Publié il y a 6 ans - Mise à jour le 14.02.2018 - veronique-palomar - 6 min  - vu 2563 fois

FAIT DU JOUR Le Chat Luthier et son capitaine se sabordent !

Ouvert récemment, le bar à chats de la rue des Fourbisseurs est le cadre d'un psychodrame digne d'un roman noir…
Gloria Féron, enquêtrice auprès de la SPA, a obtenu  une autorisation du procureur pour sauver les chats livrés à eux-même (Photo Véronique Palomar)

L'affaire fait le buzz sur les réseaux sociaux. Avant-hier, vers 15h30, il y a foule devant le Chat Luthier, un bar à chat ouvert dans la rue des Fourbisseurs depuis le 1er décembre dernier. Dehors les badauds sont nerveux et certains tentent de forcer l'entrée. Deux agents de la brigade canine de la police municipale veillent au grain. Comment un lieu en principe dédié à l'amour des bêtes et à la "zénitude" (ronronthérapie) peut-il être réduit à un tel chaos malodorant ?  Une incroyable histoire à tiroirs…

Deux heures de Capture

Laurine, postée dans les décombres du bar à chat est épuisée (photo Véronique Palomar)

À l'intérieur, Gloria Féron, assistée de 3 bénévoles, capture des chats de tous âges et de toutes couleurs pour les mettre en lieu sûr. Au milieu de la confusion ambiante, il est difficile d'avoir des éléments solides sur ce qui se passe. Le moins que l'on puisse dire c'est que l'ambiance est plutôt tendue. Les protagonistes semblent à cran et épuisés. Les chats ne comprennent pas pourquoi on veut les attraper à l'épuisette pour les enfermer dans des cages et compliquent la tâche des sauveteurs en fuyant tous azimuts.

Dehors, collés aux vitres, les badauds commentent : "il manque encore la noire et blanche", "je veux rentrer", "je connais bien les chats, je ne comprend pas qu'ils me refusent l'entrée"… Gloria, elle, connait son affaire : plus il y a de gens, plus il est difficile de réussir cette opération rendue délicate par un désordre indescriptible, dans un décor de verre cassé, de croquettes éparpillées partout, de meubles éventrés et des salissures diverses. Dehors, c'est pourtant l'incompréhension qui prévaut.

Intervention sous contrôle

Gloria agit sous couvert de la loi et s'entretient avec les policiers pour leur signifier son départ et la nécessité de faire sortir tout le monde du local  (Photo Véronique Palomar)

Heureusement au milieu de la confusion, les policiers restent calmes et nous livrent les premières explications : "Madame Féron a porté plainte au commissariat et le procureur lui a délivré une autorisation pour sauver les chats." Nous voilà renseignés sur la situation mais comment expliquer la destruction de l'intérieur et la tension du personnel ? Nous comprenons que la situation se dégrade depuis un moment et qu'elle est arrivée à son point culminant le matin même.

Gloria Féron, membre de la fondation Bardot, de la SPA de Valérargues et fondatrice de l'association "Toutous et minous" fait autorité en matière de protection animale. C'est donc tout naturellement qu'une cliente habituée du lieu l'a contactée, inquiète pour le cheptel félin du Chat Luthier.

Samedi, Gloria est venue prendre la mesure de la situation. "J'ai constaté que les chats n'avaient rien à manger et que beaucoup étaient malades. Alors j'ai fait un appel aux dons sur le mur Facebook de mon association (3 000 likes). "Dimanche quand je suis revenue avec les croquettes et les boîtes pour les animaux, la situation ne s'étant pas améliorée, je suis allée porter plainte."

Ça y est, les félins sont à l'abri et oublieront bientôt les turpitudes de la "ronronthérapie" (photo Véronique Palomar)

Deux heures plus tard, Gloria a pu mettre 14 chats dans des cages pour "les porter en lieu sûr, à une cinquantaine de kilomètres d'ici". Une attente et un suspense insupportables pour bénévoles et clients qui arrivent à forcer la porte. À priori, il ne reste plus de chats… Les nouveaux entrés en doutent. Le ton monte. Épuisée et à court de cages, Gloria décide de s'arrêter là et pour calmer tout le monde déclare que s'il reste des chats, elle viendra les chercher plus tard. Il faudra une intervention calme mais ferme des forces de l'ordre pour faire évacuer le local. Quelques pleurs et accrochages  entre pro et anti SPA plus tard nous réussissons à réunir trois témoins pour essayer de démêler ce qui semble une histoire plutôt embrouillée.

Affichage incendiaire

Sur les vitrines du Bar à chat sont placardés trois avis. Un évoquant une fermeture définitive, une longue lettre qui apparaît comme une dénonciation de l'attitude du personnel, et une dernière missive qui a tout l'air d'une accusation de mutinerie. Sont nommément cités Nicolas Bodo et Gloria Féron. À la fermeture de l'établissement par les forces de l'ordre, Nicolas Bodo intervient et demande aux agents la permission d'enlever ces avis. Il argumente en disant avoir porté plainte au commissariat le dimanche pour diffamation. Les avis sont retirés et le mystère lui, s'épaissit.

Témoignages

Décident spontanément de nous parler, David Elbaz, client, voisin et photographe amateur, Nicolas Bodo, qui travaille au Chat Luthier depuis le début, et Laurine Long, bénévole au Chat Luthier. Pas de trace du propriétaire, Jean-Armand Chalier.

