Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 15.11.2018 - thierry-allard - 5 min  - vu 1121 fois

FAIT DU JOUR Laudun-l’Ardoise a-t-elle dilapidé l’héritage du peintre Albert André ?

Le foyer communal de l'Ardoise, plein comme un oeuf hier soir pour la présentation de l'audit des finances de Laudun-l'Ardoise (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

La scène se passe à 18h25 hier soir, à cinq minutes du début de la réunion publique de présentation de l’audit sur les finances de Laudun-l’Ardoise, au foyer communal de l’Ardoise. Ou plutôt sur son parking, bondé, avec une file de voitures cherchant à y pénétrer.

À l’intérieur du foyer, la situation est identique : toutes les chaises sont rapidement prises, et nombre de citoyens se retrouvent debout contre les murs ou assis par terre. « On n’avait pas prévu qu’il y aurait autant de monde », affirme le maire Yves Cazorla, arguant du fait qu’il y a quelques semaines, la réunion publique sur le devenir de la statue de la Vierge à l’enfant n’avait rassemblé qu’une poignée de laudunois et de l’ardoisiens. Il faut dire que les sujets n’ont rien à voir : ce mercredi soir, il s’agissait de faire un point complet sur les finances de la commune, avec un focus sur le legs de Jacqueline Bret-André, la fille adoptive et héritière du célèbre peintre laudunois Albert André, les deux sujets étant intimement liés.

La situation financière de la commune pour commencer : présentée de façon très didactique par le consultant du cabinet spécialisé Exfilo Stéphane Maury, qui a audité les comptes de 2013 à 2017, « en 2013, la situation était très tendue, et ne s’est pas améliorée en 2014 et 2015. » Une épargne nette faible, qui ne remontera qu’en 2016 avec l’augmentation de la fiscalité locale, avant de se stabiliser en 2017. « En première lecture, on pourrait se dire que la commune a connu une situation financière compliquée de 2013 à 2015 et qu’elle a redressé la barre, mais c’est une lecture qu’on ne va pas emmener en conclusion », affirme le consultant. Et ce pour une raison simple : « si on enlève les produits exceptionnels, qui ne sont pas récurrents et constituent un effet d’aubaine, l’épargne nette est à - 900 000 euros en 2014, et à - 80 000 euros en 2016. »

« Le legs a été consommé pour financer des dépenses d’investissement courantes »

En clair, l’augmentation des impôts, rendue incontournable par la situation financière de la commune, accompagnée d’une baisse des dépenses de fonctionnement en 2016, « n’a pas suffi, on ne retrouve des marges de manoeuvre uniquement car on a touché des produits exceptionnels », affirme Stéphane Maury, qui poursuit en expliquant que « la ville partait de trop loin, il aurait fallu prendre des mesures dès 2013. » Le tout en sachant que Laudun-l’Ardoise, qui compte de nombreuses grandes entreprises, a vu ses revenus de l’ex-taxe professionnelle, passée à l’intercommunalité en 2003 (d’abord Rhône Cèze Languedoc, puis l’Agglo du Gard rhodanien), gelés au niveau de 2002, alors que la dotation générale de fonctionnement, versée par l’État, est passée entre 2013 et 2017 de 500 000 euros annuels à… zéro. Bref, la quadrature du cercle pour une commune qui doit par ailleurs assumer des équipements démesurés pour ses 6 000 habitants, comme le Forum ou la célèbre piscine couverte, qui coûte 500 000 euros annuels à la commune, qui la supporte seule devant la fin de non recevoir de l’Agglo, et qui a dû se résoudre à en fermer les portes en septembre dernier pour des raisons de sécurité.

