VILLENEUVE En images : le Lisse et le Strié, une expo protéiforme en trois lieux
C’est peu dire qu’avec le Lisse et le Strié, on est face à un foisonnement. Foisonnement de formes, de matières, de lieux, mais une seule artiste : la Nîmoise Émilie Losch.
Le tout dans le cadre du partenariat qui lie cinq entités, la Ville de Villeneuve et son musée, le lycée Jean-Vilar, la Chartreuse, le Fort St-André et le Fonds régional d’art contemporain Occitanie. Un partenariat qui a d’ores et déjà abouti à une exposition au lycée, dont Emilie Losch était la commissaire, et qui se poursuit avec cette triple exposition dont nous avons pu visiter la partie Chartreuse en construction.
Le Chartreuse dont l’artiste a fait un atelier, dans le cadre de sa résidence entamée le 22 janvier dernier. De quoi créer spécialement pour le lieu : « la quasi totalité des pièces ont été conçues ici, à la Chartreuse », précise-t-elle. En tout, près d’une trentaine de pièces composent cette triple exposition. « Un pas de géant », glisse l’artiste, dont c’est seulement la deuxième exposition.
Le lien entre les trois lieux se fait avec une pièce, (R-ev)olution, composée de trois parties : une à la Chartreuse, une au Fort et une au musée. Une installation en polystyrène qui ressemble à s’y méprendre à des blocs de béton. Des blocs qui formeraient un squelette incertain, entre os et structures artificielles, qui ondulerait et sortirait partiellement du sol. Pas évidente à aborder lorsque les pièces sont rangées dans l’atelier, l’installation prend vie instantanément, une fois ses pièces méticuleusement disposées.
Tout est à l’avenant : ici, point de matériau noble. « Je cherche toujours à partir de produits industriels, manufacturés, qu’on peut trouver dans un magasin de bricolage », explique l’artiste. Une artiste fascinée par l’architecture et les labyrinthes. On retrouve ces thèmes dans Phantasia, dessin mural complexe fait de minéraux, d’organismes unicellulaires, d’immeubles à la perspective volontairement bancale, de références entre autres à Escher et à ses frises. Réalisée au stylo sur sa version complète à l’échelle 1 ou au marqueur pour sa version « zoomée », en sobre noir et blanc, cette oeuvre dégage une inattendue poésie, à mi-chemin entre le dessin réalisé dans un moment d’ennui fécond et le paysage de bande dessinée futuriste.
Le côté labyrinthique de la Chartreuse a également inspiré Émilie Losch. On le retrouve dans la bien nommée Ariane, oeuvre brodée représentant quatre plans du monument en miroir. « J’ai souhaité vivre ce labyrinthe en réalisant le parcours sans jamais couper le fil », précise l’artiste, qui a utilisé pas moins de 200 mètres de fil pour cette oeuvre surprenante. Une oeuvre en regard avec Cnossos, sculpture murale en blocs de bois qui représente le plan du palais à l’origine du mythe du labyrinthe et du Minotaure.
Dans la salle d’à côté, de grands papiers peints d’escaliers sans fin encerclent des sculptures de sucre, inspirées des bâolis du Rajahstan, ces puits flanqués d’innombrables marches. « Je voulais des briques, du blanc, et un matériau facile à trouver », justifie l’artiste. Le côté éphémère du sucre n’est pas pour lui déplaire non plus, elle qui voit dans ces deux sculptures, l’une négative de l’autre, comme « un mandala. » Des mandalas qui ont nécessité 364 boites de sucre en morceaux, cimentés au blanc d’oeuf et au sucre glace. Ici aussi, la magie opère et Émilie Losch réussit le tour de force de fabriquer deux œuvres fascinantes à partir d’un matériau quelconque, et il serait tentant d’y voir un manifeste consistant à réenchanter le quotidien. Il en va de même avec Underground Overground, une sculpture de tuyaux de plomberie en cuivre, labyrinthe cubique encore en construction, qui sera quant à elle exposée au musée.
Changement d’ambiance dans la bugade et la prison, avec la série des Colosses, des chimères, hybridations d’animaux et d’édifices industriels réalisées en peinture acrylique et Posca. Ici aussi, le quotidien n’est pas loin, avec des architectures banales et familières. Et la poésie s’invite avec les animaux : une biche rencontre un château d’eau, un éléphant une structure de fer. Les références sont également présentes : « il s’agit d’architectures prises en photo par les Bescher (Bernd et Hilla Bescher, un couple de photographes allemands, ndlr), qui ont fait un travail de portrait d’architectures industrielles et qui sont des colosses de la photographie », note l’artiste.
Une exposition foisonnante donc -et encore, nous n’avons pas pu tout voir, loin de là !- dont la variété quelque peu foutraque mais à la créativité revigorante, où le bricolage le dispute au dessin tantôt onirique tantôt industriel, dégage une idée : l’oeuvre n’est pas son matériau, et l’art peut jaillir à tout moment, même d’un carré de sucre, à condition d’avoir un esprit libre comme celui d’Émilie Losch.
Thierry ALLARD
thierry.allard@objectifgard.com
Le Lisse et le Strié, du 9 mars au 13 mai au musée Pierre de Luxembourg et à la Chartreuse, et du 9 mars au 7 avril, puis du 17 avril au 30 septembre dans le cadre de l’exposition Extensions de graffitis au Fort St-André. Vernissage le jeudi 8 mars à 18 heures à la Chartreuse, exposition ouverte le 8 mars de 16 heures à 17 heures au Fort, et de 16 heures à 20 heures à la Chartreuse. Visites commentées en présence de l’artiste le vendredi 9 et le samedi 24 mars dans le cadre des Nuits de la Chartreuse. Entrée libre.
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