Publié il y a 30 jours - Mise à jour le 31.03.2024 - Boris De la Cruz - 8 min  - vu 1398 fois

FAIT DU SOIR Agressions, stupéfiants, cambriolages... La délinquance passée au crible du commissaire Dumas

Photo, le commissaire Emmanuel Dumas lors de son installation à Alès.

Le commissaire Emmanuel Dumas, patron des policiers alésiens, fait un point complet sur la délinquance dans la circonscription....

Objectif Gard : Vous avez été longtemps commissaire à Nîmes, chef des policiers en tenue puis de l'investigation. Depuis votre arrivée à Alès en septembre dernier, avez-vous remarqué des spécificités alésiennes en termes de délinquance ?

Emmanuel Dumas : On retrouve des traits communs à toutes les villes de la bordure méditerranéenne. Toutefois, Alès, ancien bassin industriel en reconversion, présente trois thématiques en matière de délinquance à mon sens : un volume important de violences non crapuleuses, c’est-à-dire ces violences dites gratuites (intrafamiliales, entre voisins ou pour un simple regard), les stupéfiants qui sont un vrai sujet, enfin, les cambriolages par des équipes locales ou itinérantes même si, sur le temps long, le phénomène est moins important qu’il y a dix ans.

Stupéfiants

Quels sont les quartiers, les zones sous surveillance à Alès ? Et y a-t-il un réel trafic structuré sur Alès ou s'agit-il de petits points de deal ?

Alès présente une photographie des stupéfiants de Nîmes il y a 15 ans avec un bémol : les points de deal se structurent aussi comme des entreprises, avec un gestionnaire plaçant ses équipes souvent composées de mineurs et même récemment de clandestins, ce qui complique singulièrement la répression. Si la violence des règlements de compte qui émaillent l’actualité nîmoise n’est pas observable sur Alès, il faut être vigilant. Car malheureusement, une fois le sang versé, c’est une spirale de violence difficile à juguler. Quant aux points de deal, sans stigmatiser des quartiers, ils sont très localisés et ne sont pas tous de la même ampleur : on les trouve sur les quartiers Cévennes, Près-Saint-Jean ou Rochebelle principalement, mais là-aussi les choses évoluent.

Savez-vous combien rapportent les points de deal aux trafiquants ?

Difficile à estimer mais c'est suffisamment incitatif pour que des gamins fassent l’école buissonnière en étant rémunéré 50 euros pour une vacation à faire le guetteur. Malgré notre action et les incarcérations, l’offre en stup' est capable d’aligner les « petites mains » du trafic qui sont vite remplacées.

Vous avez procédé à de grosses opérations à Rochebelle, quelle est la situation dans ce quartier et quelles sont les suites en terme de démantèlement du trafic dans ces zones ?

Il faut rester humble, vis-à-vis de nous-mêmes, mais surtout pour la population. Éradiquer un point de deal est une tâche longue et ardue avec parfois des paramètres qui ne sont pas tous liés à la police. Rochebelle a diminué d’intensité durant l’été, donnant du répit à ses habitants mais le trafic, même en courant alternatif, persiste encore. Mais une fois que l’on a dit cela, notre rôle, nous police, c’est d’aider les habitants ou les services publics qui sont sur place car qui d'autre pour s’opposer à cette gangrène ? Pas grand-monde. Sur Rochebelle seulement, le bilan c’est 2 kilos de résine de cannabis, 200 grammes d’héroïne et autant de cocaïne, plusieurs armes de poings et quatre individus incarcérés pour des peines de 2 ans. Encourageant mais à poursuivre.

Quelles sont les principales drogues vendues à Alès ? L'héroïne y circulerait plus que dans d'autres villes du département, pourquoi ?

C’est vrai que j’ai été surpris par la présence d’héroïne, même minoritaire, sur Alès. C’est une drogue que l’on trouve plutôt dans le Nord et l’Est du pays. Elle ne concerne qu’un point de deal ici sur Alès. Sur le Gard, avec Beaucaire, c’est une exception. Quant à dire pourquoi elle circule, ce sont souvent pour des raisons historiques et les consommateurs d’héroïne le savent.

D'autres points de deal sont connus, notamment celui du quartier des Cévennes et des Près-Saint-Jean près du lycée JBD. Quelle est l'action concrète de vos services?

Sur ces deux quartiers, nous poursuivons notre action de harcèlement au quotidien. Fin décembre, un travail de surveillances mené aux Près-Saint-Jean a permis d’obtenir six incarcérations y compris sur des mineurs multirécidivistes, avec des peines de deux ans ferme minimum ce qui est un signal clair envoyé. La déstabilisation de ce point de deal situé en face d’établissements scolaires était une nécessité. La particularité de ce dossier, c’est d’avoir travaillé sur toute la chaîne d’animation du trafic y compris les guetteurs qui, ne l’oublions pas, sont complices du trafic même s’ils n’ont pas de produit sur eux.