David Elbaz encadré par Nicolas Bodo et Laurine Long (photo Véronique Palomar)

Pour y voir clair, en plus de la version de Gloria Féron et de celle des policiers, nous disposerons donc de celles de nos trois témoins. Nous ne pourrons pas recueillir celle de Jean-Armand Charlier, joint par téléphone, qui n'a répondu, ni à nos appels ni à nos messages.

Chats contaminés, absence de contrat de travail et de salaire

En tant que client régulier et amis du personnel, David Elbaz nous confie n'avoir jamais constaté de maltraitances sur les animaux. "En revanche certains sont malades", confie David. "Vraisemblablement de la gale", précise Laurine qui ajoute, "des chats, ramassés dans la rue et pas vaccinés, ont contaminé les autres." Amis des animaux, les jeunes gens déplorent l'état des chats qui va en se dégradant. Mais selon eux, ce n'est pas le seul motif de désaccord avec le gérant de l'établissement. Selon Nicolas, il n'y aurait jamais eu de contrat de travail : "pas l'ombre du contrat à durée déterminée (CDD) d'un an renouvelable promis, ni celle d'un salaire versé."

Mais le jeune homme dit avoir tenu bon pour l'amour des bêtes et aussi du concept du bar à chat qui est en accord avec ses convictions. "Au bout de 4 mois, je ne tenais plus. J'avais de gros problèmes financiers. Et puis les altercations étaient nombreuses. Le patron s'en prenait aux clients et aux employés sans raison. Les conditions sanitaires se dégradaient. Pour justifier ses colères et éviter d'éventuelles représailles, il jouait sur le fait qu'il avait eu trois AVC et qu'il était handicapé. Je n'en pouvais plus, je suis parti." Il ne serait pas le seul car selon des témoins et les employés, le personnel défile "et même des mineures sans contrat, auxquelles il confie les clés, les chats et la caisse", précisent nos témoins.

Premier coup de théâtre

Malgré tout le bar fonctionne et les recettes "peuvent se monter à 300 € par jour", selon Laurine et Nicolas. C'était avant un premier coup de théâtre... Toujours selon ses employées, Jean-Armand Chalier "fait irruption jeudi matin dans une colère inexplicable demandant au personnel présent de fermer l'établissement pour cause de décès."  Les jeunes filles présentes se seraient exécutées, puis une fois le patron parti, auraient maintenu le bar à chat ouvert. Vendredi matin, le patron aurait à nouveau fait irruption sur les lieux. Cette fois accompagné d'un autre homme. Aucun client n'aurait été témoin des faits, mais aux dires de ceux qui se présentent comme ses employées, il aurait vidé le local de divers accessoires et de toute la nourriture pour chat. L'après-midi, les employées pugnaces rangent le bar et reçoivent les clients. Samedi, se disant souffrant, le patron aurait appelé pour prévenir qu'il reviendrait "dans trois jours" (le Chat Luthier est fermé le lundi mais ouvert le dimanche). Toute la journée du samedi se serait déroulée normalement.

Accusation d'assassinat

Dans la nuit de dimanche à lundi, il est 0h02 lorsqu'une étrange publication apparaît sur le mur Facebook du Chat Luthier (où il est encore visible). En substance, un anonyme accuse d'assassinat Nicolas Bodo et Gloria Féron sur la personne du président du Chat Luthier. Nicolas Bodo, se dit choqué. Dans un premier temps, il craindrait que son patron ne mette fin à ses jours et resterait persuadé que c'est Jean-Armand Chalier en personne qui a posté le message. "Je ne dors pas de la nuit", confie le jeune homme, "j'ai peur pour lui… " Le dimanche, grâce aux dons des bonnes volontés qui ont répondu à l'appel de Gloria, les chats ont mangé et le bar est ouvert.

Résurrection et destruction

C'est lundi matin qu'intervient un énième rebondissement. Davis Elbaz aurait été appelé par une cliente qui lui signale "du bruit et de l'agitation au bar". Il  raconte : "il est 7h50, Jean-Armand Charlier et un autre homme sont à l'intérieur. On entend du bruit de verre cassé, de choses brisées." Les deux hommes partent à 8h30, emportant quelques affaires et un nombre indéterminé de chats dans trois caisses de transport.  David dit ensuite être entré dans le bar toujours ouvert. "Tout était détruit, comme vous le voyez aujourd'hui. Il y avait du verre cassé et des vis partout par terre ainsi que des croquettes et des ordures." Nicolas, averti de la situation, était venu prêter main-forte le week-end "pour ne pas abandonner les chats".

Il revient le lundi matin prévenu de la "résurrection de son patron", confortée par une vidéo prise par David. Il ira le matin même porter plainte pour diffamation au commissariat central. Il dit même avoir accompagné les forces de l'ordre au domicile de Jean-Armand Chalier, en vain. "Depuis personne ne sait où il est. J'attends un coup de fil de la police", ajoute t-il visiblement à bout de force. La suite, on la connait.

À l'heure où nous publions ces lignes, les chats étant maintenant en sécurité, nos témoins ont décidé que leur mission était remplie et que "cette affaire ne (les) concerne plus". Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui le Chat Luthier a sombré corps et biens, que son président est introuvable et que bénévoles et clients sont en état de choc. À suivre…

Véronique Palomar

Véronique Palomar

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