Publié il y a 8 mois - Mise à jour le 03.08.2023 - Boris de la Cruz - 5 min  - vu 2114 fois

LES HISTOIRES DE L'ÉTÉ Le retour sur scène d'un vétéran braqueur, roi de la belle

La cour d'assises de Nîmes 

- Photo Tony Duret / Objectif Gard

Chaque jeudi, cet été, Objectif Gard vous propose de vous plonger dans un fait divers récent. Le retraité Jimmy Ségura (62 ans), qui s’est évadé de la prison centrale de Clairvaux et du tribunal de Nîmes, a été victime d’une tentative de meurtre. Cet article est issu du numéro 61 dans Objectif le Magazine, paru en janvier 2023. 

On ne sort pas du banditisme. Exemple concret le 15 décembre 2022. Un homme s’approche ce matin-là du parking d’un supermarché de la route d’Arles à Nîmes. Il a rendez-vous et ne s’attend pas à une exécution d’autant que les services d’enquête le croient retiré du monde des voyous. Une moto s’approche avec deux hommes sur la bécane. Des tirs retentissent. Blessé, Jimmy Ségura parvient à se réfugier dans le commerce. Atteint par des projectiles, il est pris en charge par les secours.

Le miraculé va s’en sortir, mais rapidement la piste d’une erreur sur la personne est écartée. Et pour cause… La victime de cette tentative de meurtre est fichée depuis des lustres au grand banditisme. Son seul nom évoque de nombreux souvenirs noirs de braquages dans le Gard. Le sexagénaire Jimmy Ségura est aujourd’hui un vétéran du banditisme, membre éminent avec son frère André et Pascal Hernandez d’un groupe de braqueurs nîmois qui ont multiplié les actes criminels dans la région durant les années 80.

Évasion mortelle à Clairvaux

Ils ont longtemps défrayé la chronique policière et judiciaire. « C’est une autre époque. Celle où les bandits avaient, malgré la violence et les actes, un certain panache. Des gens qui braquaient les banques, ce que l’on ne voit plus aujourd’hui tellement elles sont sécurisées », se souvient maître Michelle El Baz, dont le plus grand souvenir pénal concerne justement les dossiers de Jimmy Ségura. « C’était un truand mais un homme poli, courtois. Lorsque j’allais le voir en détention, il était d’une correction exemplaire. La veille de son procès aux assises en 1986, il était plus serein que les avocats. Il m’a dit calmement : "Ne vous inquiétez pas maître, on verra bien demain" », raconte avec le sourire maître El Baz.

Car Jimmy Ségura, outre les braquages de banques, possède une autre corde à son arc, celui de spécialiste de la "belle"... Il a fait partie des membres de l’évasion meurtrière de Clairvaux, dans l’Aube, une équipée criminelle qui a marqué les esprits et qui a laissé sur le carreau deux morts dont un agent pénitentiaire et un détenu. Ségura faisait partie de cette équipe de neuf détenus. Ils sont parvenus à quitter les lieux en menaçant un surveillant dans la salle de sport puis en démolissant la porte avec un camion pour sortir de cette prison qui, à l’époque, avait la réputation d’accueillir les grosses pointures du crime. Une "centrale" dont on ne s’évadait pas, selon les autorités, jusqu’à ce jour de septembre 1992. Pour Ségura, la liberté ne durera pas et, un mois plus tard, il sera interpellé, suspecté de vouloir commettre un nouveau braquage pour financer sa cavale.

Évasion et braquages à Nîmes

Si Jimmy est connu en France dans le monde de la pénitentiaire, il a aussi marqué de son empreinte Nîmes et ses environs. « J’ai connu le petit Ségura en garde à vue pour le vol d'un deux roues alors qu’il était mineur. Puis il a commencé les cambriolages, avant de passer aux braquages. Jamais je n’aurai pu imaginer une telle progression dans le banditisme », estime un vieux briscard de l’investigation, aujourd’hui retraité.