On comprendra donc la raison pour laquelle la commune a peu investi sur la période 2013-2017 : « 1,1 million d’euros par an en moyenne, soit 30 % de moins que la moyenne de la strate, et pour investir on a puisé sur le fonds de roulement, la trésorerie indispensable à la commune, pour boucler la boucle », explique Stéphane Maury. C’est là que le demi-million d’euros légué à la commune par Jacqueline Bret-André rentre en jeu. À sa mort en 2006, l’héritière du peintre a inscrit dans son testament qu’elle faisait ce legs au bénéfice de la commune pour restaurer et transformer en maison d’artistes la maison d’Albert André, située rue de Boulogne à Laudun. 520 000 euros placés sur un compte à terme en 2007, un compte fermé le 5 mars 2014 alors qu’il comptait 563 000 euros en comptant les intérêts. L’argent a donc effectivement rejoint le fonds de roulement (la trésorerie en d’autres termes) de la commune, où il était déjà crédité (c’est la règle) depuis 2007. « Sauf que les travaux n’ont pas été faits, car la trésorerie a été tellement sollicitée qu’il n’y avait plus assez pour la maison », affirme le consultant. « Le legs a été consommé pour financer des dépenses d’investissement courantes, on a un tableau très précis là dessus », poursuit Stéphane Maury, avant de présenter ledit tableau et d’affirmer que « la preuve est en 2015, où on se retrouve à 52 000 euros de fonds de roulement net (d’où les 552 000 euros du legs sont retranchés, ndlr), c’est que le legs a été dépensé. La ville a besoin de fonds de roulement pour financer ses décalages de trésorerie, elle devrait au minimum disposer toujours d’1,2 million d’euros pour assurer le quotidien. »

« Il y a une forme d’écoeurement »

Le président de l'association des Amis d'Albert André Elian Cellier (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Bref, pour Stéphane Maury c’est clair : le legs a servi à tout sauf à ce à quoi il était destiné. « Je ne comprends pas comment ça a été possible, lance le président de l’Association des amis d’Albert André Elian Cellier, présent hier soir. On a un testament. » À la fin de la réunion, ce même Elian Cellier était « désolé, ça nous plombe le moral. Il y a une forme d’écoeurement, on nous avait promis des choses, notamment en 2016 pour les dix ans de la mort de Jacqueline, et on voit qu’à cette époque déjà l’argent n’existait plus. » Quand on lui pose la question s’il s’agit pour lui d’une forme de trahison, il répond du tac au tac : « complètement. » Dépité aussi, l’exécuteur testamentaire de Jacqueline Bret-André et ancien conservateur départemental Alain Girard : « c’est une grosse déception, mais pour moi c’est un report, pas un enterrement. » Se disant « raisonnablement optimiste », Alain Girard veut désormais « avoir des certitudes que quand la situation financière sera rétablie, la maison sera prioritaire. » Quant à la perspective de l’action judiciaire, il l’exclut : « ça ne règlera rien, on voit bien que la commune ne peut pas le faire. »

Il n’en reste pas moins que la maison du peintre est sans doute loin de connaître la deuxième vie qui lui était promise, et qui était — c’est un comble ! — financée. Le maire, qui se refuse à pointer du doigt ses prédécesseurs et martèle qu’il voulait simplement « savoir où on en est pour savoir où on va », rappelle que les perspectives financières de sa commune ne sont pas roses. « Notre épargne nette est dans le rouge, et on a encore beaucoup de travaux qu’on nous impose, comme la station d’épuration, les travaux du ruissellement des eaux de l’Ardoise, sans compter la pénalité de 100 000 euros par an pour le manque de logements sociaux », poursuit-il. Dans ce contexte, la maison d’Albert André, peintre dont on fêtera l’année prochaine les 150 ans, est renvoyée pas aux calendes grecques, mais presque : « on ne pourra pas y toucher avant 2020 au moins, on n’a pas d’argent. »

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectifgard.com

Contacté, l’ancien maire Patrice Prat (1995 - 2014) nous a fait part de son « étonnement » et dément les faits présentés dans l’audit concernant le legs. Il nous a fait savoir qu’il s’exprimerait probablement très prochainement, sans doute dès aujourd’hui. Son successeur Philippe Pecout (2014 - 2018) n’avait pas retourné nos appels à l’heure (tardive) à laquelle nous écrivions ces lignes.

Thierry Allard

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