne des corridas, d’accord, mais on chante parfois la Coupo santo après le paseo. On monte des casetas, d’accord, mais on y sert des feuilletés à la brandade et de la gardiane de taureau. On s’esquiche dans les bodegas, au quai, mais on s’y empompone avec du pinard du cru. Et à l’heure de choisir la tenue de fête du jour, l’homme élégant hésitera entre un polo floqué à la marque du pastis Ricard ou une chemise blanche avec une silhouette de torero brodée au fil rouge sur la poche de poitrine.

Après ça, on est Nîmois, que diable. C’est pas qu’on soit pas chauvins, non. Ça veut juste dire qu’on est à peine un peu plus aficionados que ceux de la calle de Alcalá, qu’on danse les sévillanes légèrement mieux que celles du barrio de Santa Cruz, qu’on chante la messe du Rocío avec sensiblement plus de ferveurs que celles et ceux d’Almonte, et si on programme des réunions de flamenco, on y rencontre un poil plus  de cabales que dans celles du festival de Jerez. Cabales, en français, ça veut dire ceux qui y entendent quicon en flamenco.

Il y a des divertissements d’inspiration plus locale bien sûr, je ne vais pas raconter ce que tout le monde connait. La Pégoulade, qui lorgne évidemment cette année en direction du monde patrimonial, les abrivados dans les quartiers, et les joutes, les joutes languedociennes dans les quelques hectomètres du canal de la Fontaine. D’ailleurs, c’est assez insensé, quand on y réfléchit, d’organiser des joutes nautiques dans cette ville sans le moindre cours d’eau, comme si on était un pays de vieux loups des mers, tout aussi insensé que d’y prendre le crocodile, animal par nature amphibie et commensal des zones humides, pour emblème d’une ville assiégée par la caillasse, la bien nommée pierre sèche et les chênes kermès. Car ici, les boulevards périphériques, les lignes TGV, les sites propres pour les Tram’Bus, des bassins de rétention pour contenir les ruscles, même les petits trains touristiques, qu’on appelle aussi les promène-couillons, ne font certes pas défaut, mais on manque à l’évidence de voies navigables. Alors, pour compenser peut-être, on a foutu des ponts partout. Et comme on n’a pas de flotte à faire passer dessous, on fait passer des wagons dessus, avec un pragmatisme tout gréco-latin que les types de l’Unesco ne devraient pas manquer d’estimer.

Je ne sais pas si ça marche comme ça, à l’Unesco, mais si un jour les experts viennent faire une tournée d’inspection par ici, il y a un site, en tout cas, qu’il ne faudra pas manquer de leur montrer. Il faudrait être caluds, il faudrait être complètement ensuqués pour ne pas les mener au plus haut de cette esplanade qui s’appelle place du docteur Cantaloube mais que les Nîmois, avec une très légère imprécision topographique, nomment le mont Margarot. Car là se trouve une pièce de l’un des patrimoines les plus puissants de cette ville. C’est là que, pendant des années, un garçon vint, presque chaque jour, jouer aux taureaux, faire le torero et construire patiemment, consciencieusement, la vocation qui devait le conduire, le 28 mai 1977, à prendre l’alternative dans l’amphithéâtre romain de Nîmes. Oui, à 315 quarts d’heure près, il y a eu quarante ans que le gamin en short du mont Margarot s’épanouissait en matador en habit de lumières dans les arènes de sa ville, la ville dont il avait choisi de porter le nom. Alors, l’Unesco peut bien faire ce qu’elle veut, inscrire puis retirer la corrida de l’inventaire du patrimoine immatériel, considérer peut-être que les bagarres simulées de gladiateurs sont plus fréquentables que les combats à la vie à la mort, que les vieilles pierres comptent parfois davantage que les vrais hommes, il y a des vies, ils n’y peuvent rien, ceux de l’Unesco, il y a des engagements, des trajectoires qui font aussi une histoire, qui font un patrimoine. Ce patrimoine-là, Christian Montcouquiol Nimeño II l’a offert, il y a exactement quarante ans, à sa ville et à nous qui l’habitons. Ce patrimoine-là est intangible. Pour toujours.

Anthony Maurin

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