FAIT DU JOUR Enfant du Distilbène, elle raconte son combat pour être mère
Une fausse couche, une autre grossesse difficile durant laquelle elle se retrouve alitée de longs mois bourrée de médicaments, un conisation du col de l'utérus pour éviter d'éventuels cancers... Malgré toutes ces épreuves, Karen Libutti, habitant Pujaut, a fait la paix avec son corps. Elle a décidé de témoigner avec sa mère, Pamela Solère, dans le livre "Les Résistantes" de Florence Méréo sorti en novembre 2019.
Karen Libutti est ce qu'on appelle une "fille DES", abréviation du diéthylstilbestrol. Cette hormone féminine de synthèse est davantage connu sous son nom commercial, le Distilbène. Ce médicament était donné aux femmes enceintes pour leur éviter les fausses-couches de 1948 à la fin des années 70. Il a été retiré du marché français en 1977 car inefficace. Pire, il s'est avéré qu'il a causé de vrais problèmes de santé sur les enfants portés pendant la prise. Et Karen Libutti n'a pas été épargnée.
Elle est née en 1973, dernière d'une fratrie de quatre enfants. Lors de sa grossesse, sa mère, Pamela Solère, alors âgée de 36 ans, cède à la pression du médecin et prend du Distilbène. Quelques années plus tard, le scandale éclate autour du médicament et de ses effets néfastes.
Dès que Karen atteint l'âge de 13-14 ans, sa mère décide de l'avertir. De lui dire qu'il risquait d'y avoir des conséquences. "Quand on est adolescente, on ne veut pas trop entendre. Je me suis créée un système d'autoprotection", raconte Karen Libutti. Mais ne pas laisser les non-dits s'installer a permis à la mère et la fille de garder une relation forte. Même si du côté de Pamela, la culpabilité est dure à chasser.
Elle a dû renoncer à ses rêves de famille nombreuse
Le parcours du combattant de Karen a commencé quand elle a voulu avoir un enfant avec son mari, Stéphane. "Quand j'ai arrêté la pilule, on s'est rendu compte que je n'ovulais pas du tout ou quelques heures seulement. J'ai été d'entrée sous hormones pour essayer de tomber enceinte. Au final, j'ai fait une fausse couche au bout d'un mois", confie la Gardoise. Son col de l'utérus est très petit et fragile. Une déformation due au Distilbène. Il semblait quasiment impossible pour elle de porter un enfant.
Pendant presque deux ans et demi, elle se fera des piqûres quotidiennes dans le ventre. Ses rapports sexuels sont prévus à la minute près, lorsqu'une fenêtre d'ovulation se présente enfin. "Je l'ai complètement caché au travail. Je disais que j'avais rendez-vous à la banque alors que j'allais chez le gynéco", atteste-t-elle.
Elle finira par retomber enceinte mais cela s'annonce compliqué. Dès un mois et demi de grossesse, elle ressent des contractions et est contrainte de rester alitée, sur-médicamentée. Finalement, le miracle se produit. Allan vient au monde en 2004 avec cinq semaines d'avance. Aujourd'hui âgé de 15 ans et demi, le garçon est en pleine santé.
Il aurait aimé avoir un petit frère ou une petite sœur mais Karen n'a pas pu : "Quand j'ai eu 40 ans, j'ai tout arrêté, c'était la limite d'âge que je m'étais posée." Elle a aussi subi une conisation (retrait d'une partie du col de l’utérus, NDLR) pour éviter des cancers liés au Distilbène. Pour se préserver, la Gardoise a souvent fait le vide entre son esprit et son corps qui subissait des violences.
D'autant qu'elle est aussi prédisposée au cancer du côlon, étant porteuse d'une anomalie au gène MLH1. Ce syndrome de Lynch qui a emporté son père et son frère... Alors, elle accorde une surveillance toute particulière à son corps et passe régulièrement des examens médicaux.
Depuis quatre ans, elle fait partie du réseau DES France et a même intégré le conseil d'administration en janvier. Une association où sa mère Pamela s'investit depuis 20 ans, en parallèle de son activité de formatrice au Planning familial. Contrairement à d'autres duos mères-filles, elles ont préféré s'engager dans l'associatif plutôt que d'emmener l'histoire devant les tribunaux "pour avancer et pas revenir en arrière".
Elles ont confié leur histoire à la journaliste Florence Méréo qui l'a couchée sur le papier avec d'autres récits autour du lévothyrox, la dépakine, les prothèse PIP... En est né l'ouvrage "Les Résistantes", sorti en novembre 2019. "Je n'en ai jamais voulu à ma mère, au contraire. J'avais beaucoup de peine pour elle. Mais j'ai beaucoup de colère envers les labos pharmaceutiques. Ce n'est pas normal de tromper les femmes comme ça", lance Karen.
Aujourd'hui, elle s'engage aussi dans sa ville de Pujaut en tant que membre du comité des fêtes mais aussi à la FCPE du lycée Jean-Vilar à Villeneuve-lez-Avignon. "Le distilbène, ça ne tue pas, ça rend plus fort. Ça m'a donné la rage d'avancer". À 46 ans, cette assistante commerciale a encore des projets à mener notamment celui de faire venir la pièce "Speculum : 2021 l'Odyssée du corps des femmes" au Festival d'Avignon.
Marie Meunier
"Les Résistantes", Florence Méréo, HarperCollins, 208 pages,16 €.
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