Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 10.06.2018 - corentin-corger - 5 min  - vu 1118 fois

FAIT DU JOUR Dans la peau d'un Tzigane...

Au pays du pot, à Saint-Quentin-la-Poterie, Pierre Le Fur a installé ses roulottes il y a maintenant dix ans. Un parc unique en France, devenu musée, qui s'ouvre désormais à la location sous le label Gîtes de France.
Pierre Le Fur et son épouse Céline (photo Corentin Corger)

Vue aérienne du parc "Un siècle de roulottes" (photo Pierre le Fur)

C'est un petit coin de paradis perché à la sortie de Saint-Quentin-la-Poterie, d'où la vue permet de dominer le duché d'Uzès.

Mais avant d'en profiter il faut arriver à se rendre au musée Un siècle de roulottes. Un petit différent avec la mairie empêche d'avoir des panneaux d'indications. Malgré tout, on y arrive car tous les chemins mènent...aux Roms. Ça c'est pour la blagounette, mais le terme Gitan ou tzigane est préféré. Et avant d'entamer l'histoire de ce lieu, il est important de rappeler la définition d'une roulotte, n'est-ce pas Pierre ? "C'est un habitat mobile sur roues qui abrite une famille et un métier. La notion de véhiculer les outils de travail est très importante sinon c'est simplement une caravane". Maintenant que tout est clair, on peut y aller.

Bienvenue dans un lieu unique en France et rare dans le monde. Seulement quatre musées consacrés à la roulotte existent. Et celui-ci a surtout la particularité d'être le cadre d'anniversaires et de mariages. Certaines des roulottes du musée ont servi dans des tournages de films. Et désormais ce site porte à son actif une troisième casquette, celui de lieu de locations labellisé Gîtes de France de l'hébergement insolite. Une reconnaissance dont seuls deux autres gîtes dans le Gard bénéficient : une cabane en bois à Gagnières et une yourte à Sainte-Cécile-d'Andorge. Sur les quatorze roulottes du site, sept sont habitables et peuvent accueillir au maximum quatorze personnes. Le propriétaire loue à des groupes de minimum huit personnes pour au moins trois nuits. Une petite maison commune comprend la cuisine et les sanitaires. Comptez 1 300 euros pour une semaine au tarif plein qui évolue en fonction du nombre de personnes.

Un gadjo devenu gitan

La première roulotte acquise par Pierre Le Fur photo Corentin Corger)

L'amour de Pierre pour le monde tzigane provient des gènes paternels. "À six ans, mon père m'emmenait dans un bar à Saint-Ouen, écouter du jazz manouche et ça ne m'a jamais quitté". Un homme qui a beaucoup voyagé et travaillé comme psychanalyste en entreprise notamment chez Orange, au chevet des employés en difficulté. Même dans sa vie professionnelle le lien avec les tziganes restait présent. "Mon cabinet jouxtait, par hasard, une église. Le curé était l'aumônier des forains et ne possédant pas de sanitaires les fidèles utilisaient les miens. C'est comme ça que les familles Gruss, Bouglione se sont retrouvées chez moi. D'abord aux toilettes et après à boire le champagne !" Changement d'air mais pas de secteur. Il y a une quinzaine d'années désormais, l'entrepreneur a racheté la marque Les pots d'Uzès avant de vendre l'affaire pour partir en retraite.

Un élément important car c'est là que l'idée de collectionner les roulottes a germé dans sa tête. Quatre modèles abandonnés stationnaient derrière le hangar de la poterie. "J'ai appelé le propriétaire des roulottes qui se trouvait être Jean-Paul Favand, le créateur du Musée des arts forains et un pote du curé". Une coïncidence de la vie qui a permis à Pierre de se procurer son premier objet de collection. Ce qui n'est pas une mince affaire car il s'agit d'une denrée rare. Moins de 2 000 roulottes sont recensées dans le monde car dans la tradition tzigane, au moment d'un décès, la roulotte du défunt était brûlée. Pour agrandir la famille, il a fallu trouver un terrain. "J'ai rencontré un gitan qui ne savait ni lire ni écrire et qui avait ses coordonnées sur son poing et qui m'a tamponné un bout de papier. Il m'a dit : “appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit”. Un jour je l'ai recontacté et il m'a trouvé un terrain". Le site actuel, l'aventure pouvait donc démarrer.

