Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 01.11.2018 - anthony-maurin - 5 min  - vu 984 fois

FAIT DU JOUR Men in black, à votre service

Le corps est porté, toujours (Photo illustration Anthony Maurin).

Le silence avec un grand S (Photo illustration Anthony Maurin).

C’est la Toussaint et forcément, les vivants se rappellent de leurs morts. À cette occasion et pour changer des traditionnelles sélections de chrysanthèmes, Objectif Gard a décidé de suivre les travailleurs de l’ombre, les men in black des funérailles.

Rendez-vous est pris devant la morgue de l’hôpital de Nîmes. Lieu atypique pour une rencontre qui le sera tout autant. Les voitures se succèdent, les visages tendus ou larmoyants aussi. Le ballet des corbillards a commencé depuis quelques minutes, ici, la mort règne mais la vie prend constamment le dessus. Amour du métier, rigueur, propreté et ponctualité sont les maîtres-mots de la profession de « porteur ».

La société 3F services, spécialiste des services funéraires depuis février dernier, emploie 12 personnes. Elle est basée à Jonquières-Saint-Vincent et œuvre comme prestataire habilité par la Préfecture pour une vingtaine de pompes funèbres, dans le Gard, le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône et la Lozère.

Maître de cérémonie (MC pour les intimes), porteur, fossoyeur et bientôt thanatopracteur sont les métiers familiers de la société quasi familiale. Réduction de corps, réquisition, ambulance pour corps décédé, nettoyage et regroupement sont le quotidien de 3F Services.

L'équipe du jour attend devant la morgue de l'hôpital de Nîmes (Photo illustration Anthony Maurin).

« Les pompes funèbres sont nos clients, nous nous intégrons à leur fonctionnement. Il faut toujours être carré, on fait le maximum pour qu’au regard de la famille il ne reste que le défunt. Nous devons passés inaperçus, pour la famille, le cercueil doit être la mire », débute Fabien, le patron.

En cette matinée ordinaire, deux salariés à Port-de-Bouc, quatre à Nîmes, quatre autres à Arles et quatre à Collias. Cet après-midi, il y en aura un à Tarascon, deux à Port-de-Bouc et quatre autres sur une autre inhumation.

Tous les mêmes

La société fournit deux costumes, quatre chemises, des pantalons, des cravates et leur pince et des chaussures de sécurité. Le fossoyeur a même droit à des baskets coquées. « Sous leurs tenues, ils mettent des strings ! » plaisante le gérant d’une société de pompe funèbre.

Tout doit être calculé et pensé pour ne pas ralentir la procédure. Les familles ne doivent s’apercevoir de rien. On sort les outils, on prépare les affaires, on parle itinéraire, on vérifie la propreté du costume et on commence. Garder le visage fermé de la solennité, mais les yeux ouverts aux indicibles requêtes. Parfois, des yeux embués croisent un sourire réconfortant. Savoir s’effacer en étant omniprésent.

Déjeuner sans démon pour ces anges de l'invisible (Photo illustration Anthony Maurin).

La société compte cinq « anciens » qui ont plus de 15 ans d’expérience dans la profession. « Grâce à des affinités, il nous suffit de nous regarder pour se comprendre. Il faut que chacun soit polyvalent tout en ayant une petite spécificité », explique Fabien. On fait ce métier parce qu’on l’aime. D’ailleurs, on ne dit pas croque-mort mais porteur.

Passionné, simplement

D’autres, plus jeunes comme Loïc, se sont carrément trouvés une passion et continuent leur aventure en passant des diplômes. « Je suis entré dans la société à son ouverture, avant j’étais salarié à Auchan ! J’ai commencé à côtoyer des thanatopracteurs et je me suis vite intéressé au métier, je suis actuellement en formation. J’ai cette facilité à dissocier ma vie privée de ma vie professionnelle alors tout va bien mais il faut savoir le faire. J’aime ce métier, il faut être respectueux car on traite une personne humaine », assure Loïc qui aime se promener avec sa copine, jouer aux jeux vidéos ou bricoler. Un gars normal, quoi.

