Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 02.11.2018 - corentin-corger - 4 min  - vu 814 fois

FAIT DU JOUR Une solution écologique contre le mildiou, mais à quel prix ?

Le pulvérisateur à panneaux confinés permet d'éviter la propagation du cuivre lors du traitement des feuilles contre le mildiou mais son coût est élevé (photo Corentin Corger)

Une vingtaine de viticulteurs gardois réunie à Saint-Gilles pour découvrir la pulvérisation à panneaux confinés. Photo Corentin Corger)

L'ennemi principal des viticulteurs gardois s'appelle le mildiou. Ce champignon attaque les feuilles de vigne et seul un traitement au cuivre permet de sauver les récoltes. Mélangée, il s'agit de la fameuse bouillie bordelaise bleue. Toléré, ce produit présente malgré tout des dangers pour la santé. Pour empêcher sa propagation lors de la pulvérisation, il existe une machine qui rend les pertes quasi inexistantes mais son coût est encore élevé. 

À l'initiative de la chambre d'agriculture, chaque année a lieu le rendez-vous des agriculteurs innovants sous le nom Innov'Action. Cette année, l'événement s'est déroulé chez Michel et Jérôme Castillon qui produisent des vins AOC des Costières au château l'Ermitage à Saint-Gilles. Une vingtaine de vignerons locaux a répondu présent pour assister à une conférence sur les solutions pour réduire les produits phytosanitaires, dont le cuivre.

La solution présentée est un pulvérisateur confiné, muni de panneaux, qui permet d'enjamber la vigne en passant la machine entre deux rangs. Les panneaux sont équipés de petites buses qui pulvérisent directement les feuilles et la bouillie qui n'est pas déposée sur les feuilles est immédiatement récupérée par les lamelles des parois. Résultat : 30 à 40% des produits habituellement rejetés dans l'air sont retenus.

La lutte acharnée contre le mildiou rend les sols saturés en cuivre. "Ici, il y a de la vigne depuis 1820. L'excès de cuivre ressort à chaque analyse mais on parvient à rester en-deçà des normes admises pour le bio", explique Michel Castillon. Dans cette optique et dans celle de préserver l'environnement, car le cuivre représente un véritable danger sanitaire, le viticulteur a investi dans ce pulvérisateur confiné. Une opération qui s'effectue surtout au mois de juin lorsque le feuillage grandit et seulement 2 à 3% de bouillie termine sa course sur le sol.

Pour Renaud Cavalier, chargé de l'agro-équipement à la chambre d'agriculture du Gard, cette innovation va sans doute devenir obligatoire : "d'ici 4-5 ans, tous les viticulteurs devront s'orienter vers cet outil", poussés par une conscience écologique et également contraints par les règles en vigueur. Suivant la situation des zones agricoles, à proximité de certains type d'habitat (école), la réglementation va davantage évoluer vers l'utilisation de ce type de pulvérisateur. C'est ce qu'on appelle des ZNT (Zones de non-traitement), déterminées par l'État.

Des contraintes surtout financières 

La fibre environnementale, tous les agriculteurs l'ont. Mais il y a une réalité financière indéniable. Le modèle que la famille Castillon a présenté à ses confrères est tout équipé, pour une dépense qui approche les 60 000 euros hors taxes. Les premiers modèles se situent autour de 30 000 euros, ce qui reste élevé.

Pour obtenir des subventions pour s'équiper, les viticulteurs peuvent se tourner uniquement vers la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) du Gard. En 2017, le vigneron de Saint-Gilles avait obtenu 9 000 euros. Et en 2018, l'organisme de l'État avait arrêté de financer. De quoi forcément en refroidir certains ! Concernant 2019, Virginie Plantier, chargée de l'agro-écologie à la DDTM du Gard a affirmé qu'une décision serait prise en décembre et qu'en cas d'octroi, les appels à projets seraient lancés à janvier. "Si un financement est prévu, il pourrait être d'environ 40% du projet avec une limite de 30 000 euros versés par dossier."