"Rien ne sert de posséder si tu ne sais pas partager"

Les musiciens jouant, excusez du peu, sur le plateau de la roulotte qui a servi au film Django, biographie de Django Reinhardt, considéré comme le père du jazz manouche (photo Corentin Corger)

"Rien ne sert de posséder si tu ne sais pas partager". Ce proverbe gitan est devenu la devise de Pierre et la ligne directive de son mode de vie. Car ce que voulait ce parisien d'origine en arrivant dans le sud, c'était un lieu pour pouvoir faire de la musique et si possible tard dans la nuit, sans déranger personne. "La seule condition que j'impose aux gens qui organisent des soirées c'est de faire venir des artistes en live. Les musiciens doivent vivre aussi". Du jazz manouche, si possible, évidemment. Une passion ça se partage et ça se transmet. Pierre a contaminé Céline, lors de sa découverte du musée.

"Je connaissais pas vraiment la vie des tziganes. Un jour, un ami qui était maréchal-ferrant est venu me rendre visite. Dans sa jeunesse, il avait fait la route en roulotte et j'ai trouvé par hasard le musée. Je suis arrivé ici en 2014 et je n'en suis quasiment jamais reparti." Un double coup de cœur qui aboutira à l'union de Pierre et Céline. Un mariage célébré forcément au pays des roulottes. "Il m'a transmis le virus", confie-t-elle, toujours prête à donner un coup de main à son époux. Ce dernier n'a qu'une volonté : "sauver les roulottes et faire partager cette vie de bohème". La découverte de ce patrimoine dépasse même les frontières.

"Il y a quatre ans, 74 brésiliens sont venus voir les roulottes", se réjouit Pierre. Internet est un outil bien utile pour créer un réseau avec une page Facebook qui dépasse les 8 000 abonnés. Malgré le passage à la location, les visites se poursuivront sur rendez-vous.

Des roulottes de 1870 au film "Chocolat"

L'extérieur et l'intérieur de la roulotte utilisé dans le film Chocolat avec Omar Sy (photo Corentin Corger)

Forcément quand on se trouve au milieu des ces 14 pièces toutes aussi différentes et originales les unes que les autres, on a envie de connaître leurs histoires. Impossible de repartir sans le récit de Pierre. Ce qui fait la renommée du site c'est que la plupart des roulottes ont servi aux tournages de longs-métrages comme Liberté de Tony Gatlif (2009), Les Lyonnais d'Olivier Marchal (2011) et Chocolat de Roschdy Zem (2016). Neuf au total, dont deux qui ne sont pas encore sortis à l'écran. "Si vous voyez un film avec des roulottes, il y a de fortes chances qu'elles viennent de chez nous", sourit Pierre.

Même si cela abîme les structures, "une roulotte était fabriqué pour être tiré à 5 km/h par un cheval et non pour être transporté sur un camion à 90 km/h", le propriétaire loue ses biens pour des films. Notamment Chocolat avec Omar Sy qui a nécessité de petits ajustements. Attention, secrets de tournage. "Omar Sy mesure près de deux mètres, il était donc trop grand pour tenir debout dans une roulotte du XIXe siècle. Les Tziganes mesuraient 1,60 mètre. On a créé deux vraies fausses roulottes, avec des panneaux qui s'ouvrent de chaque côté pour faire passer les caméras". Pierre a conservé une réplique, la deuxième a été offerte par la production à Omar Sy, qui l'a exposé dans le jardin de sa résidence de Saint-Rémy-de-Provence. Un film qui a d'ailleurs reçu un césar pour le meilleur décor.

La boule de voyance de la diseuse de bonne aventure et trois roulottes de la collection de Pierre (photo Corentin Corger)

Avec toute cette énergie dépensée et l'investissement financier, 800 000 euros pour l'intégralité du site, Pierre ne compte pas ses heures pour remettre en état ses bijoux historiques : "chaque roulotte demande entre 1 000 et 1 500 heures de travail." Mais ce dernier veut respecter l'histoire et ne veut pas "faire n'importe quoi et sauver un état d'esprit. J'ai refusé le tournage du Sac de billes parce que durant la seconde guerre mondiale avec le nazisme c'était impossible de trouver des roulottes. Tu te faisais arrêter direct !"

 Un homme investit d'une mission, "je suis le garde-fou de tout ça". Parmi les autres roulottes, celle d'une diseuse de bonne aventure de 1870 ou encore celle d'un clown qui avait installé un velux pour voir les étoiles. On apprend que trois choses étaient interdites dans la roulotte : naître, manger et mourir.

Envie d'en savoir plus sur la culture gitane ou simplement d'un dépaysement total, Pierre et Céline vous attendent. Guitares, chemises bariolées et chevalières acceptés...

Corentin Corger

Corentin Corger

A la une

Voir Plus

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio