Publié il y a 21 jours - Mise à jour le 09.04.2024 - Propos recueillis par François Desmeures - 10 min  - vu 984 fois

L'INTERVIEW Arnaud Bord, opposant PS à Alès : "On nous annonce des montants d'investissement qui ne riment à rien"

Ancien premier fédéral du PS gardois, Arnaud Bord est élu d'opposition en mairie d'Alès

- François Desmeures

Le vote du budget primitif de la Ville d'Alès a lieu ce soir en conseil municipal. Puisque, lors du Débat d'orientation budgétaire, le socialiste Arnaud Bord a regretté de recevoir trop tard les documents financiers pour avoir véritablement le temps de les analyser, il n'est pas intervenu sur le fond, préférant garder ses critiques pour le vote du budget et laisser Paul Planque avancer ses arguments. Alors qu'il a quitté les instances de la coalition du Printemps alésien, menée justement par Paul Planque, il s'arrête, pour Objectif Gard, sur ce qui ne lui convient pas dans ce budget 2024, tout en se projetant. Entretien. 

Ancien premier fédéral du PS gardois, Arnaud Bord est élu d'opposition en mairie d'Alès • François Desmeures

Objectif Gard : Vous n'avez pas beaucoup participé au débat d'orientation budgétaire. Vous préfériez réserver vos critiques pour le vote du budget ?

Arnaud Bord :  Comme je l'ai expliqué en conseil municipal, et contrairement à ce qu'a dit le premier adjoint, Christophe Rivenq, en séance, ce n'est pas le problème du logiciel et des envois. C'est chaque fois la même chose... Pour préparer la commission des finances, on reçoit les documents entre 13h et 15h, le lundi, pour une réunion à 18h ou 19h. Sauf à avoir une équipe de collaborateurs, il est impossible d'avoir le temps d'analyser ce type de documents. Pour le débat d'orientation, on fait face à un document de 70 pages. Mais sur le budget, on arrive facilement à 500 ou 600 pages. À analyser en trois heures ? C'est impossible pour venir en commission des finances avec des arguments, poser des questions pertinentes et comprendre les rouages du budget ! Au final, le débat d'orientation budgétaire, c'est en fait une conférence de presse du premier adjoint. Ou bien, à Alès Agglo, du président de l'Agglo. Paul Planque a bien essayé mais, au final, il n'y a pas de débat de fond. On a, d'un côté, un gestionnaire qui nous explique qu'il faut être bon gestionnaire pour pouvoir anticiper. Et, en face, malheureusement, toujours les mêmes arguments qui reviennent sur le manque d'ambition du budget. Je crois que c'est la traduction budgétaire du 8 avril qui permettra de comprendre les rouages de ce budget. 

"Le budget d'une commune n'est pas le budget d'un ménage : on peut se permettre de créer de la dette, d'un montant qui doit rester raisonnable."

Mais est-il possible de faire autre chose que de la gestion, avec des compétences communales qui se sont réduites au cours du temps et des moyens financiers qui ont suivi ?

Sur Alès, on a cette chance-là. Parce qu'aujourd'hui, il y a un tabou - très politique pour le coup : là où le premier adjoint veut gommer toutes les apparences partisanes, la politique menée sur Alès vise à réduire la dette au maximum, avoir un encours de dette le plus bas possible, etc. Sauf que, le budget d'une commune n'est pas le budget d'un ménage : on peut se permettre de créer de la dette, d'un montant qui doit rester raisonnable, je l'entends bien. Notamment pour faire face à des imprévus, comme on l'a eu avec le Covid et la hausses de l'énergie. Mais on peut aussi se donner des marges de manoeuvre. Ce que je regrette, dans la petite analyse que j'ai pu faire du débat, c'est qu'on nous annonce des montants d'investissement qui ne riment à rien. Un exemple : on a, cette année, les travaux de Mairie Prim' qui attaquent. Ça faisait partie du débat budgétaire 2021.... Et ça traîne... Figure aussi la restauration de la montée de Silhol, qui est toujours inscrite dans les investissements. Elle l'était déjà l'année dernière. On la fera peut-être cette année... Je crois qu'il faut un peu plus de transparence et surtout fixer un cap. Quel est le cap de cette municipalité, en matière budgétaire, et quelle est la vision d'avenir que l'on présente aux Alélsiens ? C'est un peu trop facile de dire en introduction - et ce sont les mots du premier adjoint - "de toute manière, ça n'intéresse personne. On le fait parce que que c'est obligatoire". Mais pourquoi ça n'intéresse personne ? Parce qu'on en a fait un débat de gestionnaire, et pas un débat politique, qui montre quelle vision on a d'Alès pour demain, qui se traduit dans le budget. Car, des marges de manoeuvre, il y en a. Ce sont des choix politiques. 

