Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 03.07.2018 - veronique-palomar - 5 min  - vu 826 fois

FAIT DU JOUR Journée de pêche à bord du Jean-Michel Louis

Immersion dans le quotidien ordinaire des marins d'un petit métier du Grau-du-Roi...
Dernière étape avant le filet… du client (Photo Véronique Palomar)

Quand on remonte le filet, tout doit aller très vite (Photo Véronique Palomar)

On les appelle "petit métier" par opposition aux chalutiers. Ils sont entre 20 et 30 au Grau-du-Roi pour une quinzaine de chaluts. Nous avons embarqué sur l'un d'eux, le Jean-Michel Louis de Thomas Roche. Un patron de pêche qui travaille avec son frère, tous les jours où le temps le permet. 

5h. il fait grand nuit. Le Jean-Michel Louis appareille.

La mousse blanche de la vague d'étrave crève le noir bleuté de la mer (Photo Véronique Palomar)

Mission, relever 4 km d'un filet appelé trémail et en recaler 5 km qu'il faudra relever demain. Le trémail est un filet calé sur le fond par une ligne plombée. Il est composé de trois nappes de filet aux mailles inégales. Ce type de filet est utilisé pour pêcher principalement la sole, le turbot ou la raie. Il capture aussi des murex (escargots de mer) et accessoirement d'autres poissons.

Mais nous n'en sommes pas encore là... Pour l'instant, le moteur tourne et le bateau est prêt à quitter le quai. L'équipage se compose de Thomas et de son jeune frère Mathieu qui travaille avec lui depuis 3 ans.

(Photo Véronique Palomar)

Cap sur la sortie du port. On longe l'Espiguette pour rejoindre l'endroit où est mouillé le filet. Son point GPS (localisation) a été précisément relevé au moment du calage. Une demie heure de navigation, le temps de bavarder un peu avant les grandes manoeuvres…

Sur notre route on rencontre des flotteurs surmontés de drapeaux de différentes couleurs.  "Un drapeau noir pour marquer le point le plus à l'ouest du filet, le rouge pour le plus à l'est, auquel on rajoute un jaune pour les casiers et un bleu pour les filets", explique Thomas. Et le même de souligner, "on a été obligé de décider d'un code pour ne pas se mélanger les pinceaux".

Et c'est vrai que la mer semble hérissée de drapeaux. Pour nos pêcheurs, c'est un langage clair. Les 400 chevaux du moteur diesel ronronnent. Pas question de pousser trop fort au départ. "Nous dépendons du matériel, il faut en prendre soin, fait remarquer Thomas. Une panne, et en plus des frais ce sont des jours sans sortir et donc un manque à gagner". Thomas branche le pilote automatique. Pour l'instant cela peut paraître une coquetterie mais à l'heure des manœuvres, ils ne seront pas trop de 2, le pilote virtuel fera donc office de troisième homme.

5H30. Arrivée sur les lieux du relevage.

Chacun à son poste et sans perdre de temps un leitmotiv pendant toute la durée de la pêche et jusqu'au retour à quai (Photo Véronique Palomar)

À tribord (droite) de la cabine de pilotage un gros treuil hydraulique en inox. Mathieu prend place à l'avant, remonte la première bouée, le drapeau et son ancre et engage le filet dans le treuil qui commence à tourner, après avoir préalablement placé un gros bac devant le treuil. Thomas se tient derrière le bac, Au fur et à mesure que le filet est remonté, Mathieu le guide et d'un coup sec fait basculer les poissons à chaque fois qu'il y en a un, sur le côté du bac pour que son frère puisse l'ôter des mailles du filet.

Une fois capturés, les poissons sont jetés dans deux gros paniers : les plats d'un côté et les autres de l'autre. Il faut aller très vite. À cet endroit, le courant est fort et à travers la vitre du poste de pilotage Mathieu est sans cesse obligé de contrôler la vitesse du bateau. Chaque grand bac, qui pèse environ 250 kg une fois plein, contient 1 km de filet. Il faudra donc en changer quatre fois et très vite. L'équipage familial est rodé et procède à la manœuvre sans qu'il ne soit obligé d'échanger une phrase.

