Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 07.07.2023 - Marie Meunier - 5 min  - vu 610 fois

BAGNOLS/CÈZE Fatima Benomar en dédicace ce samedi : "Les femmes sont des justiciables particulières"

fatima benomar

La militante pour le droit des femmes, Fatima Benomar, sera en dédicace à Bagnols-sur-Cèze, ce samedi de 10h à midi. 

- photo DR

"Foutues pour foutues". C'est le titre de l'ouvrage sur la justice faite aux femmes, sorti en février 2023, coécrit par neuf "Incorrigibles". Parmi elles, Fatima Benomar, militante marocaine pour le droit des femmes, qui sera en dédicace ce samedi 8 juillet de 10h à midi, à Crousty, place Mallet. 

Fatima Benomar a longtemps milité au sein du collectif féministe "Nous toutes" et a cofondé avant l'association "Les effronté-es". Elle sera à Bagnols-sur-Cèze à l'invitation de "Mouvement d'Elles 30" et en tant que présidente de l'association nationale "Coudes à coudes", qui a pour co-secrétaire la militante insoumise bagnolaise, Geneviève Sabathé. On aborde avec elle l'ouvrage qu'elle a coécrit "Foutues pour foutues", mais aussi le féminisme et le mouvement MeToo.

Objectif Gard : Vous venez ce samedi 8 juillet à Bagnols-sur-Cèze, dédicacer l'ouvrage "Foutues pour foutues", que vous avez coécrit avec huit autres "Incorrigibles" comme indiqué sur la couverture. Vous vous considérez comme incorrigible ?

Fatima Benomar : Je veux bien en être une.

C'est vrai qu'on vous voit prendre position sur des sujets de société parfois clivants. C'est difficile en tant que femme de prendre la parole publiquement aujourd'hui ?

Oui. On a tendance à ne pas croire en notre expertise. Un homme qui s'énerve sur un plateau télé, c'est juste qu'il s'affirme. Pour une femme, on tombe vite dans le procès en hystérie. On a d'autant plus la pression car il faut maîtriser notre ton, notre langage pour ne pas être discréditée. Ce n'est pas facile quand ce sont des sujets sensibles. On s'astreint à vraiment argumenter de manière détaillée, chiffrée, sourcée. 

Le mot "féministe" est parfois mal perçu aujourd'hui. Comment l'expliquez-vous ?

Dans le travail d'écriture de ce livre, on a constaté dès le départ, que les femmes qui sont sorties de la place où on les attendait ont été extrêmement stigmatisées, tournées en ridicule... Dans un passé récent, c'est incroyable de voir toute l'iconographie à l'encontre des Sufragettes. Et encore aujourd'hui, on voit certaines couvertures de titres d'extrême-droite où l'idée qui transparaît, c'est "qu'est-ce qu'elles veulent encore ces femmes ?" Ça, c'est quelque chose qui revient tout le temps : lors du droit de vote en 1944, le droit à l'avortement, la contraception... Il y a une sorte de rappel à l'ordre puis la société s'habitue. 

Quelle définition donneriez-vous du féminisme ?

Quand on est primo-militante féministe, la définition basique est l'égalité entre les femmes et les hommes. Après, on se rend compte que les racines qui ont ancré cette inégalité ont un peu empoisonné tout l'environnement culturel. Moi qui suis très cinéphile, je me suis rendu compte du nombre de films qui avaient le syndrome de la Schtroumpfette, c'est-à-dire une seule femme avec plusieurs hommes ou la manière dont elle est stéréotypée. Il y a aussi tellement de films où le baiser arrive tout de suite, annoncé par la musique, alors qu'on n'a jamais vu de scène où le personnage demande "Est-ce que je peux t'embrasser ?" C'est difficile d'inscrire des rituels de consentement dans nos relations parce qu'on a tendance à suivre des tutos inconscients qu'il y a dans notre imaginaire, dans les livres, les films qu'on a vus. On suit intuitivement des scénarios très construits. Quand on le dit, ça devient tout de suite polémique. On nous accuse de vouloir enlever le libre-arbitre des réalisateurs. Mais on peut essayer de penser des oeuvres autrement pour donner d'autres modèles. 

On est plus de cinq après le mouvement MeToo, qu'est-ce qui a changé ou pas ?