À quelles marges pensez-vous ?

Je vais mettre les pieds dans le plat mais, sur l'abattoir : ça fait des dizaines d'années qu'on a investi - je reprends les chiffres de Christophe Rivenq - 15 millions d'euros. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. On a arrêté, clôturé, fini de payer la dette. Donc, ce n'est plus une charge. Où est passé cet argent ? Qu'est-ce qu'on fait de nouveau ? Ce sont des équilibres à trouver. Oui, il y a globalement, sur le budget, une hausse du fonctionnement. Comme dans toutes les communes. Mais, pour connaître le financement d'autres collectivités, je peux dire qu'Alès, aujourd'hui, a des finances saines - et c'est à gratifier à l'équipe municipale en place - qui, justement, permettent d'avoir une vision d'avenir et de donner des axes de travail. On peut continuer sur des grands projets structurants et dire aux Alésiennes et aux Alésiens, "l'argent, on va le mettre là". 

"La création d'un jardin dans le quartier du Tempéras, vers les arènes... On n'en entend plus parler."

Quand vous parlez de projet structurant, on a quand même l'impression que les mairies ne peuvent plus rien faire - ou presque - sans l'apport de l'agglo...

Je me suis amusé, dernièrement, à reprendre le projet de Max Roustan pour les dernières municipales. J'y ai lu le catalogue de propositions qu'il y avait. Et des idées, il y en a beaucoup, hein. Un exemple : la création d'un jardin dans le quartier du Tempéras, vers les arènes... On n'en entend plus parler. Il y a bien les grands projets, comme le renouvellement urbain sur la Grand-Rue Jean-Moulin. Mais ce sont des projets au long cours qui, de toute façon, sont subventionnés par l'État et d'autres partenaires. On peut attendre d'autres projets... Dans le programme de Max Roustan, on parlait d'une salle de spectacle de 3 000 places. J'ai, finalement, l'impression que ça va être du domaine privé puisqu'il ne vous a pas échappé qu'une salle de spectacle se prépare sur l'ancien hôpital de Rochebelle. Faire fonctionner la collectivité, ce n'est pas le but essentiel du budget. C'est aussi construire des projets où la collectivité investit. Et, aujourd'hui, on ne les voit pas. 

Mais le budget de fonctionnement fait aussi tourner la ville...

On va nous vendre, lors de ce conseil une hausse des subventions aux associations. C'est le cas, dans les chiffres. Mais au final, quand on se plonge dedans, c'est seulement le CCAS qui augmente, sur l'enveloppe globale. C'est un vrai marqueur : qu'est-ce qu'on veut faire pour la culture ? On nous a annoncé un grand programme de festivités et de culture. À mes yeux, c'est une très bonne chose. mais n'est-ce que pour cette année ? A-t-on un plan pluriannuel ? Ce qui m'inquiète, c'est qu'on a un adjoint aux finances qui nous dit : "On va maintenir l'investissement à 17 ou 19 millions les deux prochaines années" - c'est-à-dire jusqu'aux élections municipales - "et après, on le baissera certainement". C'est inquiétant ! Je pense qu'on peut avoir une vision d'Alès jusqu'à 2030, a minima. C'est ça l'audace, et être ingénieux ! On a dévoyé le conseil municipal, comme le conseil d'Agglo, par de grands monologues, soit du premier adjoint, soit du président de l'Agglo - selon la casquette et selon l'assemblée -, où il s'exprime pour la presse. Mais, au final, les élus ont peu de marges de manoeuvre parce qu'ils sont privés d'informations, ou alors l'ont très tardivement. ce qui ne permet pas de pouvoir co-construire. Je serais le premier à vouloir donner des idées et construire ensemble. Aujourd'hui, on m'en empêche. C'est dommage. 

"Si on veut, aujourd'hui, que les gens se ré-intéressent à la chose politique, et se réimpliquent dans la vie de la cité, il faut laisser de la place aux élus dans le débat."

C'est propre au fonctionnement d'une mairie, ce clivage, par rapport à une agglo où le consensus domine...

