Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 13.12.2018 - corentin-corger - 5 min  - vu 4838 fois

FAIT DU JOUR Invendus de presse : Sotraco fait un tabac

Portrait d'une entreprise créée à Manduel, fraîchement installée à Beaucaire, spécialisée dans les invendus de presse et de librairie.
En 2018, Emmanuel Gaudin, président de Sotraco, dans les nouveaux locaux (photo Corentin Corger)

Avec Sotraco tous les magazines et jeux invendus trouvent une deuxième vie (photo Corentin Corger)

Installée à Manduel en 1973, l'entreprise Sotraco, spécialisée dans les invendus de presse et de librairie, vient d’emménager à Beaucaire. Une histoire de locaux mais surtout d'hommes, des chefs d'entreprise aux salariés. 

Arrivé d'Afrique et ne voulant pas "habiter à Maubeuge (Nord)", Christian Schlesinger, âgé à l'époque de 30 ans, s'installe à Manduel en 1973. "J'avais une connaissance dans la presse qui faisait des promotions avec plusieurs vieux numéros de magazines et ça marchait bien. Ça m'a donné une idée." L'entrepreneur va l'approfondir et monter à Paris pour contacter les éditeurs de la presse afin de récupérer leur stock d'invendus : "ils avaient besoin de moi autant que moi j'avais besoin d'eux." 

Paris Match, pour en citer un, lui livre donc d'une semaine à l'autre les numéros qui prennent la poussière dans les réserves des tabacs-presse. L'idée est de faire des lots et de revendre trois, quatre magazines au prix d'un, dans les aires d'autoroutes, supérettes de plage et désormais grandes surfaces. Le succès fut rapide et des wagons entiers venus de toute la France débarquèrent à Manduel : "Javais racheté la gare marchandise car le chemin de fer passait devant l'entreprise. Elle a été supprimée il y a quelques années pour le contournement TGV." Progressivement les camions ont remplacé le train et l'activité s'est poursuivie.

Comment ça marche ?

L'essentiel du travail consiste à reconditionner les magazines et composer les nouveaux lots (photo Corentin Corger)

Concrètement, pour racheter les invendus de presse, Sotraco travaillait avec une cinquantaine d'éditeurs et autant de grossistes pour distribuer la marchandise reconditionnée. Pour être plus efficace, Sotraco a carrément racheté une dizaine de ces structures tout en prenant en compte un maillage équitable du territoire avec des points à Amiens, Rennes, Saintes, Dax, Roanne, Besançon... Le système est simple : les éditeurs s'occupent de faire le tour des tabacs-presse. Ensuite tout est rassemblé puis acheminé dans le Gard.

Le travail de la plupart des salariés consiste à réaliser des lots de trois magazines et d'enlever le plus produit que l'on peut trouver sur certaines revues comme Public. À prix cassée, la marchandise repart dans les différents centres pour trouver une deuxième vie. En 2012, afin de diversifier l'activité, Emmanuel Gaudin, le nouveau propriétaire, se lance dans les invendus de librairie. "Quand un libraire estime qu'un auteur ne vend plus... Par exemple un livre à 50 euros, on va lui racheter à 15 €", explique t-il. Disney Hachette Presse avec le célèbre Picsou magazine, les bandes-dessinées de chez Glénat ou encore les livres de chez National Geographic garnissent par milliers les étals du hangar de l'entreprise qui réalise 3,5 millions € de chiffre d'affaires par an.

"Il n'y a pas vraiment de contrats établis avec les maisons d'édition mais c'est en fonction des opportunités", constate M. Gaudin. "Un exemplaire de Disney, même de 2004, se vend encore. C'est intemporel. Comme les mots croisés. Un magazine auto au bout de six mois, il est obsolète. Là, voyez on ressort les conseils hiver de la saison dernière." D'où l'importance d'étudier le marché avant de relancer un produit.

Mais comment se fait-il qu'à l'heure du numérique, les français consomment encore des magazines et des livres invendus ? "Concernant les enfants en bas âge, il y a un attachement au papier pour le coloriage. Pour la presse féminine, c'est plus compliqué. Mais l'été pour la plage le côté pratique du magazine l'emporte sur la tablette. Et pour les livres, la liseuse n'a pas eu l'effet escompté et le public aime le format papier", détaille le dirigeant de Sotraco. L'été la société réalise 30% de son chiffre d'affaires du 15 juin au 15 août. Noël marche aussi fort avec 15% des ventes réalisés durant cette période. En 2019, l'entreprise veut se développer davantage sur le web avec le site sotracopresse.fr et toucher directement les particuliers.