Derrière le trafic, il y a des gens qui vivent dans ces quartiers et qui ont peur. Que faites-vous pour rassurer cette population?

C’est toujours une gageure d’expliquer notre action à la population, surtout qu’elle peut s’inscrire dans le temps long car une enquête judiciaire nécessite des preuves face à des dealers qui, darwinisme oblige, s’adaptent après chaque lame de fond judiciaire. C’est pour cela qu’il nous faut aussi tenir entre ces opérations par une présence régulière avec les unités en tenue, avoir le dialogue avec l’ensemble des partenaires de quartier, tout en préservant la discrétion afin ne pas les mettre en porte-à-faux. Bref, c’est une subtile alchimie entre travail de fond discret, visibilité et pédagogie.

Le reproche souvent fait à la police est le contrôle et l'interpellation des "petites mains", mais un laisser faire contre les gros trafiquants...

Comme je le disais à l’instant, il faut utiliser toutes les palettes : le travail sur les « petites mains » s’inscrit dans une démarche de visibilité pour la population, mais aussi pour limiter et compliquer l’expansion du trafic. Le travail de fond, plus discret, existe en parallèle. Pour rappel, le commissariat d’Alès enregistre en 2023 la plus grosse année en matière de lutte contre les stupéfiants : 16 kilos de résine, près de 2 kilos de cocaïne et 395 interpellations (trafic, revente, consommateurs…) soit 20 % de hausse par rapport à 2022. C’était à peine 200 il y a 5 ans. Les villes de même taille (40 000 à 50 000 habitants) sont en-dessous en termes d’activité. Bien sûr, certains diront que c’est lié à l’augmentation des stupéfiants sur Alès. On peut aussi dire que leur prise en compte s’est aussi améliorée et que les policiers alésiens, de voie publique comme enquêteurs, font un travail remarquable sur le sujet.

Le procureur général souhaite faire plus de saisies sur les biens des délinquants. Alès est-il un bon élève ?

Avec 50 000 euros saisis par le commissariat d’Alès en 2023, on peut faire mieux. Taper au patrimoine des individus qui ont intégré dans leur propre logiciel le passage en prison comme un « aléa de carrière », voire comme un rituel initiatique pour les plus jeunes, est une alternative crédible. Mais une enquête patrimoniale en matière de stup' demande du temps et de la technicité. Toutefois, j’ai deux raisons d’être optimiste : la réforme récente des services de police au niveau de la DIPN gardoise permettra rapidement une mutualisation pour mettre en commun les compétences. Deuxièmement, la création récente d’un GIR toujours dans le département apportera une plus-value indéniable pour prendre l’argent malhonnête aux trafiquants.

Violences

On note à Alès de nombreuses violences gratuites, pourquoi cette ville est-elle aussi violente ?

Ce n’est pas Chicago non plus ! Beaucoup d’Alésiens aiment leur cadre de vie sur le piémont cévenol et en profitent en toute tranquillité. Après oui, il y a un niveau de violences gratuites (les vols avec violence étant assez faible) élevé car en dépit d’un dynamisme insufflé ces dernières années, la ville hérite d’une situation socio-économique difficile après la disparition des mines et de toute la prospérité qu’elle apporta jadis à cette ville. Mais cette augmentation n’est pas propre à Alès, elle est malheureusement constatée au niveau national, fruit pourri d’un individualisme exacerbé. 

Depuis votre arrivée, vous procédez régulièrement à des contrôles d'épiceries, on a l'impression que c'est votre cheval de bataille. Pourquoi harceler "d'honnêtes commerçants" et que recherchez-vous? 

S’ils sont honnêtes, notre contrôle ne sera pas bien long ! J’ai rien contre les épiceries, rassurez-vous. Par contre j’ai toujours deux objectifs en ligne de mire : la tranquillité publique, à commencer par celle des riverains fatigués d’une clientèle bruyante et parfois alcoolisée. Mais aussi les trafics, car derrière la devanture de certains établissements, ce sont des trafics qui prennent place. Alors, il ne faut pas tomber non plus dans le fantasme de la « blanchisseuse », mais les cigarettes constituent aussi des trafics. Récemment nous avons obtenu des fermetures administratives par la préfecture, très alerte sur ce sujet : deux mois pour deux établissements et même six mois pour un en récidive. À bon entendeur….

Les cambriolages sont en augmentation à Alès, mais que fait la police?