Oui, mais quand on met au coeur de ses débats et de ses prises de parole la démocratie, et l'envie que les Alésiens participent à la vie municipale. Et que, dans les faits, on fait l'inverse et qu'on décide à deux dans un bureau, c'est un peu dommage. Et ce ne sont pas les Facebook live - encore une reproduction d'une forme de conférence de presse - où le premier adjoint se met en vedette pour donner des explications sur des thèmes qu'il choisit, qu'on fait avancer les choses. Si on veut, aujourd'hui, que les gens se ré-intéressent à la chose politique, et se réimpliquent dans la vie de la cité, il faut laisser de la place aux élus dans le débat. On sait bien qu'on n'a pas les mêmes positions. Quoique... Il y a des sujets sur lesquels je suis entièrement d'accord avec la gestion de Max Roustan. Parce que, 30 ans de Max Roustan à Alès, ce ne sont pas que des mauvaises choses : chaque année, on met environ un million d'euros dans l'entretien des écoles. C'est bien, j'aimerais même qu'on accélère un peu là-dessus. 

En dehors de l'absence, que vous regrettez, de projets structurants, qu'est-ce qui vous chagrine dans ce budget ?

Ce qui me gêne dans la présentation - même si ce n'est pas dit de manière frontale -, c'est qu'on reproche aux fonctionnaires d'Alès et de l'Agglo de faire exploser la note du budget de fonctionnement. J'ai envie de rappeler qu'il n'y a pas de service public sans fonctionnaire. Donc, l'augmentation du point et le versement de la prime pouvoir d'achat, c'est bénéfique, ça renforce le pouvoir d'achat des Alésiens à travers leurs fonctionnaires. Ils sont plus de 3 000, ce n'est pas une paille. Mais au-delà de ça, je suis pour qu'on favorise l'emprunt pour mener des investissements réfléchis, qui ne fassent pas exploser le fonctionnement ensuite. Je ne perds pas de vue que des investissements, ça veut dire faire travailler les entreprises. C'est du pouvoir d'achat direct qu'on met sur le bassin. On a aussi des travaux de voirie, on sait qu'on doit faire un grand plan à mener sur le séparatif pluvial et assainissement. Alors, oui, ce sont des dizaines de millions d'euros, et ce n'est pas populaire. Parce que ça veut dire embêter les Alésiennes et les Alésiens, pour des choses qui ne se voient pas. Mais ce sont de vrais investissements pour la gestion de l'eau. 

"Si, un jour, on veut renverser la majorité en place, ce sera dans la construction, avec un vrai projet pour les Alésiens."

Vous êtes-vous coordonné, dans vos critiques éventuelles sur le budget qui sera présenté, avec les autres composantes du Printemps alésien, que vous avez quitté ? (relire ici)

Pas du tout. Désormais, je fonctionne en autonomie. je connais leurs positions, j'ai travaillé pendant deux ans avec eux. Et c'est justement la manière d'aborder ces sujets qui ne me convenait pas non plus. Quand on a toujours la volonté de foncer sur le mur... - même si c'est tout à fait légitime sur certains arguments. Mais il y a le fond et la forme. Et, aujourd'hui, dans une vision à 2026, pour préparer au lieux les prochaines échéances, ce n'est pas la bonne chose. Je crois que ce que veulent les Alésiens, c'est qu'on leur dise comment on voit les choses pour l'avenir. Et puis, sauter tous les trois jours sur un sujet, sans avoir les tenants et les aboutissants parfois, ça montre une démarche d'agitation et pas de construction. Si, un jour, on veut renverser la majorité en place, ce sera dans la construction, avec un vrai projet pour les Alésiens. Où ils se retrouvent.

Quand vous parlez de "sauter sur tous les sujets", vous faites référence aux derniers échanges sur l'abattoir ?