Car, avant cette évasion spectaculaire de Clairvaux en 1992, il était parvenu à se faire la belle de la prison de Nîmes. C’était le 22 octobre 1986. Cette semaine-là, il était jugé devant les assises du Gard avec son frère André, Pascal Hernandez, et un autre accusé. Le vieux palais de justice de Nîmes était en ébullition pour accueillir des hommes qui avaient déjà tous un pedigree d’évasion ou de tentatives sur leurs profils judiciaires. « C’était une audience exceptionnelle en termes de sécurité, avec des policiers à tous les en-droits stratégiques », explique un policier qui a connu cette période.

Photo d'illustration de l'actuelle prison de Nîmes  • Photo : Coralie Mollaret

Le quatuor emmené par les frères Ségura est accusé du braquage d’une banque sur le boulevard Pompidou en 1984. Durant les débats, lors du premier jour, l’ambiance va s’alourdir avec un accusé qui reprochera à plusieurs reprises à un policier de l’avoir violenté pour lui extorquer ses aveux. Il prétend avoir été frappé à coup d’annuaire téléphonique. Lorsqu’au terme de cette première journée les accusés quittent le tribunal de Nîmes, ils partent sous très haute escorte à la maison d’arrêt de Nîmes. C’est le lendemain matin que la stupeur va gagner la salle d’audience avec une rumeur qui se répand comme une traînée de poudre : les spécialistes de l’évasion auraient réussi à prendre la poudre d’escampette.

Une rumeur vite avérée puisqu’un seul détenu est présenté à l’audience. Il a refusé de suivre les frères Ségura et Hernandez et il veut faire face aux jurés pour prouver son innocence. Pour sa part, le trio infernal est déjà loin. Une heure avant leur transfert vers le palais de justice de Nîmes, ils se sont évadés, en menaçant un surveillant avec un pistolet et une grenade qu’ils ont fait semblant de dégoupiller.

On saura plus tard que les armes et munitions avaient été confectionnées avec du pain et du carton ! En passant à la fouille obligatoire avant de pouvoir quitter la prison pour le tribunal, les frères Ségura sont contrôlés, mais rien n’est trouvé sur eux. Hernandez se présente et sort l’arsenal. Sous la menace, les agents pénitentiaires accompagnent les trois complices vers la porte de la liberté. Le reste du procès se déroulera sans eux et le seul qui avait refusé de fuir sera condamné à une peine de prison presque anecdotique pour un braquage. Les trois fuyards recherchés partout en France sont condamnés par contumace. Ils seront arrêtés quelques mois plus tard.

Un annuaire en cadeau au président de la cour d'assises 

« On pouvait discuter avec ces gens-là. Jimmy Ségura était une personnalité différente. Il avait choisi cette vie et se faisait un devoir de ne jamais utiliser son arme pendant les braquages. Il m’écrivait de la maison d’arrêt, d’une belle écriture et sans faire une faute. Il était plutôt intelligent », reprend son conseil de la première heure, maître Michèle El Baz. Intelligent certes, mais braqueur et « roi de l’évasion ». Anecdote ou légende, quelques jours après l’évasion de 1986 à la prison de Nîmes, il se murmure que le président de la cour d’assises du Gard a reçu un petit cadeau des fugitifs... Dans un carton reçu au palais de justice et à l’adresse du président, il y avait un annuaire téléphonique comme un clin d’œil au premier jour d’audience et à ce policier qui aurait frappé un accusé pour lui extorquer ses aveux.

Avec la tentative de meurtre le 15 décembre dernier sur Jimmy Ségura, l’antenne de la police judiciare de Nîmes va plonger dans les méandres des grandes années du banditisme gardois. Jimmy Ségura est sorti de l’hôpital. Malgré ses blessures, ses jours n’ont ja-mais été en danger. On le pensait "rangé des voitures" comme on dit dans le jargon policier. Comme les gens de son niveau, il reste silencieux sur les circonstances de la fusillade dont il a été victime. Il prétend ne pas savoir qui a pu vouloir l’éliminer… Une allégation à laquelle nous ne sommes pas obligés de croire.

Boris de la Cruz

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