Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 11.07.2023 - Propos recueillis par Abdel Samari - 8 min  - vu 6676 fois

FAIT DU JOUR Nicolas Best, directeur général du CHU de Nîmes : « Je suis pétrifié par le sentiment d’injustice de ce qu’il m’est infligé »

Nicolas Best

Nicolas Best, directeur général du CHU de Nîmes devra comparaitre devant les tribunaux en fin d'année

- Photo Objectif Gard

C’est à une terrasse d’un café à Nîmes que l’on retrouve Nicolas Best, le directeur général du CHU de Nîmes. Quelques heures avant son renvoi officiel devant les tribunaux parisiens pour s’expliquer sur sa gestion au sein de l’établissement hospitalier d’Annecy. Un homme combatif, sûr de son innocence, qui ne comprend ce que la justice lui reproche. Il devra s'en expliquer en fin d'année devant les tribunaux. En attendant, il dévoile sa défense à Objectif Gard.

Objectif Gard : Dans quel état d’esprit êtes-vous après près de deux ans de procédures suite à votre passage au Centre hospitalier d’Annecy ?

Nicolas Best : Après deux années de mise en cause personnelle et professionnelle, je continue d’assurer avec beaucoup de disponibilité et de créativité la continuité de gestion du CHU de Nîmes, riche de 7 300 collaborateurs, et ce grâce à un soutien qui m’est sans cesse renouvelé. J’avoue qu’il y a deux ans, je n’aurais pas moi-même subodoré mon niveau de résistance psychique et physique. Je vous passe la garde à vue psychologiquement violente que j’ai subie, les violations itératives du secret de l’enquête, d’éléments de mon ordonnance de renvoi directement aux journalistes, les menaces, et l’exposition de ma vie privée sur la place publique. Je ne savais pas que le lot commun était la mise en scène médiatique d’une mise à mort organisée. Néanmoins, je suis encore là, investi des missions du service public hospitalier. Je le fais comme toujours avec constance, dévouement et efficacité.

Nicolas Best, DG du CHU de Nîmes dans son bureau • Photo Abdel Samari

Rentrons dans le fonds de l’affaire. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ?

Après deux années de procédures, je voudrais d'abord dire que je suis pétrifié par le sentiment d’injustice qui m’est infligé. Tout part d’un contrôle du CH Annecy-Genevois par la Chambre régionale des comptes Auvergne Rhône dont un collectif de médecins qui m’a menacé de mort lors de ma dernière année d’exercice dans l’établissement, a su bien tirer profit à mon détriment. Cela a eu pour conséquence le déclenchement d’un article 40 du Code de Procédure Pénale par la CRC, adressé au parquet d’Annecy puis au Parquet national financier. J’y ai découvert, après consultation du dossier, un certain nombre de disparitions de pièces essentielles.

Qu'est-ce qui est au centre des enjeux ?

Un appel d’offre pour la construction d’un bâtiment remporté par Bouygues-Construction en 2016. Une décision qui m’est reprochée alors que c’est un jury de 15 membres qui l’a attribuée par un vote unanime, auquel ont participé des personnalités qualifiées qui ont toutes attesté que le jury s’était déroulé dans des conditions tout à fait normales, sans la moindre tentative d’influence ou de pression de ma part. On me reproche par ailleurs une cession de terrain actée par une délibération de la Présidente du Conseil de Surveillance et alors même que la vente a été officialisée par un acte signé en 2020 par mon successeur et qu’en tout état de cause, une telle cession ne relève pas du code de la commande publique. Comment donc me reprocher délit un favoritisme ? Les investigations réalisées, notamment les écoutes téléphoniques, une commission rogatoire, les nombreuses perquisitions et réquisitions, la vérification en détail de tous mes comptes bancaires et la mise en pâture de mon honneur professionnel n’ont rien apporté de plus que ce qui se trouvait dans le rapport de la CRC et de son article 40 du code de procédure pénale.

Je ne souhaite à personne ce que j’endure

Nicolas Best, directeur général du CHU de Nîmes

Y compris à Nîmes ?

À Nîmes, on a tenté de faire croire, sur dénonciation calomnieuse, que j’avais fait réaliser des travaux financés par l’hôpital pour des biens privés ! Or, j’ai moi-même financé personnellement l’installation d’une petite piscine alors que c’est un logement qui ne m’appartient pas(logement de fonction). Ce qui créera une plus-value à l’hôpital. C’est tout à fait ridicule. Il s’agit là, ni plus ni moins, que de la volonté de détruire un homme, un professionnel de santé, intellectuellement et physiquement. Franchement, je ne souhaite à personne ce que j’endure. Effectivement je ne pensais pas que cette procédure irait au bout. Ceux qui s’en sont saisi n’acceptent pas que des preuves manifestes viennent contrarier leur plan initial de destruction. Alors, je dois faire avec une absence de tout contradictoire et la non prise en compte des éléments de preuve à décharge obtenus par des auditions et confrontations que j’ai réussi à arracher suite à un recours auprès du Procureur Général de la Cour d’Appel de Paris, alors même que ma demande avait été préalablement balayée par le Parquet National Financier en moins de 24 heures.