Sur l'abattoir, vous remarquerez que je ne me suis pas exprimé, j'attendais la décision du tribunal de commerce. Ce que je constate, c'est qu'on est sur une dette, de 160 000 €, qui n'est pas du tout insurmontable. Dans ma vie professionnelle, quand je suis allé au tribunal de commerce avec l'entreprise Call Expert, la dette présentée était de 1,8 millions d'euros d'Urssaf. Et je trouve inconcevable qu'on laisse mourir cet abattoir, alors même qu'on met de l'argent, désormais, dans un plan alimentaire territorial. Et, pour moi, les deux sont intimement liés. Faut-il le redimensionner ? Le reconstruire ? Et puis, il faut que les autres collectivités - et j'en appelle à mes amis, conseils départemental et régional - s'en inquiètent : ils ont aussi des circuits-courts, ils ont aussi de la restauration scolaire. Ce que je regrette, c'est d'ouvrir le journal et de découvrir le dépôt de bilan à partir d'une déclaration, dans un événement qui n'a rien à voir avec la popote et que, les élus, sont encore une fois totalement mis de côté. Pourquoi ne pas avoir fait, sur ce sujet d'envergure et structurant, un conseil municipal extraordinaire pour qu'il y ait un vrai débat ? On fait l'agence de com, on attrape un journaliste en lui disant "ça va se passer comme ça". Et puis, on se met en scène à la chambre d'agriculture, etc. C'est pas de ça dont on a besoin, mais de travail. 

"Christophe Rivenq n'a pas encore pris le costume de l'élu."

Vous concentrez vos attaques sur Christophe Rivenq...

Je n'ai rien contre Christophe Rivenq, c'est un excellent technicien. Et je pense, dans l'ensemble des collectivités d'Alès et d'Alès Agglomération, c'est celui qui connaît le mieux les dossiers. Trente ans de directeur général des services, ça ne s'invente pas, que ce soit en termes biudgétaires, d'urbanisme, etc. Mais il n'a pas encore pris le costume de l'élu. Celui-ci, c'est Max Roustan qui l'a. Or, on voit de moins en moins Max Roustan - et moi, je le regrette - parce que, celui qui a fait Alès depuis 30 ans, c'est Max Roustan. Avec l'aide de Christophe Rivenq, en tant que technicien. Mais c'est Max Roustan le politique. Et, aujourd'hui, on perd l'aspect politique. C'est dommage, parce que la ville a besoin de ça. 

Quand on vous entend aussi critique par rapport au Printemps alésien, même si les élections ont lieu dans deux ans, est-il raisonnable de penser que la gauche partira unie aux élections ?

On y travaille, sous d'autres formes, mais on y travaille. Je discute très bien avec tous mes collègues de la gauche alésienne et du Grand Alès. On réfléchit sur des sujets, sur l'agriculture, les méga-bassines, etc. On verra, c'est loin... Je suis investi dans mon parti et, l'échéance, c'est le 9 juin pour l'instant. Cela ne veut pas dire qu'on ne travaille pas sur les municipales. On verra... Mais j'émets de gros doutes sur le fait que ce sera encore sous l'égide du Printemps alésien. Mais il faudra un outil de convergence des forces de gauche parce que si nous sommes désunis, il n'y a aucune probabilité de renverser ou de faire changer quoi que ce soit à la municipalité d'Alès. 

"Les gens votent de moins en moins. Ce sont, donc, ceux qui arriveront à mobiliser le plus qui l'emporteront."

Votre chance, c'est qu'il n'y ait pas Max Roustan la prochaine fois... ?

Oui et non, est-ce qu'il n'y sera pas ? Moi, je ne sais pas. Il devait transmettre les manettes à Christophe Rivenq pendant ce mandat, on a bien l'impression que ce ne sera pas le cas. Là où je suis content, c'est que Max Roustan se sent en forme, et c'est plutôt une bonne nouvelle, parce que j'ai, encore une fois, beaucoup de respect pour l'homme même si on n'est pas d'accord sur certains points et certaines gestions. On parle aussi beaucoup du Rassemblement national, qui mettrait une figure sur Alès. On verra... Aujourd'hui, les gens votent de moins en moins. Ce sont, donc, ceux qui arriveront à mobiliser le plus qui l'emporteront, ce qui intéresseront les Alésiens à la chose. Si c'est Christophe Rivenq qui mène la liste de la majorité actuelle, on verra avec qui il la mène, et quelles sont ses forces, quel bilan et quels projets il présentera aux Alésiens. 

Qui pourrait alors mener la liste d'opposition ? Vous êtes candidat ?

Aujourd'hui, ce n'est pas d'actualité, pour moi. Je travaille, j'ai un mandat d'élu municipal, que j'essaie d'honorer du mieux possible. J'ai fait aussi, un peu, le choix de travailler ma vie personnelle et professionnelle, car je ne suis pas un rentier de la politique, je n'en vis pas. Avec mes moyens d'élu d'opposition, je dois faire des choix. Mais je continue le travail. 2026... On verra, c'est loin. 

Propos recueillis par François Desmeures

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