Publié il y a 7 ans - Mise à jour le 09.08.2022 - anthony-maurin - 5 min  - vu 27396 fois

LES SPÉCIALISTES La corrida: quelques explications avant les ferias

Toro de Juan Pedro Domecq (Photo archives Anthony Maurin)

Le paseo, le défilé qui met au grand jour tous les acteurs de la corrida, en signifie l'imminent début (Photo Archives Anthony Maurin).

Tous les samedis, à 7h, ne manquez pas le décryptage des spécialistes d'Objectif Gard sur un événement, un fait d'actualité, une polémique... Cette semaine, la corrida. Christophe Chay, journaliste à TV Sud et co-présentateur de l'émission Torils et toros sur les ondes de France bleu Gard-Lozère répond à quelques questions sur le sujet.

Qu'est que la corrida?

Son évidence pourrait cacher la complexité de la réponse… Dire ce qu’est la corrida n’est pas simplement décrire ce qui s’y passe, ni même ce qui participe à sa finalité. En fait, la corrida est un événement qui échappe à tout classement et qui n’a pas d’analogue. C’est une interrogation qui s’actualise dans les attentes conscientes et inconscientes, c’est une interrogation qui déjoue les stéréotypes des réponses toutes prêtes, préservant la profondeur du mystère sollicité en chacun et qui concerne la mort, la beauté et la vie. Plus un événement interroge, plus il implique, plus il porte de la signification, plus il doit être ritualisé. La mise à mort publique d’un toro n’est possible que parce qu’elle est l’aboutissement d’une ritualisation.

 

Pourquoi la corrida nécessite un tel rituel ?

La corrida est ritualisée mais elle n’est pas un rituel et encore moins un rite, elle exige simplement une ritualisation. Les tercios, les trois parties qui composent un combat, s’enchaînent toujours de la même manière, tout est compté, mesuré, ordonné et pourtant rien n’est prévisible. C’est le fruit d’une évolution qui a progressivement forgé un cadre afin qu’advienne ce qui peut surprendre ou passionner. La ritualisation participe à son propre débordement pour se faire oublier. L’aléatoire, inévitablement présent entre le toro et le torero, est mis en exergue. La ritualisation est aussi garante de l’esprit même de la corrida sans lequel celle-ci perdrait sa raison d’être.

 

Comment se déroule une corrida?

Après le défilé d’ouverture, le paseo, le premier toro sort en piste. A partir de là, le combat est divisé en trois temps, des tercios. Le premier tercio est celui des piques mais il est aussi celui de l’accueil du toro. Il permet au torero d’évaluer la façon dont son adversaire répond et s’engage à ses sollicitations. Avant la pique, le torero peut jouer d’esthétisme mais c’est la rencontre avec la cavalerie qui reste la base de ce tercio. On apprécie la bravoure du toro. Différent, le deuxième tercio est celui des banderilles. On privilégie les déplacements et le répertoire est varié. Enfin, le dernier tercio est celui de la suerte de matar. Le torero prend la muleta, l’étoffe rouge, et prépare l’estocade en toréant le toro. L’évolution de la corrida fait que ce tercio a pris de l’importance et qu'il est devenu déterminant. Riche en émotion ce face-à-face permet des passes encore plus variées. On cherche la profondeur, l’esthétisme mais aussi la domination du torero sur le fauve et le coup d’épée en est le terme.

 

Qu’est-ce qu’un toro de combat et pourquoi doit-il mourir ?

Le toro brave est un animal unique au monde capable de développer une combativité exceptionnelle qui se manifeste par l’expression de sa bravoure. Il sera dominant par rapport à un territoire qu’il occupe, déterminé à abattre tout obstacle entrant dans son champ de vision. Il va alors employer la force dont il dispose pour arriver à ses fins même si cela doit lui coûter la vie. Le toro voit flou en camaïeux de gris, il n’est donc pas du tout réceptif au rouge de la muleta ! Par contre, s’il ne parvient pas à voir la couleur, il distingue parfaitement le mouvement. De surcroît, tous ses autres sens sont particulièrement développés, l’ouïe est un bon exemple. Un torero peut donc provoquer du geste ou de la voix un toro pour qu’il le charge.

Pourquoi doit-il mourir ?

