Publié il y a 8 mois - Mise à jour le 16.09.2023 - Anthony Maurin - 8 min  - vu 477 fois

NÎMES Décès de Victor Lassalle, premier conservateur des musées d'archéologie

Victor Lassalle (Photo Académie de Nîmes).

Victor Lassalle est décédé à l’âge de 97 ans. La cérémonie des obsèques aura lieu ce lundi 18 septembre à 9h30 en l’église Saint-Joseph des Trois Piliers, route de Sauve à Nîmes. L’inhumation auprès de son épouse Christiane, décédée le 18 octobre 2021, se déroulera l’après-midi dans la stricte intimité familiale.

Victor Lassalle (Photo Académie de Nîmes).

« Nous venons de perdre une figure importante de l'Académie puisqu’il fut le premier conservateur des Musées d'archéologie de notre ville. Il a été aussi président de l’École antique et c'est Dominique Darde qui s'exprimera le jour de ses obsèques », note Alain Aventurier, secrétaire perpétuel de l’Académie de Nîmes.

Alain Aventurier poursuit : « Notre confrère avait été élu en 1971 au fauteuil de Jean Douël, directeur de l’École de musique. Le président Jean Paradis a rappelé dans son discours de bienvenue la carrière remarquable de Victor Lassalle, archéologue passionné, devenu en 1955 Conservateur des Musées d'Art et d'Histoire de la ville de Nîmes participant à la réorganisation complète des collections du Musée. »

Pendant l'année 1982, Victor Lassalle a participé très activement à la célébration du tricentenaire de l’Académie puis a présidé la Compagnie en 1983. En 1996, il a souhaité devenir membre honoraire en restant très actif puisqu’il a produit plus de dix communications dans les quinze années suivantes. « Nous conservons un souvenir empreint de nostalgie, illustré par cette photographie avec la présence de son épouse Christiane pendant sa toute dernière communication. Il est juste de rappeler tout ce que l’Académie doit à Victor et Christiane Lassalle. Nous conserverons l’image d’un confrère toujours disponible et généreux, particulièrement bienveillant et d’une modestie incomparable », rappelle le secrétaire perpétuel.

Voici le discours de réception de Guilhem Fabre qui lui a succédé et qui a donc prononcé son éloge :

« L'académicien en question est né le 8 mai 1927 en « terres lointaines ». Ce n'est donc pas un Nimois, mais un Lyonnais dans la plus pure tradition, très tôt tourné vers les choses de l'esprit et de l'art. En fait depuis toujours si l'on en croit ses proches, qui furent en quelque sorte mes bienveillants espions dans la connaissance du personnage. Je ne les citerai pas comme il se doit bien qu'ils soient aisément identifiables.

Notre homme donc, dès sa jeunesse, fut particulièrement studieux et attiré, ou plutôt fasciné, par la culture médiévale, dans ce qu'elle a donné de plus épuré, de plus fort, l'art roman. L'espace lyonnais représente à cet égard un riche terroir où il a pu se former à plein, en solitaire ou en groupe, lors des visites dominicales qu'il guidait bénévolement dans le palais de Saint Pierre. Une certaine Christiane, qui venait l'écouter, mais peut-être ne venait-elle pas que pour cela, ne le quitta plus, puisqu’elle s'unit à lui pour la vie en 1953. Aux qualités de son enseignement passionné, sa séduction naturelle, un des traits de son caractère ne devait pas nuire.

À peine lisible... Ne quid Nimis, locution favorite de l'Académie de Nîmes qui signifie : "rien en excès" (Photo Archives Anthony Maurin).

Rapidement le Lyonnais devint Nîmois à part entière. La raison en est simple : l'activité professionnelle. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, les musées de Nimes étaient, on s'en doute, en pleine restructuration. Certes ils existaient sous différentes formes depuis le XVIIIe siècle et leur naissance, puis leur adolescence, ne se firent pas sans quelques difficultés présentées notamment par Christiane Lassalle dans un mémoire de l'Académie millésimé 1987. Mais dans les années 1950, le 1er avril 1955 pour être très précis, le poste de conservateur des Musées d'Art et d'Histoire de la Ville de Nimes était libre et devait échoir à un homme. Ce fut lui, pour quelque quarante années. Il s'y impliqua totalement, je dirai de façon un peu lourde, osmotiquement. La transition entre la vie étudiante sanctionnée par l'obtention d'une licence d'Histoire et de Géographie et de deux diplômes d'Etudes Supérieures d'Histoire et d'Histoire de l'Art et d'Archéologie a dû être sévère et coercitive. Ne fallait-il pas tout créer, présenter des collections, gérer un personnel qui n'était pas formé à cet effet... en bref administrer. La première machine à écrire du musée était je crois la sienne. Les années où tout était à faire ont dû être bien exaltantes. Mais ce n'était pas pour lui déplaire car l'action est sa vie et il l'assume pleinement, avec des traits très marqués, reconnus par tous ceux qui l'ont approché. Il importe de les évoquer, sa belle pudeur dût-elle en souffrir un peu, car dans le fond c'est un vrai modeste.