Les professionnels prennent l'exemple de leur voisin occitan du Gers, où la subvention est d'environ 20 000 euros, ce qui fait plus de 50 % de l'investissement. Un gros coup de pouce qui permettrait à bon nombre d'entre eux de franchir le pas. Comme François Boyer, exploitant au Château Beaubois de Franquevaux : "Il y a un devoir éthique à se tourner vers la non émanation donc je compte investir l'an prochain. Mais comme c'est 50% plus cher, la subvention c'est le nerf de la guerre." D'où l'épineux débat de faire coïncider environnement et production.

Le cuivre dans les vignes, un sujet national qui dépasse le cadre gardois et qui fait débat en commission européenne car sa ré-homologation tarde à être actée. La commission européenne a proposé une autorisation supplémentaire de 7 ans pour une dose maximale de 4 kg/ha/an. Mais les pays de l'Europe du Nord refusent tout en bloc, jugeant la proposition trop laxiste. Mais le temps presse car le cuivre n'est homologué que jusqu'en janvier 2019. Une décision devrait être prise au mois de décembre.

Productivité et petites exploitations

À gauche, Michel Castillon, propriétaire du Château l'Ermitage à Saint-Gilles (photo Corentin Corger)

Dans leur calendrier de production, les viticulteurs ont également des périodes bien précises pour traiter. Avec le "pulvé confiné", M. Castillon a travaillé sur 20 hectares par jour. "Nous avons 80 hectares, ce qui fait quatre jours de traitement. C'est trop long ! Cela a entraîné une réduction de la production sur le cépage grenache, le plus sensible", témoigne le propriétaire du château l'Ermitage.

Pour l'instant, donc, la vitesse d'exécution est moins productive que la pulvérisation traditionnelle. En poussant la réflexion, pour certains professionnels cela ne vaut pas le coup sur des petites exploitations. "C'est un investissement qu'il faut dimensionner. Moi, j'ai neuf hectares et pour du vin de coopérative ce n'est pas intéressant. Jusqu'au jour où je ne serai pas obligé de l'acheter, je ne l'achèterai pas", confie David, viticulteur à Générac.

Au-delà de la contrainte financière, il faut prendre en compte la taille et la composition de la parcelle. Sur une partie dégagée, le pulvérisateur peut avancer jusqu'à 9,5 km/h de moyenne. Mais le terrain doit être préparé surtout à la fin des rangées avec un espacé dégagé pour permettre au tracteur et son équipement de tourner sans encombre.

L'élicitation, l'autre solution ?

Outre la pulvérisation confinée, une autre solution existe mais reste en cours d'expérimentation. Le GRAB (Groupe de recherche en agriculture biologique) travaille depuis des années pour trouver une alternative aux produits chimiques dans le traitement du mildiou. La solution pourrait être l'élicitation (*) qui permet aux feuilles de créer un système de défense et de s'immuniser contre le mildiou. Les éliciteurs sont en fait des substances capables d’engendrer chez les plants sensibles comme les feuilles de vigne des mécanismes de résistance durable, face à l’agression d’un organisme pathogène (champignon, bactérie). Les recherches se poursuivent et n'ont pas encore abouties.

La question de faire coïncider préservation de l'environnement et production du vin est très intéressante. La réponse ne cesse d'évoluer avec différentes contraintes à prendre en compte. Un long débat qui a déjà des pistes de réflexion. Un enjeu d'autant plus important en France où le vin reste sacré... mais toujours à consommer avec modération.

Corentin Corger

* En biologie, l'élicitation est l'activation d'un processus de défense à la suite de la reconnaissance d'un éliciteur lié à l'agresseur (produit par l'agresseur ou résultant de l'agression). On parle souvent d'élicitation dans les interactions entre plantes et pathogènes.

Corentin Corger

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