Il faut souligner les bons points. Je pense que ce n'est pas demain la veille que quelqu'un comme Gabriel Matzneff pourra venir à la télévision assumer qu'il aime sortir avec des filles de 14 ans. Je pense que ce n'est pas demain qu'on reverra des unes super sexistes qu'il y a pu avoir sur Hollande avec Trierweiler. Après MeToo et grâce à la mobilisation, on a obtenu la loi sur l'âge minimum de consentement. Ce n'est plus possible à 11 ans de dire qu'on est consentant d'avoir un rapport sexuel avec un adulte. Pour Damien Abad, il y a eu un faisceau d'indices qui a fait que le gouvernement a dit "ce n'est plus possible". Il n'y a pas eu que des condamnations, notamment pour PPDA ou Nicolas Hulot, mais on a gagné l'opinion publique. 

Dans l'ouvrage "Foutues pour foutues", il est aussi question d'une mise en lumière : celle de 30 histoires de justice faite aux femmes. Quel est le fil conducteur traversant tous ces récits ?

On démontre que les femmes sont des justiciables particulières aux yeux de la Justice institutionnelle mais aussi de l'opinion, des médias qui ont traité ces affaires, de la culture populaire... La constante, c'est qu'elles sont soit infantilisées, soit diabolisées. On traverse le livre par ordre chronologique du XIIIe au XXIe siècle, sur plusieurs continents. Dans chaque paragraphe, on fait un clin d'oeil à une trajectoire similaire qui s'est passée à une autre époque, dans une autre contrée. On a essayé d'être le plus ludiques dans le travail d'écriture. Mais l'important, c'est qu'il y ait le plus de récits objectifs. On a fait beaucoup de recherches, on a fait relire par des expertes, il y a plusieurs sources, plusieurs archives. Et l'idée, c'est de montrer qu'aujourd'hui, on est encore faites de ce monde-là, qu'il y a un certain continuum.

On imagine qu'il y a également un enjeu de réhabilitation de ces histoires ?

Oui, d'autant qu'elles ont été parfois oubliées ou mal racontées. Je pense notamment à Sayyida al-Hurra, qui a été gouverneuse de Tetouan au XIVe siècle. Elle a marqué son temps mais on a tout oublié jusqu'à son nom. Il y a aussi un double enjeu : le jugement qui pèse sur des femmes pour des actes même pas répréhensibles, notamment leurs moeurs, le fait de vouloir exercer la médecine... Et en miroir, l'impunité de violences masculines pourtant très graves. 

Comment est née l'idée de cet ouvrage ?

C'est né de la question de la géométrie variable : pourquoi les femmes sont traitées différemment ? On s'est rendu compte que la Justice va plus servir de police de l'ordre du genre qu'à appréhender d'éventuels dangers contestataires. Les femmes ne sont pas perçues comme un danger pour la société mais comme un danger pour l'ordre moral. Ce qui est d'abord puni, c'est qu'elles aient désobéi à ce qu'on attendait d'elles. Les femmes qui ont désobéi à la féminité normative sont perçues comme des "monstres" qui méritent une justice très sévère ou au contraire une indulgence car on ne les prend pas au sérieux. (...) Ça déstabilise le présupposé des femmes traitées de manière plus gentille par la Justice en général. Il y a une répression ambivalente. Pendant la Commune, il y a plus de femmes qui ont bénéficié de non-lieu, mais les quelques-unes qui ont été condamnées ont eu des peines plus dures que les hommes. 13 % de femmes ont été condamnées à mort, contre 0,9 % de condamnés hommes. 

Combien de temps a pris l'écriture de ce livre ?

Le projet est né il y a deux ans. Les autrices se sont rajoutées au fur et à mesure autour de la directrice d'ouvrage, Claire Savina. Je me suis assez vite greffée. Ça a pris du temps car on voulait faire un livre de qualité, qui ne soit pas racoleur et bien documenté. On avait vraiment le souci de ne pas reproduire de stéréotypes. 

"Foutues pour foutues. Trente histoire de la justice faite aux femmes", par neuf "Incorrigibles", Derniere Lettre Editions, 240 pages. Plus d'informations en cliquant ici.

Marie Meunier

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