Publié il y a 9 ans - Mise à jour le 02.10.2014 - marjorie-moore - 6 min  - vu 128 fois

NÎMES Échos de Palestine au Théâtre Christian Liger samedi 04 octobre 2014

Samedi 04 octobre 2014, au théâtre Christian Liger, la Compagnie de la Feuille d'Or  vous permet de voyager, à travers des lectures de textes de jeunes auteurs palestiniens talentueux. C'est grâce à la création d’Écriture en liberté en 2010, que des étudiants palestiniens francophones pourront découvrir une liberté d'expression et une véritable créativité. Les ateliers d'écritures sont dirigés par Yanne Dimay, romancière et scénariste,  créatrice de ces ateliers d'écriture libre. Échos de Palestine tome 2, publié par les éditions Le Littéraire, offre à lire les dix meilleures nouvelles.

Au programme de la soirée, Lecture/ Mise en espace avec la Compagnie de la Feuille d'or. Rencontre avec Hamir Hassan, né en 1990 à Gaza et Yanne Dimay.

Extrait d'un des textes d'Hamir Hassan pour que vous puissiez apprécier les qualités d'écriture de ces jeunes auteurs palestiniens :

Le parfum du passé, poème d'Amir Hassan

"LE PREMIER JOUR DE L'ANNÉE, c'est son anniversaire. C'est d'abord une longue histoire à raconter pour ceux qui ont oublié que le verbe naître au futur devient mourir. Quand j'ai terminé le baccalauréat, j'ai décidé que j'irai la voir tous les jours. Je me suis inscrit à l'université et ma promesse a disparu en même temps que tous mes amis, partis très loin. Pourtant, elle habite juste en face de notre immeuble, il me suffit d'un rien pour traverser la rue et monter l'escalier, puis je tape à sa porte, elle demande comme d'habitude « qui est là ? », j'attends deux minutes puis elle arrive. Elle ouvre la porte, elle me dit, « je savais que c'était toi. » Ce n'est pas trop fatigant d'aller la voir chaque jour, mais bon, la vie parfois nous vole à nous-mêmes, vole ce qu'on aime, ce qu'on veut, et nous, on laisse les visages disparaître tout simplement, en sachant qu'on est en train de perdre notre passé. Néanmoins, la vie continue de jouer sur la scène de notre mémoire.

Elle est comme toutes les grand-mères palestiniennes réfugiées qui font rire quand elles parlent, et font pleurer lorsqu'elles se taisent, elle est le parfum du passé, l'encre blanche, la mémoire d'éléphant, elle est la première maison et la première victime, ses paroles sont des leçons d'histoire pour une nouvelle génération qui n'a pas d'histoire, et son visage est la carte d'un pays depuis plus de soixante ans.

Ses cheveux sont lâchés, dans ses yeux je vois la Méditerranée où je n'avais pas le droit de nager, sur ses mains, les chemins qui conduisaient à son école, à sa maison. J'y vois aussi les âmes des arbres qu'elle avait plantés et dans sa voix, j'entends leurs graines chanter l'amour, l'espoir et la paix. Elle avait 77 ans, pourtant je la voyais belle. C'est vrai que le temps est plus fort que la mémoire, mais il n'est jamais plus fort que la beauté : comme la Palestine occupée, toujours belle, bien habillée, qui, malgré les pièges, se montre élégante, jeune fiancée espérant qu'un jour elle pourra changer cette robe noire pour fêter le retour de son peuple éloigné d'elle.

J'avais découvert la date de son anniversaire quand je lui avais demandé de me montrer sa carte d'identité pour voir sa photo lorsqu'elle était jeune, et j'avais été étonné que sa date d'anniversaire soit le 1er janvier, c'était très beau. Mais comme l'Occupation nous a appris que le bonheur des Palestiniens est une préparation à un grand malheur, elle m'en a raconté l'histoire. En 1948, durant l'exode, les soldats israéliens ont demandé à son père de regrouper sa famille et de quitter la maison. Ils n'eurent pas le temps de prendre leurs papiers et leurs affaires privées, c'était le premier jour de l'entrée de l'armée israélienne dans la ville de Jaffa, sa ville natale. Puis ils ont bombardé la maison. Elle regardait, les larmes aux yeux, les mots assassinés, les pierres violées, les jouets transformés en martyrs, les papiers en oiseaux, le chagrin devenait un nouvel ami et, comme toutes les autres familles, elle est venue à Gaza avec son père. Il lui disait: « Ne pleure pas Nama, on va bientôt revenir, je vais construire une nouvelle maison.» Et ce mot bientôt dure depuis plus de soixante ans. Quand les autorités israéliennes firent les cartes d'identité à Gaza pour les réfugiés, ma grand-mère, comme la majorité d'entre d'eux, avait oublié sa date de naissance. Quand je lui ai demandé en riant comment il était possible d'oublier une chose pareille, elle m'a dit qu'un chiffre n'est jamais important. « Un, deux, trois, mille, des millions de martyrs, tu peux les compter » mais la date de son anniversaire était le dernier de ses soucis, qu'elle n'y avait jamais pensé et qu'à partir de 1948, le 1er janvier était le jour où il y avait le plus d'anniversaires en Palestine. Que faire pour régler un problème pareil, comment se rappeler de son anniversaire au temps où elle avait oublié même les prénoms de ses amis, au temps où l'occupant faisait passer ce message aux Palestiniens : le jour où vous êtes venus à la vie est le jour de votre mort, car la vie sans identité est comme la mort sans enterrement.

