Publié il y a 8 ans - Mise à jour le 01.08.2015 - thierry-allard - 5 min  - vu 1664 fois

ST-LAURENT-DES-ARBRES Près de 40 ans après la fermeture du camp, les Harkis se battent « pour la reconnaissance »

Un défilé a été organisé sur le camp avant le dépôt de gerbe (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, sur la commune sa Saint-Laurent-des-Arbres, il ne reste plus rien, ou presque. Une dalle de bitume, une autre de béton, des escaliers décrépits comme seuls vestiges du lieu où 1 200 Harkis et leurs familles vécurent de 1962 à 1976, dans des conditions indignes. 39 ans après la fermeture du camp, une cérémonie était organisée ce matin pour se souvenir, mais aussi pour continuer le long combat vers la reconnaissance par l’Etat du « drame des Harkis. »

Une dalle de béton, même pas une centaine de mètres carrés de surface, à vue de nez. « Ici, il y avait six familles, nous étions soixante-dix, ma famille était là. Nous n’avions qu’un lavabo, et une douche par semaine » : le souvenir est vivace et la voix un peu éraillée. Il faut dire qu’Hocine Louanchi n’hésite pas à forcer sur sa voix quand il raconte les conditions de vie du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, mais aussi et surtout quand il crie ses revendications, celles de la communauté Harkie.

« Barbelés, miradors et couvre-feu à 22 heures »

« C’était une prison militaire » explique le militant, qui parle au sens propre comme au figuré, puisque le camp de Saint-Laurent-des-Arbres, aujourd’hui toujours terrain militaire, a servi de camp de prisonniers de l’occupation durant la seconde guerre mondiale, puis pour les algériens suspectés de faire partie du FLN et enfin brièvement pour les partisans de l’Algérie française et membres de l’OAS. En 1962, à la fin de la guerre d’Algérie, il devient un « camp de transit de reclassement » pour les Harkis. A partir de cette date, le camp accueille des familles complètes dans des baraquements de tôle puis en dur, dans des conditions de vie pour le moins spartiates réglées par une discipline militaire.

Hocine Louanchi se souvient de son arrivée dans le camp gardois, après avoir été transféré de celui de Rivesaltes, près de Perpignan : « on est partis la nuit, dans un train spécial, comme à Dachau, puis ensuite on nous a mis dans un camion bâché et on nous a posés là. Ce n’est que le lendemain qu’on a vu le décor, avec les barbelés partout et les miradors. Je me suis dit : mais qu’est-ce que c’est que ce pays ? On a passé quinze ans ici. »

Michel Ouameur, aujourd’hui élu à Roquemaure, a passé onze ans dans le camp de Saint-Maurice. Il se souvient « des barbelés, des miradors et du couvre-feu à 22 heures. » Il se rappelle aussi de l’utilisation du vote des Harkis, lorsque « les jours de vote, on nous amenait un seul bulletin, on n’avait pas le choix. Un bus nous amenait jusqu’à Saint-Laurent pour voter. » Hocine Louanchi évoque également des « tests de médicaments » sur les Harkis du camp.

Tous se souviennent d’une école au camp aux maîtres violents, dont un a crevé un œil à un jeune élève sans jamais être inquiété, mais également de la prison — « du cachot, le camp était déjà une prison », rectifie Hocine Louanchi — qui se trouvait en haut des escaliers. « Tout le monde pouvait y finir, de l’enfant qui avait fait une bêtise à la femme qui avait bu un verre de trop, on vivait dans la peur », explique Hocine Louanchi, qui a insisté pour déposer une gerbe sur ces escaliers, à l’intérieur du camp, et pas à la stèle située au bord de la route reliant Saint-Laurent-des-Arbres et Laudun.

