Publié il y a 7 ans - Mise à jour le 21.04.2016 - thierry-allard - 5 min  - vu 571 fois

INTERVIEW Philippe Pujol, 10 ans dans les quartiers nord : "Marseille n’est pas un cas à part"

Le journaliste marseillais Philippe Pujol (DR)

Le journaliste marseillais Philippe Pujol, prix Albert-Londres 2014 pour sa série d’articles « Quartiers shit » sur les quartiers nord de Marseille publiée dans le quotidien la Marseillaise, sera en conférence-débat le 28 avril à Nîmes à l’invitation du Club de la Presse et de la Communication du Gard.

Dans son dernier ouvrage La fabrique du monstre (éd. Les Arènes), il raconte dix ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille. Philippe Pujol en tire un regard sans concession sur la question des banlieues en France, où se passent « des choses qu’on ne voit pas qu’à Marseille, mais qui sont très visibles à Marseille. »

Objectif Gard : le titre de votre nouveau livre, issu de dix ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, est La fabrique du monstre. De quel monstre parlez-vous ?

Philippe Pujol : Chacun a son monstre, je ne voulais pas que ce soit bien explicité sur la quatrième de couverture. Pour moi, c’est la république malade qui engendre toutes sortes de radicalisations, délinquante, politique avec le Front national, le clientélisme, l’affairisme avec les magouilles dans l’immobilier. Pour beaucoup de gens, le monstre c’est le FN, la misère, la violence, mais pour moi c’est vraiment cette démocratie grippée. Des choses qu’on ne voit pas qu’à Marseille, mais qui sont très visibles à Marseille.

En dix ans d’immersion dans les quartiers nord, qu’avez-vous retenu ?

Sur ces dix dernières années, une paupérisation rapide et une chute soudaine de la conscience politique, comme s’il y avait une désillusion totale de toute une génération, celle de Sarkozy, juste après les affrontements de 2005. C’est comme s’il y avait la fin d’un espoir dans la république et une organisation nouvelle, une radicalisation encore plus délinquante, un repli identitaire sur un fantasme d’identité, une sorte de contre-culture un peu nihiliste.

Il y a également eu une chute magistrale de la culture, le niveau et l’offre culturels ont été anéantis, on a frappé au cœur le monde associatif, c’est assez dramatique.

Frappé comment ?

En coupant les subventions d’Etat sous Sarkozy, et en les compensant par la décentralisation, ce qui a poussé le clientélisme associatif à son paroxysme. Les associations sont rentrées en concurrence pour obtenir des subventions car il n’y en a plus pour tout le monde.

Vous évoquez beaucoup le clientélisme en politique. Comment se matérialise-t-il ?

Il faut voir les listes électorales, ce sont de véritables petits bestiaires du clientélisme, c’est grotesque. On ne cherche pas les compétences, mais ceux qui ont un poids électoral, un poids clientéliste. Ça fait tristement rigoler de voir les noms qui apparaissent, avec des gens totalement incompétents, où il n’y a rien à garder. Et tout ça s’est beaucoup accéléré.

Quelle est la place de la drogue dans les quartiers nord ?

J’ai connu les années 80 - 90. Dans les années 80, il y avait beaucoup d’héroïne, et plus de morts de l’héroïne qu’aujourd’hui des règlements de comptes. Il y avait déjà des réseaux, mais ils n’avaient aucun pouvoir sur le quartier, et il y avait un tissu associatif très fort qui œuvrait très bien. Depuis que c’est le shit et la coke, les réseaux sont ultra présents, mais mieux organisés. Ils se sont professionnalisés et durcis, ce qui est lié à une plus forte concurrence.

Mais je ne pense pas que la drogue dans les quartiers soit le problème qui engendre tous les maux, c’est plutôt la paupérisation et l’abandon des services publics — il n’y en a quasiment plus — qui favorise la place de la drogue.

Les quartiers nord sont-ils un emblème, un exemple quasiment par l’absurde, des problèmes des cités en France, ou Marseille est-elle un cas à part ?

Non, Marseille n’est pas un cas à part. Dans les banlieues de Strasbourg, de Paris, de Toulouse ou de Nîmes on retrouve des problématiques quasi-identiques, avec des subtilités. On a les mêmes populations, souvent les mêmes histoires d’immigration.

Marseille semble en revanche moins frappée que d’autres, comme Nîmes ou Lunel par exemple, par les départs en Syrie de jeunes partis faire le djihad.

Il y a à Marseille une culture du crime, du banditisme, qui fait que dans les choix de radicalisation, on choisit plus facilement la radicalisation délinquante. C’est celle qui est la plus communément admise, on se rêve Scarface, Pablo Escobar. Il y a aussi une forte identité marseillaise, qui fait qu’un petit rebeu ou gitan se sent marseillais. Après c’est en train de se perdre un peu, on le voit avec le désamour de l’OM qui n’est pas dû qu’aux résultats sportifs. Enfin, il y a un réseau associatif qui reste puissant. Mais ce sont trois choses qui ne sont pas figées, c’est fragile.

Vous critiquez le clientélisme des politiques. Sont-ils responsables à 100 % de la situation des quartiers nord ?

Pas à 100 %. L’Etat ne lâche pas d’argent pour Marseille, pour des politiques qui sont dans un fonctionnement qui n’est que clientéliste. Il y a aussi une responsabilité de la bourgeoisie marseillaise qui a fait son fric sur la colonisation avant de quitter la ville et qui ne vit que d’une économie rentière qui ne produit aucune valeur. Ils pompent tout ce qu’ils peuvent et n’investissent rien.

L’élection d’un maire FN dans le 7e secteur de Marseille, qui regroupe les 13e et 14e arrondissements, une partie des quartiers nord, a-t-elle fait changer les choses ?

C’est pire. Avant, le PS, certes clientéliste, avait aussi une action efficace. Stéphane Ravier par son inaction accentue les problèmes, il fait du clientélisme associatif et a fait rapatrier sur son secteur toutes les associations fachos de la ville.

Après, le FN ne monte pas plus que ça, il a toujours été fort à Marseille. Je ne pense pas que demain il pourrait prendre la ville, par contre il pourrait utiliser les quartiers pour Marine Le Pen en manipulant les dealers, en foutant la merde pour créer des violences urbaines et les récupérer.

Comment voyez-vous les choses évoluer dans les quartiers nord si rien ne change ?

Ma crainte, si on ne relève pas le niveau de la culture, c’est que ça parte vers une radicalisation religieuse. Si on ne fait pas renaître un peu de conscience, on va se tourner vers la loi de Dieu. Il y a un risque que les quartiers se recroquevillent encore plus autour d’une identité de quartier, que l’identité marseillaise se perde et qu’on se tourne vers un communautarisme plus fort.

Après c’est dans ces quartiers qu’il y a la jeunesse, qu’il y a l’avenir. C’est dans ces quartiers de la relégation que, quand on arrêtera de les reléguer, on trouvera la solution.

Philippe Pujol sera en conférence-débat du Club de la Presse et de la Communication du Gard le jeudi 28 avril à 18 heures au foyer Albaric, 27 rue Jean-Reboul à Nîmes. Inscriptions obligatoires ici.

Propos recueillis par Thierry ALLARD

Thierry Allard

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