J'AVAIS DÉCIDÉ D'ALLER la voir le 1er janvier, en pensant que cela la rendrait peut-être encore plus heureuse, et j'y suis allé. J'avais une idée en tête, lui proposer d'aller avec moi à la mer, car cela faisait longtemps qu'elle n'était pas partie de chez elle. Quand je le lui ai dit, j'ai remarqué son peu d'envie, ou bien une hésitation. Après avoir bu le thé et parlé de sa ville natale comme à son habitude, elle a évoqué son frère qui lui avait enseigné la poésie. Elle me dit: « Je ne savais pas que le poème pouvait aussi être martyr.» Sa mère n'était pas à la maison ce jour de 1948, ils ne l'avaient jamais retrouvée, et la série des chagrins a continué.

Je l'ai aidée à mettre ses vêtements, elle m'a regardé puis elle m'a dit : « Tu sais, je n'aime pas te le dire, mais il se pourrait que ce soit ta dernière demande pour moi, et je ne veux pas que tu sois fâché contre moi.» Je lui ai répondu: « Mais non, c'est juste pour te faire plaisir, on va aller à la mer et manger là-bas.» Elle a ajouté: « Cela fait cinq mois que je ne suis pas sortie de la maison... »

J'ai tenu sa main pour l'aider à descendre l'escalier, puis on est sorti de l'immeuble. Et là, je reçus un choc. Le silence devint roi, les larmes dessinant un chemin, un chemin vers une autre réalité, une autre histoire. Je la regardais, je cachais mes larmes et elle essayait de me montrer que tout allait bien, de ne pas penser que le jour de son anniversaire lui avait réservé un cadeau. Et moi, j'avais insisté pour découvrir ce cadeau : avec le temps, elle n'arrivait plus à marcher, et elle ne le savait pas car elle faisait chaque jour quelques pas de sa chambre à la cuisine, puis de la cuisine aux toilettes. Cette fois ce n'était pas de sa faute, mais de la mienne, c'était moi qui étais venu en retard, et qui avais offert un cadeau triste pour une femme triste depuis soixante ans. On était obligé de retourner à la maison, elle a aperçu mes larmes et m'a dit: « Mais il ne faut pas, mon chéri, c'est la vie, aller-retour, et pour nous, les Palestiniens, on aura un jour ce retour, même si je ne suis pas avec vous, vous aurez la clé après ma mort, et pour moi il ne faut pas s'inquiéter. La solitude m'a appris que les murs sont plus fidèles que les hommes. Tu sais, entre ces murs je ne me sens jamais triste, car quand je chante ils répètent, ils sont la chorale, si j'ai peur ils me protègent.» Je l'ai regardée tristement et je lui ai dit: « Pardonne-moi, je voudrais être un mur pour rester à tes côtés.» Mais comme le disait mon père, l'homme réagit toujours trop tard, et c'est vrai, on n'opère pas la mort. Elle faisait des rêves incroyables, elle savait que la maison avait été détruite, même devant ses yeux, mais elle gardait toujours la clé. Elle écrivait dans ses poèmes que les maisons sont coupables, et les rêves sont faisables, et l'amour ne s'explique pas. Hommage à ceux qui ont planté la Palestine dans leurs âmes." Amir HASSAN

Informations : A 19 h 30 au Théâtre Christian Liger. Réservez rapidement auprès de Monique 06 80 70 90 47 - Claude 06 83 47 87 56 - ou Nicole 06 35 34 18 08

Tarifs : 10 € et 5 €

Marjorie Moore

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