De Schlesinger à Gaudin

En 2010, Emmanuel Gaudin, à gauche, accompagné d'un actionnaire, au centre, et de Christian Schlesinger, le fondateur de Sotraco (photo Sotraco)

En 2010, Sotraco a pris un nouveau tournant lorsque Emmanuel Gaudin, décide de racheter l'entreprise. "Il bossait dans une boîte à laquelle je vendais le papier et il était bon en négociations. Je lui disais que je pensais à lui pour prendre ma place", se souvient le fondateur de la société. Après quatre années de collaboration, il lui laissa son bébé. "Il avait toujours son bureau même s'il n'était plus là et parfois je lui demandais conseil", admet Emmanuel Gaudin. "Les cimetières sont pleins  d'irremplaçables", répond modestement Christian.

Le repreneur avait fini de payer en 2017 et a souhaité devenir propriétaire. Pour l'anecdote, il est né l'année où Sotraco a vu le jour. 45 ans plus tard, la société vient d'emménager à Beaucaire ou d'ailleurs quelques bricoles, comme l'installation de la ligne téléphonique, restent à peaufiner. Sotraco a donc quitté ses locaux qui ont fait sa fortune, au grand dam de son créateur ? "Ça m'a surtout emmerdé de perdre un locataire !", plaisante le retraité de 75 ans qui vit désormais à Sitges en Espagne. "Il était contraint de partir, c'est une évolution normale. Je ne lui en veux pas", poursuit-il plus sérieusement.

De Manduel à Beaucaire

L'actuel gérant a envisagé plusieurs scénarios pour finalement choisir de s'installer à la zone industrielle Domitia à Beaucaire. Une opportunité s'est présentée avec une subvention de 30 000€ versée par la CCBTA (Communauté de communes Beaucaire Terre d'Argence) au titre de l'aide à l'immobilier d'entreprise. Un soutien qui va en entraîner un autre, celui de la Région pour un montant de 370 000 euros. En échange, le chef d'entreprise s'engage à créer cinq nouveaux emplois d'ici trois ans. Une personne a déjà été embauchée.

Au niveau du local, Sotraco est passé de 5 000 à 3 400 m2. L'emprise au sol s'est réduite pour empiler des palettes remplis de magazines, livres, BD sur cinq étages. Il a fallu 80 voyages de semi-remorques pour déménager toute la marchandise évaluée à environ 900 000 euros. L'intégralité du personnel sera transféré sur le nouveau site au 31 décembre.

Une aventure humaine 

Manuel dit "Manolo" a gravi tous les échelons en 30 ans de boîte (photo Corentin Corger)

Quand on s'intéresse à l'entreprise Sotraco on se rend compte que les liens ne se limitent pas aux deux patrons qui se sont succédé. Lorsqu'on déambule dans les hangars, on rencontre des salariés de tout âge. Dans son coin, Josette, 67 ans, continue de travailler. Partie à la retraite, elle a décidé de revenir à Sotraco, "ce que je fais ici ce n'est pas trop fatiguant", explique cette résidente de Comps, dont la tâche est de reconditionner les magazines. Son patron actuel l'a toujours connue : "à son âge personne ne lui arrive à la cheville en terme de rendement", concède t-il.

Sotraco a connu ce succès grâce aussi à des salariés dévoués, motivés par une prise de conscience que le patron avait besoin d'eux et vice-versa. La vingtaine de salariés pourra désormais déjeuner dans un réfectoire tout neuf. En parlant de salarié dévoué, le patron conclut la visite dans le bureau de Manuel Murcia, surnommé Manolo qui approche les trente ans d'ancienneté. "Je suis arrivé à 16 ans comme apprenti et maintenant je suis chef de dépôt. Je fais partie des murs." Il a connu l'évolution et son fils ainsi que sa belle-fille ont intégré l'aventure. Cette dernière n'est pas prête de s'arrêter, tant que Sotraco continuera de faire un tabac.

Corentin Corger 

Corentin Corger

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