C’est grâce au thanatopracteur que le défunt peut être décemment présenté à la famille lors de sa mise en bière. Les familles peuvent se recueillir environ 45 minutes avant la levée du corps. Si on change de ville, on met des scellés. « On porte le corps, toujours. C’est plus respectueux, plus élégant. » Le convoi démarre. Attendre les voitures, regarder dans le rétro et éviter les excès de vitesse. Pour Fabien, « À Nîmes, avec la circulation, on perd souvent une partie du cortège. Parfois, on est contrôlé par la police et les familles ne comprennent pas. Ils pourraient le faire ailleurs comme à l’église mais bon. »

Image négative et vision déformée

Dans la profession, beaucoup de salariés sont exploités. Les horaires et le salaire ne sont pas souvent au rendez-vous du contrat. Parfois, le contrat lui-même est inexistant. Presque tous les employés de 3F Services étaient en microentreprise avant d’être embauchés. Pour Pascal qui a connu l’esclavagisme des temps modernes, trouver une telle société le comble de joie : « J’aimais mon métier et n’être payé que 300 euros par mois était secondaire, mais au bout d’un moment... »

Toujours prêts à agir (Photo illustration Anthony Maurin).

Et Fabien de reprendre : « on nous demande souvent comment on peut faire ce métier ? Mais on aime le faire, c’est tout. Mes enfants, petits, ne comprenaient pas mon métier et ils disaient que je tuais les gens… Une personne de leur école est décédée et je me suis chargé des funérailles. Ils m’ont vu travailler et ont compris mon rôle. Maintenant ils disent que je prends soin des morts et que je les enterre mais nous n’en parlons pas à la maison. »

Complicité et décompression

Fumer semble être courant. Les journées sont longues et l’attente l’est encore plus. Entre les coups de chaud où il faut être irréprochable, les instants figés sont longuets. On se détend comme on peut, on décompresse en toute discrétion et on fume, beaucoup. « Ah, j’allais fumer mais ça va être l’heure. Pendant la cérémonie nous avons deux personnes à l’intérieur, mais nous restons dehors pour grignoter. On parle de tout et de rien mais rarement de funéraire. On a fait le point le matin avant le départ alors maintenant, on blague, on rit. On peut parler de foot, de nos problèmes, de notre vie quotidienne. Nous devons être soudés, créer des liens. Nous nous réunissons une fois par mois pour créer cette complicité. Nous faisons aussi des sorties en famille à la neige ou en canoë », avoue Fabien.

Entre eux, les porteurs ont des surnoms. Caterpillar pour celui qui a une force herculéenne. Les curés ont aussi droit à leur surnom. Peu de femmes sont « porteurs ». « J’ai connu deux femmes qui portaient des cercueils mais c’est très rare. C’est comme pour les hommes sages-femmes ! », pense Fabien.

Anecdotes, pour le meilleur et le pire

« Les musiques choisies sont parfois osées ! On a déjà entendu Michaël Youn et les Bratisla Boys avec Stach Stach…On a eu envie de rire mais nous nous sommes retenus. Pareil quand un clown se fait inhumer, nous avons vu des numéros de cirque sur l’autel. Les applaudissements quand un cercueil passe nous font toujours quelque chose, nous sommes systématiquement touchés. Parfois, quelque chose nous raccroche à nos vies », rappelle Fabien qui, en passant dans les allées d’un cimetière, évoque la présence de son frère non loin de là.

À chaque mort son bracelet d’identification. « Si on ne le fait pas, ça peut être dramatique. Certains ont déjà envoyé un corps à la crémation au lieu d’une inhumation… Moi, j’évite ! », avertit avec le sourire Fabien. Autre anecdote, lors d’une cérémonie en l’église de Bagnols-sur-Cèze, lieu de culte aux portes vitrées « on a entendu des talons aiguilles approcher. En nous retournant, on a vu une mamie s’écraser comme une mouche contre les vitres propres. Elle a dû avoir un sacré bleu. »

Ouverture de caveau (Photo illustration Anthony Maurin).

Se restaurer peut aussi devenir un défi. Un sandwich, « jambon-beurre pour ne pas se tâcher, ceux qui ne conduisent pas ont droit à une rondelle de tomate en plus ! Jamais rien qui coule, même si les costumes sont difficiles à tâcher il ne faut pas faire n’importe quoi. » Avalé, le repas doit l’être avec vélocité et prestance s’il vous plaît. Telle est la vie de ces porteurs de vérité.

Comme dans toutes les professions où le moral est mis à l’épreuve, on se regroupe, on va déjeuner et on dit toujours une petite connerie pour se protéger. Certains n’arrivent pas à dépasser le deuil d’un proche et ne tiennent pas longtemps dans le métier. Il y a des mises en bière plus marquantes que d’autres. « La semaine dernière, nous nous sommes occupés d’un enfant de huit ans, c’était très dur. J’ai aussi fait un père assassiné par ses enfants et comme c’est un devoir légal, la famille a dû faire les démarches comme si de rien n’était », se souvient Fabien.

Préparation de la cérémonie au cimetière (Photo illustration Anthony Maurin).

Anthony Maurin

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