Pour Heidegger, "l’homme meurt, l’animal périt". Pourtant, la mort est donnée au toro brave, il n’est pas abattu, il ne périt pas. Ce qui se passe durant la corrida révèle la capacité de dépassement des conduites habituelles du toro dans son milieu naturel. Cette dimension d’un au-delà de l’habituel, réalisé dans l’arène, exprime du commun entre le possible des conduites humaines et celles du toro brave. Ce dernier ne doit donc pas périr mais mourir. L’estocade portée, l’animal résiste encore, combattant la mort en livrant sa caste. Le public accompagne cette lutte ultime sur fond d’identification. Le toro, en cet instant, devient un maître pour les hommes. Ce qu’il enseigne par un tel comportement s’accomplit dans la conscience humaine.

 

Qui peut devenir torero ?

Théoriquement, tout le monde. Il suffit de disposer d’une bonne santé et de suivre une formation exigeante. La morphologie peut toutefois jouer un rôle mais c’est l’œil redoutable du public qui juge de ce critère. Les femmes ne sont pas interdites mais sont peu nombreuses à avoir fait carrière. Ce qui compte avant tout, c’est la passion du toro. Ça arrive souvent quand on est jeune et que notre famille nous emmène aux arènes... Quelques toreros débutants ou confirmés sont issus de cultures ou de régions étrangères à la tradition tauromachique donc tout est possible! Le toro doit être présent jusque dans le corps et l’esprit de celui qui prétend se retrouver face à lui. Une sorte d’empathie, peut-être même d’identification partielle, est nécessaire pour éprouver intimement cet animal et le comprendre. Là se trouve la différence entre les prétendants, c’est pourquoi il se dit qu’on naît torero.

 

Pourquoi le président de la corrida agite-t-il des mouchoirs de couleurs ?

Blanc, vert, rouge, bleu, orange, c’est presque un arc-en-ciel dont dispose le président pour communiquer ses décisions. Le mouchoir blanc est le plus utiliser puisque c’est celui qui permet le paseo, qui autorise les sorties des toros, qui peut faire jouer la musique, qui fait sonner les avis ou qui accorde les récompenses. Le vert est quant à lui destiné au changement du toro si celui-ci s’avère impropre au combat. Pour le rouge, c’est la sanction des banderilles noires attribuées à un toro couard. Le bleu a pour fonction de célébrer à titre posthume et pour un tour d’honneur en piste, un toro aux grandes qualités. Enfin, le mouchoir orange a le pouvoir de gracier les toros exceptionnels.

 

Pourquoi coupe-t-on les oreilles et la queue des toros ?

L’histoire raconte que la première oreille fut octroyée à Madrid en 1876. Bien qu’ils soient à l’époque professionnels, les toreros sont souvent mal payés et face à cette précarité ils avaient obtenu de pouvoir toucher, en plus de leur cachet, le prix de la viande du toro combattu si leur prestation donnait satisfaction au public. Le torero allait chercher chez le boucher viande ou monnaie en échange de l’oreille attribuée en piste comme signe de reconnaissance. La tradition a perduré, on récompense le mérite à coup d’appendices.

N’importe qui peut-il devenir aficionado ?

Est-il besoin d’être spécialiste pour aller aux arènes et comprendre ce qui s’y joue ? Quand j’étais gosse, je ne pouvais pas supporter qu’on mette à mort un animal en public. Je suis allé à une corrida un peu par hasard et avec un apriori négatif… Je n’avais pas la connaissance suffisante, je ne comprenais pas les enjeux tauromachiques et la mise à mort. La connaissance se base sur une part d’aléa. Oui, aller aux arènes demande beaucoup aux spectateurs ! Connaissance du toro, de la technique, du règlement, de l’esthétique créé en piste… Tout évolue. Les enjeux modernes font que le public va aux arènes pour une quête précise et qui lui appartient mais le plus important, c’est que le combat du toro brave par l’homme dégage un tel impact émotionnel qu’il peut toucher n’importe quel spectateur, même s'il n’a pas la connaissance taurine. J’entends par là qu’il ne faut pas avoir d’apriori et qu’il faut accepter de voir la mort d’un animal en public. Je ne supporte pas les images diffusées concernant les abattoirs, là, je victimise. Dans l’arène, le toro est l’animal roi, c’est l’animal qui symbolise la puissance, la bravoure, la fécondité… Par conséquent, il a tous les moyens pour combattre, pour se défendre. Il est l’animal élu de la même façon que le torero vêtu de lumières est élu!

"250 réponses à vos questions sur la tauromachie" - éditions du Gerfaut (en collaboration avec Catherine Le Guellaut et Jacques Massip)

Anthony Maurin

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