La gerbe a été déposée en haut des escaliers qui menaient à la prison du camp (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Quarante ans après la révolte, le combat continue

Un symbole du combat que mène Hocine Louanchi depuis plus de quarante ans. Il y a quarante ans justement, en juin 1975, il décide de passer à l’action avec trois amis, dont M’Hamed Laradji. Le commando fera six prises d’otages, dont la plus retentissante reste celle du directeur du camp en mairie de Saint-Laurent-des-Arbres. « J’avais vingt ans, je ne regrette rien, j’ai pris mes responsabilités. Ils nous ont pris en otage pendant quinze ans. On voulait sortir de l’humiliation, on est partis armés, avec des cagoules et on est sortis debout, les armes à la main, avec nos cagoules. » Après avoir menacé de tout faire sauter, les preneurs d’otages rentrent une fois obtenus l’abandon d’éventuelles poursuites contre eux et surtout la dissolution du camp, effective en 1976. La même année, un ministère des Rapatriés sera créé. « A notre retour au camp, il y avait plus de mille personnes qui nous applaudissaient », raconte Hocine Louanchi. « Leur combat a profité à toute notre génération, affirme Michel Ouameur. On a pu être intégrés au droit commun et nous insérer dans la société française. »

Aujourd’hui, Hocine Louanchi n’a plus vingt ans. Jeune retraité après une carrière d’aide-soignant en psychiatrie du côté d’Arles, il continue le combat. « On revendique la reconnaissance de l’abandon par l’Etat des Harkis, une réparation et que ce lieu devienne un lieu de mémoire pour reconnaître le drame des Harkis, les 150 000 morts », énumère Hocine Louanchi, qui milite également pour que M’Hamed Laradji « rentre au Panthéon. » Pour l’heure, c’est mal parti : une récente mesure proposant aux Harkis ayant vécu dans des camps de transit de racheter quatre trimestres pour leur retraite est vécue par nombre de Harkis comme une humiliation de plus. « C’est de la folie, on ne peut pas accepter ça ! On ne rachète pas des années de captivité ! », s’emporte Hocine Louanchi.

Hocine Louanchi, une des meneurs de la révolte de 1975, combat toujours pour la cause Harkie (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Et maintenant ?

La proposition de faire du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise un mémorial a quant à elle des chances d’aboutir, mais pas à court-terme. « On en est au tout début des négociations, on va constituer un comité de pilotage, explique le maire de Laudun-l’Ardoise Philippe Pécout. Nous allons travailler sur une idée de mémorial ici, il y a beaucoup de travail car c’est un terrain militaire. Nous voulons axer sur l’aspect pédagogique, et nous appuyer sur l’exemple de Rivesaltes, faire des passerelles. » Le groupe de travail sera constitué « dès la rentrée. »

Quant à la question judiciaire, elle pourrait évoluer à l’automne prochain. Mohamed Djafour, président de l’association Générations Harkies basée à Mazamet (Tarn) prépare « une action judiciaire d’envergure pour novembre. » Il poursuit : « nous avons un cabinet d’avocats qui travaille avec nous, sur une envergure nationale, sur des procédures administratives pour demander réparation du préjudice moral et matériel de tous les Harkis et enfants de Harkis. » Pour l’heure, une trentaine de dossiers sont sur le bureau des avocats toulousains, mais Mohamed Djafour espère bien en récolter beaucoup plus : « la flaque d’essence s’étale au niveau national, et nous y mettrons le feu au mois de novembre », promet-il.

Ce qui reste de l'ancien camp de Saint-Maurice l'Ardoise (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Reste à voir quelle attitude l’exécutif compte prendre sur le dossier Harki. Pour l’heure, on ignore si François Hollande ou Manuel Valls seront présents pour l’inauguration du mémorial de Rivesaltes, en octobre prochain. Une occasion de faire un pas en avant, de regarder en face un chapitre douloureux de l’histoire récente du pays et d’enfin espérer tourner la page. « Ils ne voulaient pas nous intégrer, mais nous désintégrer, assène Hocine Louanchi. On a tout perdu, mais on reste debout. »

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectifgard.com

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