Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 02.03.2019 - thierry-allard - 3 min  - vu 1109 fois

BAGNOLS Élina Dumont, quinze ans à la rue : « la vie ce n’est pas avoir, c’est être »

L'auteure et comédienne Élina Dumont, vendredi soir à Bagnols (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

L’auteure et comédienne Élina Dumont était à Bagnols vendredi pour parler de son livre, Longtemps, j’ai habité dehors, dans le cadre du festival Femmes du monde, consacré cette année à la précarité et à la dignité.

Un ouvrage autobiographique où elle raconte ses quinze ans à la rue. Placée à sa naissance à l’Aide sociale à l’enfance, elle se retrouve à 18 ans, à la fin de la prise en charge, dehors. « La rue m’ouvrait grand ses bras », lance-t-elle, ouvrant un chapitre de quinze ans de vie dehors : « Je n’y croyais pas quand le foyer m’a dit : ‘il faut que tu partes’, je ne me suis pas rendu compte que j’étais à la rue. » Alors au Mans, elle décide de partir à Paris et en Seine-et-Marne où elle avait noué quelques contacts lors de ses fugues précédentes, « mais personne ne m’a ouvert sa porte, toutes les excuses étaient bonnes. »

Alors ce sera la rue à Paris, « où ce sont les plus débrouillards qui s’en sortent, il faut être imaginatif. Quand on commence à faire la manche, c’est mal parti. Je n’ai jamais fait la manche, je ne pouvais pas. » Débrouillarde, Élina Dumont l’a été, assurément. Elle raconte les boîtes de nuit gratuites pour les femmes en semaine où elle passait des nuits, ou encore la technique « des cachetons » : « un jour un copain sans-abri m’a donné des cachetons, je suis tombée dans les pommes et me suis retrouvée à l’hôpital où j’ai été peinarde pendant plusieurs jours. J’ai utilisé cette technique et j’ai fait tous les hôpitaux de Paris. » À 19 ans, elle atterrit à Sainte-Anne, « où mon seul objectif, c’était qu’ils me gardent. » Elle est finalement mise sous tutelle par un juge de ses 19 à ses 21 ans.

« Il y a quelque chose dans mes entrailles, comme si la rue était à l’intérieur de ma vie »

Loin d’être la fin de son parcours à la rue. Elle tombe dans le crack, subit des « relations sexuelles violentes », selon ses termes, et évite le piège de la prostitution : « au début on vous héberge gratuitement, et après il faut payer, raconte-t-elle. J’ai des copines qui sont tombées dans la prostitution comme ça. » Elle amorce sa sortie de la rue par une rencontre avec l’écrivaine Marie Desplechin, chez qui elle fait d’abord du babysitting, avant que l’écrivaine ne lui loue une chambre de bonne en 2002, où elle vivra pendant dix ans. Après avoir touché au théâtre en 1998 dans le cadre d’un projet autour des sans-abris au Théâtre national de Chaillot, « un outil formidable qui permet de reprendre contact avec son corps », elle prend des cours de théâtre et fait l’objet d’un portrait dans Libération. C’est là que l’éditeur Flammarion la contacte, et lui demande de se raconter dans un livre, Longtemps j’ai habité dehors, sorti en 2013.

Aujourd’hui, elle joue un spectacle et reste engagée pour les sans-abris. Candidate aux élections européennes sur la liste du PCF conduite par l’élu au logement de Paris Ian Brossat, elle emmène des politiques pour des maraudes pour les sensibiliser et a monté une association pour « faire du social à (sa) manière. » « Il y a quelque chose dans mes entrailles, comme si la rue était à l’intérieur de ma vie, explique-t-elle. Chaque fois que je vois un truc qui me révolte, je retourne au combat. Je me sens responsable, je ne peux pas laisser tomber. » Elle milite notamment pour les enfants de l’Aide sociale à l’enfance, et pour que les sans-abris passent par la case soin psychiatrique : « pour s’en sortir, il faut passer par le soin, je ne serais plus là sans mon psy. La rue développe des maladies semi-psychiatriques. » D’ailleurs, Élina Dumont a quelques séquelles et se dit « incapable de faire confiance à un homme, d’avoir une relation amoureuse », et être « agoraphobe, claustrophobe et un peu parano. »

Aujourd’hui, Élina Dumont vit « dans un 19 mètres carrés, je ne gagne pas grand chose, mais je suis heureuse », affirme-t-elle. « Je sais ce que veut dire la survie, mais aujourd’hui, je sais aussi ce qu’est la vie, conclut-elle. La vie, ce n’est pas avoir, c’est être. »

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectifgard.com

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