Elle fait son maximum ! Et toujours dans l’idée de faire mieux. Oui, les cambriolages sont en hausse en 2023 avec 333 cambriolages recensés contre 278 en 2022, hausse liée notamment à une équipe désormais neutralisée qui avait écumé la région au printemps 2023. C’est plus que dans les villes de même taille avec lesquelles nous sommes comparés en matière de délinquance (Nevers, Saint-Malo, Châteauroux…). Mais il faut aussi regarder sur le temps long les phénomènes structurels de délinquance, à rebours des approches trop souvent liées au « fait-divers émotionnel ». En 2018, on constatait 463 cambriolages et plus encore les années précédentes. C’est plus de 50 % de baisse en cinq ans. Le travail sur les cambriolages est une des choses les plus ardues pour un policier : prévention, travail d’occupation du terrain et surtout gros travail d’enquête et de police scientifique sont les clés du succès. Autre élément aussi : la communication avec l’ensemble des partenaires (police municipale, gendarmerie), obligatoire face à une délinquance en la matière très mobile. En matière d’élucidation, nous ne sommes pas mauvais élève. Et élucider, c’est convaincre l’autorité judiciaire pour obtenir des écrous, réponse pénale qui a des vertus radicales pour faire baisser les cambriolages.

Quelles sont les priorités du patron de la police alésienne dans votre arrondissement ?

Sans faire d’inventaire à la Prévert, les stupéfiants, les cambriolages mais aussi les violences conjugales retiennent toute notre attention. Mais surtout, deux axes au cœur de notre stratégie : la visibilité de notre action et de la police dans le centre-ville, quartier, gare, écoles… À chaque espace de la ville, un mode d’action (par des contrôles, par une patrouille pédestre…), pour rassurer mais aussi capter l’information du terrain. Autre axe, le travail d’enquête sur les phénomènes d’atteintes aux biens comme les vols de véhicules, les cambriolages… Car élucider des faits sériels, c’est pouvoir donner l’occasion à la justice d’écrouer, seul moyen de mettre fin à ces déprédations itinérantes. Pour rappel, c’est 82 écrous en 2023 pour le commissariat d’Alès auprès du tribunal judiciaire, volume considérable. C’était 36 en 2018 et 23 il y a dix ans ! Clairement, présenter des dossiers solides à l’autorité judiciaire du parquet est aussi dans mes préoccupations.

Y a-t-il une complémentarité avec la police municipale, et êtes-vous aidé par d'autres partenaires dans votre action ?

Mutualiser est plus qu’une option, c’est une obligation. Et pas seulement pour améliorer notre force de frappe. Tout simplement parce que faire de la sécurité seul est absurde. On s’enrichit de la technicité des autres, mais aussi on responsabilise tous les partenaires sur la partition qu’ils ont à jouer. Notre rôle, nous police, est de pouvoir coordonner les forces vives mais aussi d’expliquer notre action. Sur Alès, j’ai déjà eu l’occasion de la dire, la densité du partenariat est réelle avec en premier lieu avec une mairie bien outillée, volontaire et lucide sur les sujets sécurités. Ce sont des opérations avec la police municipale chaque semaine. Mais au-delà du régalien sécurité, ce sont aussi les relations avec les chefs d’établissements scolaires, les bailleurs et le monde associatif notamment en matière de violences faites aux femmes qui m’amènent à ce constat : Alès n’a pas à rougir du partenariat existant, loin de là.

Un grief revient régulièrement, surtout à Alès, c'est le manque criant de policiers...

On ne peut nier les difficultés et la fatigue, notamment pour le service d’enquête judiciaire touché lui aussi, comme au national, par une crise des vocations. Mais on ne peut pas non plus s’abriter derrière pour ne rien faire ! Les victimes, les Alésiens, ont besoin de nous. Car encore une fois, qui est là lorsque toutes les autres institutions sont fermées ? Et bien les pompiers, l’hôpital et la police. Ce fondement même de notre mission, de cette noble mission dirais-je, nous oblige tout simplement. Et pour la faire ici, on peut compter sur des policiers et des administratifs alésiens courageux et pugnaces.

Avec peu de personnel, peut-on être visible sur le terrain et comment procédez-vous?

L’occupation de la voie publique et la visibilité qui en découle, ce n'est pas du doigt mouillé, ça s’organise. Organiser le calendrier au quotidien, monter des opérations de contrôle en se fixant un créneau, être présent aux endroits où se croisent les flux de population, mutualiser nos missions avec les collègues de la municipale, mais aussi réduire toutes les servitudes qui nous déroutent de notre cœur de métier comme la question des examens médicaux à l’hôpital que j’évoquais plus tôt... C’est tout cela qui, mis bout à bout, structure une stratégie de visibilité.

Boris De la Cruz

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