Vous allez être officiellement renvoyé devant la Justice. Comment allez-vous travailler votre défense ?

De nombreux vices de procédures ont émaillé l’enquête, et ils seront bien entendu soulevés. Je suis renvoyé pour des chefs d’accusation de corruption passive et de favoritisme. L’enquête a démontré qu’il n’ y a eu aucun enrichissement personnel, et mieux, il n’y aura pas le prétendu corrupteur à la barre ! Bouygues Construction ayant négocié avec le PNF, jamais cette société ne devra répondre des faits qu’on nous reproche. La Convention Judiciaire d'Intérêt Public (CJIP) qu’elle a signé l’a d’ailleurs finalement innocentée car cette dernière n’emportant pas déclaration de culpabilité, c’est bien qu’il n’y a pas eu de corruption ! C’est tout simplement injuste. Enfin, comment imaginer un favoritisme avec tous les rouages de la commande publique ? Sans compter qu’enfin, l’opération de cession de terrain bouclée un an après mon départ d’Annecy et que l’on me reproche relève du droit privé et pas du tout de la commande publique. C’est un comble.

Vous pensez que ce n’est que de l’acharnement contre vous ?

Une profonde injustice, en pure analogie avec l’affaire D’outreau. Une dizaine d’adultes qui finalement ont été innocentés. Avec une instruction uniquement à charge. Je n’ai même pas eu le droit, dans le cadre de la procédure, à bénéficier d’un juge d’instruction. Il n’y a pas de contradictoire sauf à la toute fin de la procédure et encore, parce que j’en ai fait la demande, par ce recours spécifique auprès du Parquet Général. Ainsi, que ce soit les membres du jury, l’AMO ou la Présidente du Conseil de Surveillance, tous ont été entendus, et ont confirmé l’ensemble de mes déclarations depuis le début de l’enquête, et notamment que je n’ai jamais influencé les membres de quelque jury. Je pourrai enfin dire toute ma vérité au mois de novembre.

Des repas et des invitations à des spectacles

Pourquoi cet accord alors entre le PNF et Bouygues construction ?

Je suis un dommage collatéral. Il a été envisagé de me démettre de mes fonctions suite à la médiatisation outrancière de cet accord. Cette convention, est un outil, ce n’est ni une sanction pénale, ni un aveu de culpabilité. L’aveu de culpabilité en droit, aurait été comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Là, la convention judicaire n’est pas une reconnaissance de culpabilité. C’est une amende, qui permet à la personne morale mise en cause dans une enquête de faire cesser toute poursuite. En payant 9 millions d’euros, Bouygues a acheté sa tranquillité. De mon côté, pour avoir « bénéficié » de 1 000 euros de repas de travail en sept ans, soit moins de 200 euros par an ; convié majoritairement à des repas collectifs, on m’accuse d’une corruption passive. J’ajoute que ces repas ont eu lieu très majoritairement après 2016, soit après le jury de concours où l’on me reproche un favoritisme et de la corruption. Les PDG successifs de Bouygues Construction Sud Est ont tous dit pendant leurs auditions que les invitations étaient d’un commun usage, et qu’on était très loin de la corruption et du favoritisme. On ne peut pas mettre au regard de 1 000 euros de repas sur plusieurs années une contrepartie d’un marché de construction de dizaines de millions d’euros, c’est ridicule.

On parle également de plusieurs spectacles d’opéra à Lyon ?

Oui et également le Festival piano à Lyon. Bouygues était mécène de ces évènements. Dans le cadre d’opérations culturelles, Bouygues offrait des places à ses partenaires et clients. Quand vous construisez des bâtiments, vous avez des salariés de votre opérateur qui sont sous la responsabilité de l’hôpital. Bouygues était plus qu’un fournisseur, c’était un partenaire pendant la programmation, la construction, et la livraison du bâtiment. Il y avait, au pic du projet, 300 compagnons de Bouygues sous ma responsabilité. Et encore une fois, il s’agissait d’invitations collectives avec une quarantaine d’invités protocolaires. Franchement, les enquêteurs se sont appuyés sur un email de ma secrétaire mentionnant les quelques concerts qui m’intéressaient, pour dire que j’étais corrompu… car j’aime la musique classique donc…cela n’a rien à voir avec de la corruption !

On est dans une fiction juridique

Nicolas Best, DG du CHU de Nîmes

Convenez-vous que vous avez peut-être été négligeant sur des marchés publics ?

