L’INTERVIEW L’économiste Fabrice Aubert : « Le capitalisme est capable de détruire l’Humanité »
L’économiste Fabrice Aubert sera à Bagnols ce samedi pour une conférence, à l’invitation du groupe d’action Bagnols insoumise.
L’occasion d’échanger avec celui qui se revendique du marxisme, et voit la précarité, thème de la rencontre de samedi, comme une forme de la fameuse lutte des classes théorisée par Karl Marx. Interview.
Objectif Gard : Vous vous définissez comme « économiste marxiste », que recouvre ce qualificatif ?
Fabrice Aubert : De par mes études et mon parcours, je suis qualifié en économie et en sociologie. Je ne crois pas en la science économique, l’économie est politique, des choix politiques la prédéterminent. Il y a deux manières d’aborder l’économie. La logique libérale, qui dit que le marché, par la main invisible, fixe les prix. Et il y a une autre approche, celle qui dit que la main invisible est une lutte des classes. Marx concevait la société à travers non pas des prismes mais le tamis de la lutte des classes depuis Spartacus, pour comprendre les rapports de force dans la société. Mais il n’y a pas d’économie marxiste, l’ouvrage principal de Marx, « Le Capital », est une critique de l’économie telle qu’il la visualisait. Donc le marxisme est de passer la société à travers le tamis économique, sociologique, philosophique, politique, historique, ce n’est pas une lecture uniforme de la société.
Sommes-nous toujours, aujourd’hui, dans la lutte des classes ?
Oui, plus que jamais. La précarité est une lutte des classes. Par exemple, quand j’ai commencé à travailler, au début des années 1980, 85 % des offres d’emploi du secteur privé étaient en CDI, ce qui permettait aux jeunes recrutés d’avoir une stabilité, de se projeter dans l’avenir. Aujourd’hui, c’est l’inverse, 80 % des offres d’emploi du secteur privé sont hors CDI, ce qui veut dire de la précarité, de l’instabilité. Et ça a des conséquences : par exemple, la dégradation du taux de natalité, qui est due au manque de stabilité. Et plus que de la précarité, je préfère parler des précarités : sociale, financière, éducative, de l’emploi, culturelles, scolaires… Le principe d’égalité des chances n’est plus respecté dans notre pays et introduit ces précarités.
Diriez-vous que la situation s’aggrave ?
Absolument. Je suis en train de travailler sur le budget de l’État. Il y a une trentaine d’années, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque Jean-Pierre Chevènement fixait l’objectif de 80 % d’une classe d’âge diplômée du bac. Il avait raison : on ne peut plus avoir des ouvriers pousse-bouton aujourd’hui. Donc il y avait eu une hausse du budget de l’Éducation nationale de de 8 à 12 % du PIB. Aujourd’hui, on est repassés à 8 %, alors que le nombre d’élèves n’a cessé d’augmenter. On a fait de l’échec scolaire une planification qui a des conséquences. Victor Hugo écrivait qu’ouvrir une école c’était fermer une prison. Aujourd’hui la priorité budgétaire est de créer des postes dans la police, l’armée, la gendarmerie, on préfère construire des prisons que des écoles.
Que préconisez-vous pour sortir de cette situation ?
Il faut une révolution. Pas armée, ça ne sert à rien, mais il faut se fixer des objectifs. Ces objectifs ne doivent pas être compétitifs, ni dans le libre-échange, mais répondre aux besoins de la population, des besoins éducatifs, de santé, culturels, sportifs. En plus, aujourd’hui l’outil informatique prend en charge certaines fonctions et peut permettre à l’individu de se dégager des contraintes de production, libérer du temps humain et créer des emplois qui répondent à ces besoins sociaux, mais on manque de financements car la logique est de privilégier le capital sur l’humain. C’est là où nous avons une lutte des classes.
Est-ce que la révolution que vous préconisez peut passer par l’écologie et la défense de l’environnement ?
Absolument. Il y a une nécessité de bifurcation écologique, une idée de rupture avec le capitalisme qui ne produit que sa propre dégénérescence sociétale, portée par Jean-Luc Mélenchon. L’écologie politique est un moyen de mieux harmoniser le cycle de la nature et la vie humaine. La temporalité du capitalisme est celle de l’instant, celle de la nature des années et des siècles. Le capitalisme est capable de détruire l’Humanité.
Conférence ce samedi 16 heures à la Maison Laure-Pailhon, rue Léon-Alègre à Bagnols. Entrée libre.
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