Monsieur, aussi lointaine que remonte notre première rencontre, sans doute dans « votre » musée archéologique, et à l'occasion d'un des multiples cafés que nous prîmes en bavardant par la suite et des réunions dans les comités de quartiers, l'image d'un homme amène, d'une parfaite rectitude, nourrie d'un perfectionnisme exacerbé loin de toute omphalomanie, s'impose. Avec un penchant très prononcé à faire la part des choses en essayant de vous mettre au-dessus quand elles ne vous étaient pas favorables. Comment faites-vous pour ne jamais être en colère et conserver en toute occasion un irénisme parfait ! L'humour, votre générosité naturelle, et votre tempérament affable vous aident beaucoup en cela. Ils expliquent aussi vos goûts profondément ancrés pour tout ce qui relève de la peinture et la musique classiques. N'utilisez-vous pas d'ailleurs souvent cette dernière quand vous travaillez dans votre bureau, hors de tout terrorisme horaire, « pitonné » à votre bibliothèque, cette empyrée, au milieu d'un Everest de documents qui, s'ils suggèrent une monstrueuse pagaille, sont en réalité parfaitement structurés, comme le sont vos nombreux fichiers méthodiquement alimentés. Peut-être aussi que le tabac, dont vous êtes si friand vous aide, puisque toujours d'après mes bienveillants espions, vous n'avez pas de défaut pour un solitaire social ; quoi que...

Ces quelques traits flagorneux, tressés à la hussarde, s'expriment, cela va sans dire, dans votre production scientifique, freinée par vos multiples activités. Et ce n'est rien de le dire. Je pense à votre action à l'Académie de Nimes où vous fûtes élu le 23 avril 1971 pour la 2e fois... sans doute étiez-vous distrait lors de la première ? Vous ne l'étiez à l'évidence pas lors de la rédaction du précieux « Index des mémoires de l'Académie de Nimes » de 1756 à 1985 ou de votre jolie synthèse sur les Sociétés Savantes du Gard présentée ici même en 1977. Mais je pense aussi à votre œuvre si personnalisée dans le cadre de l'Ecole Antique, dont vous avez pris les rênes tenues jusqu'alors par le professeur Jean Brunel, en 1983. Le parcours des bulletins relatant quelques aspects des sessions estivales et hivernales témoignent de leur richesse et portent l'empreinte d'une de vos passions. Dans le fond, vous êtes aussi et viscéralement un chercheur au plein sens du terme. La simple lecture de la liste de vos publications en atteste. On y voit parfaitement l'orientation obsessionnelle de vos interrogations. Interrogations soit dit en passant auxquelles vous avez apporté nombre de réponses satisfaisantes reconnues par vos pairs.

L'hôtel de l'académie de Nîmes (Photo Archives Anthony Maurin).

On pourrait les sérier, avec toutes les réserves que cela implique, mais pour ma part je voudrais en retenir quelques axes qui se croisent souvent. L'art roman, votre axiome, est au centre de tout. Dès le départ. Sans être exhaustif j'ai relevé plus de cinquante références sur ce thème absolu de notre France médiévale. Elles portent toutes la marque d'un sens pointu de l'observation, que ce soit au niveau de monographies ou d'œuvres plus synthétiques. On peut citer à cet égard trois contributions significatives régionales : « La façade de l'abbatiale de Saint-Gilles. Essai de restitution » (1966), « L'influence antique dans l'art roman provençal » (1970, réédité en 1983, thèse de doctorat de 3e cycle) et vos études sur notre cathédrale : « Note sur la façade romane » (1975). A l'analyse plus fine on discerne bien l'aire recouverte par les investigations et son approche diachronique. En réalité un vaste espace incluant au sens très large tout le Lyonnais, l'Auvergne, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, le Toulousain, et bien d'autres régions. Dans beaucoup de cas les influences des styles et des époques sont éclairées, à commencer par la plus forte, celle antique, à la base d'un très grand nombre d'œuvres majeures. Un apport significatif à notre connaissance de cette vie romane, à travers l'art et l'architecture religieuse, est incontestablement d'avoir montré la dynamique des influences réciproques spatio-temporelles. Le roman provençal est nourri de l'époque antique, son terreau, certes dans notre sud-est au sens large, mais aussi « tras los montes » en Espagne et en Italie objets d'analyses tout à fait probantes. Je pense par exemple à celle du cloître et de la cathédrale de Tarragone, et des chapiteaux de Sant Père de Rodes en terres catalanes. C'est bien connu l'art n'a pas de frontières, et la polychromie et le bestiaire médiéval plongent à l'évidence leurs racines dans ceux gallo-romains.