6h45. Mention : "c'est pas si mal que ça"

Des paniers, les poissons sont passés dans des caissettes. Aujourd'hui, c'est comme ça, demain est un autre jour et aucun ne se ressemble, sauf l'excitation ressentie au moment de découvrir le contenu des filets (Photo Véronique Palomar)

Les 4 kms de filets sont remontés et les poissons dans leurs paniers respectifs. "Aujourd'hui, c'est une journée moyenne", constate Thomas. "De toute façon, vous avez déjà vu un pêcheur content ?", s'amuse le patron de pêche. "J'ai fait mieux mais j'ai aussi fait beaucoup moins bien", tempère-t-il. De jolis turbots, des soles, des solettes, des raies (dont une électrique qui retourne à l'eau), mais aussi de beaux petits grondins, des seiches de bonne taille en quantité respectable, deux mostelles (un poisson assez rare à chair blanche)… Le tout commenté par la mention , "c'est pas si mal que ça".

On cale et on s'en va 

Tant que le bateau n'a pas rejoint le quai, pas une seconde de répit (Photo Véronique Palomar)

Mais pas le temps de s'étendre, le patron met le cap à quelques encablures. Matthieu cale les cinq bacs de filet qui seront relevés demain. Alors, c'est fini, on rentre ? On rentre mais c'est loin d'être fini : nettoyage du pont avec un gros tuyau alimenté d'eau de mer sous pression, puis Mathieu nettoie les poissons et affine le tri tandis que Thomas change de bac les filets qui viennent d'être remontés afin de les nettoyer et de les démêler.

Pendant ce temps, le pilote automatique nous ramène vers le port, non sans que les hommes jettent un coup d'œil à la route de temps en temps. 2 km de filet prêts à l'emploi en arrivant au port et du poisson tout propre, c'est du temps de gagné. Le filet, pour le petit métier c'est un matériau à la fois fragile et cher. "Chaque année, j'en ai pour 12 000 €", confie Thomas. "Plus 300 € de gasoil par semaine, il faut en pêcher du poisson", conclut-il.

"Donc on est forcé d'aller en mer tous les jours. Parfois c'est dur, et quand le temps ne le permet pas, comme avec l'hiver pourri qu'on vient d'avoir, c'est vraiment limite", déplore Thomas. Malgré tout il n'échangerait sa place pour rien au monde. Ou plutôt si. Il convoite un chalutier. Le Jean-Michel Louis est en vente 165 000 € matériel compris. Ce sera son apport personnel, le chalut de ses rêves en coûtant 500 000. Alors, budget prévisionnel et attente de réponse de la banque… "Ce sera moins dur", se justifie Thomas, le temps d'avouer, "et puis j'ai besoin de relever des défis". Celui-là il le relèvera aussi avec son frère qui le suit dans l'aventure.

Arrivée au Port. Devant l'étal de poisson fin prêt à accueillir la pêche, il y a Louis, le grand-père, et son épouse qui ont déjà tout préparé. Louis est encore plus circonspect que son petit-fils. "Le poisson n'est pas au rendez-vous", commente t-il après un bref regard sur les paniers. "Après tout c'est lundi", lâche-t-il mi-goguenard, mi-fataliste.

Pendant ce temps, Mathieu range de jolie façon, les poissons encore frétillants dans des caissettes que Louis dépose sur l'étal. Les premiers clients arrivent vite. Thomas vend un joli turbot à une bonne cliente par téléphone. Tout ce qui ne sera pas vendu en direct partira à la coopérative. Un petit manque à gagner mais pas de perte. Il faut encore ranger 2 km de filets, préparer le bateau pour la pêche du lendemain, fermer l'étal, aller à la coopérative… Et la journée sera finie jusqu'à demain matin. Une vie de pêcheur : aléatoire, dure et… merveilleuse.

Véronique Palomar

Véronique Palomar

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