Sur des masses budgétaires sur l’hôpital que je dirigeais à Annecy, on parle de 1 000 marchés par an. Il y a donc 1 000 possibilités de commettre une erreur formelle. Depuis Annecy, il y a eu trois réformes des marchés publics, du code de la commande publique. On ne peut pas tout savoir. En termes de principe, sur la forme et le détail, on ne peut pas tout maitriser. Mais dans cette enquête, je suis entre autres soupçonné de favoritisme pour un bon de commande à un AMO que je n’ai jamais signé, puisque toute l’opération était dirigée par un directeur de travaux. On ne peut pas m’accuser alors que je n’étais pas au courant. On est dans une fiction juridique. Quand on engage 500 millions d’investissement en 5 ans, dès qu’il y a un vice formel, on ne peut pas être accusé de favoritisme. Encore moins quand, après une perquisition et l’extraction et l’analyse de centaines de milliers de mails, on n’a trouvé aucune trace de messages prouvant que j’aurais confié un marché par favoritisme. A Nîmes, le directeur en charge des ressources matérielles qui a signé le marché mis en cause a attesté lors de son audition que je n’avais jamais exercé aucune pression. Malgré cela, on a choisi en conscience de m’imputer ce chef d’accusation et de me renvoyer devant le tribunal correctionnel. Et encore une fois, en l’absence de tout enrichissement personnel, aucun euro n’a été décelé malgré l’enquête de 18 mois et des moyens colossaux mis en œuvre.

Nicolas Best sur le plateau de l'émission TV d'Objectif Gard • Photo archive Objectif Gard

Est-ce vrai qu’un représentant de Bouygues a rencontré le jury avant la décision finale d’attribution à cette société ?

C’est commun que des groupements rencontrent un jury de concours dans l’objectif d’exposer la qualité de leur projet. Un appel d’offre se fait généralement en deux temps. Ces groupements amenés à concourir déposent leurs références. Avant la construction des projets, architectes et entreprises viennent vous voir pour expliquer leur organisation sur un projet. Dans la vraie vie, ce sont des pratiques communes. Quand le jury a sélectionné les groupements, en conception-réalisation, il est tout à fait possible et fréquent de rencontrer les acteurs économiques du moment, bien évidemment avant la date limite de dépôt des offres. Le groupement vient même se présenter au directeur, au service utilisateur ou au département de l’ingénierie-travaux. Pour se faire comprendre, ou commenter les éléments du programme. Si j’avais eu envie de retenir Bouygues, je n’aurais reçu que Bouygues. Pourquoi alors ai-je reçu les cinq groupements en lice ? Si je n’avais pas envie de m’embarrasser des détails, j’en aurais sélectionné que trois comme le prévoit la commande publique. On a lavé plus blanc que blanc…

Le plus dur dans toute cette histoire pour vous, c’est le poison du doute non ?

Je ne peux pas parler à la place des pouvoirs publics. Cela m’a mis en difficulté professionnelle, c’est mentir si je ne le dis pas. Les éléments du dossier ont fait clairement apparaitre qu’il n’y a rien de flagrant pour me débarquer immédiatement et brutalement. Le bilan 2022 et 2023 du CHU de Nîmes plaide en ma faveur avec un excédent budgétaire de 3% ; la HAS nous a certifié avec mention, soit le plus haut niveau ; un climat social apaisé ; un système de reconnaissance collective que j’ai initié et qui est apprécié du personnel. Nous avons de nombreux projets immobiliers en avance de phases, déjà au stade de la signature dans le cadre du Segur. Ce bilan de gestion ne justifie pas d’être démis de mes fonctions. Malgré cela, la campagne médiatique outrancière, notamment dans le cadre de la convention signée par Bouygues avec le PNF tente de me détruire professionnellement en m’évinçant. Mon renvoi devant les tribunaux parisiens à l’automne nécessite explications comme je le fais avec vous. Cela ne préjuge pas du futur mais bien évidemment, si un élément capital avait été mis en exergue depuis le départ, j’aurais été démis de mes fonctions depuis longtemps.

Pour finir, avez-vous tout de même un regret ?

Oui, je n’ai pas réagi suffisamment à temps par rapport aux faiblesses techniques du service de la commande publique de l’hôpital d’Annecy. Mais tout cela ne vaut pas tous les chefs d’accusation. Je n’ai rien à me reprocher à titre individuel. Évidemment, si j’avais maintenu la directrice des affaires médicales de l’époque en poste, tout cela ne serait pas arrivé. Je n’aurais pas été inquiété. Mais je ne le regrette pas, j’ai la conscience pour moi. Ceci étant dit, j’aurais pu en venir à des solutions extrêmes, et disparaitre, en raison de l’extrême violence de ce qui m’a été infligé. Tout cela est adapté au grand banditisme et pas à un professionnel de santé dévoué et investi.

Propos recueillis par Abdel Samari

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