L'ancien fauteuil du maire de Nîmes qui siège à l'Académie (Photo Anthony Maurin).

À ces études pointues, il convient d'adjoindre tout le travail de base, ingrat mais ô combien précieux que constituent les fichiers et les nombreuses mises au point, supportées notamment par la collection des « Cahiers des musées et des monuments de Nimes : « Musées de Nimes. Dix années d'acquisitions » (1969), « Vingt-cinq ans de découvertes et de recherches concernant l'époque romaine à Nimes » (1980), « Les sculptures romanes du musée archéologique de Nimes » (1989...) sans oublier, ce qu'encore beaucoup de chercheurs répugnent à produire, des publications rédigées pour le public non spécialiste mais de plus en plus nombreux. Certaines servent de bases solides aux enseignants... et aux autres : « La Fontaine de Nimes » (1967), « Nimes » (1971), « Nimes, art et tourisme » (1973), « Les Arènes de Nimes » (1979), « Le Pont du Gard et l'aqueduc romain de Nimes » (1980), «Nimes» (1989), « Nimes et ses environs » (1991). Au vrai ces travaux intéressent toute l'histoire nimoise à travers celle de ses monuments, de l'Antiquité au Moyen Age. Et le catalogue pourrait être encore longuement développé.

Mais dans ce labeur très centré s'interpose une remanescence. Les études initiées à Lyon, reprennent depuis quelque temps ardemment le dessus avec les recherches sur l'histoire des édifices religieux romans d'Aoste, d'Ainay et des quelques 149 satellites qui sont systématiquement visités et étudiés... malgré la disparition de la très grande majorité. Ce qui doit sérieusement faciliter les investigations, comme le fait de vous éloigner un peu de certaines institutions. Nul doute que le nombre de vos publications va sérieusement augmenter.

L'Hôtel particulier de l'Académie de Nîmes, une merveille (Photo Anthony Maurin).

Deux souhaits : conservez cette appétence romane et surtout produisez une synthèse dans un ouvrage qui voyagera mieux dans le temps que des articles : quelles qu'en soient leurs qualités. Après avoir observé tous les édifices romans qu'il se peut — et combien de chercheurs présentent un tel bilan dans ce domaine —, vous avez moins d'excuse pour y échapper, pour notre futur plaisir de vous lire.

Dans mes précédentes paroles, tout le monde aura parfaitement reconnu l'académicien dont j'ai tenté de faire un éloge à la mesure de la personne. Victor Lassalle peut difficilement générer l'indifférence. Témoigner de ses qualités d'honnête homme, même si cela le gêne un peu, fut une chose bien agréable, soyez-en assuré.

Lors de mon propos liminaire j'avais dit que je reviendrais sur le thème de notre Compagnie, sous-entendu sur quelques idées. Elles sont simples, mais bien ancrées, en particulier sur un mot, respect. Respect d'une institution à pérennité tri-séculaire. Combien en existe-t-il de par notre planète ? Assurément pas beaucoup on doit en être convaincu.

Respect du droit à la différence et à la pluralité des êtres quelle qu'en soit leur pâte. L'Académie de Nimes est, de ce point de vue, un havre de tolérance, éminemment précieux dans nos espaces-temps pas toujours sereins et ouverts. Ce d'autant que le caractère nimois n'est pas évident à décortiquer. J'y contribuerai pour ma part en souhaitant que notre Compagnie, mémoire dynamique de notre ville et d'au-delà poursuive son œuvre dans l'intérêt de tous, comme les positions qu'elle avait prises en certaines circonstances. »

Anthony Maurin

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