Publié il y a 4 ans - Mise à jour le 20.07.2019 - philippe-gavillet-de-peney - 4 min  - vu 344 fois

FEUILLETON DE L'ÉTÉ Deuxième épisode de "L’Été de la miséricorde"

Chaque samedi de l'été, à 11h30, Objectif Gard vous donne rendez-vous avec votre saga estivale.
Photo DR Cévennes Tourisme

Le village d'Anduze (Photo DR Cévennes Tourisme)

Durant l'été, Objectif Gard vous propose de découvrir pendant huit semaines un feuilleton inédit qui se déroule au cœur du Gard ! Le deuxième épisode est à lire maintenant...

ANDUZE. Écrit en lettres capitales et bordé de rouge, le panneau d'entrée de ville planté en bord de route marquait le terme de son périple. Cette fois il était grand temps de lâcher la phrase magique : « Les enfants ! On est arrivé ! » Une annonce qui fut salué d'un sonore « houai ! » sorti simultanément des poitrines de sa marmaille. Le temps de parcourir les derniers hectomètres avant les halles couvertes, la fontaine Pagode et sa cloche coiffée de magnifiques tuiles céramiques vernissées, et elle irait chercher les clés de la maison à l'agence immobilière où les avaient déposées les anciens locataires.

Au sujet du village de son enfance, Julia avait répondu à toutes les questions de Timéo et de Samantha, ravis d'en connaître un peu plus sur la vie de leur mère. Elle avait volontiers accepté de se soumettre au feu roulant des interrogations mais comme elle ne manquait pas une occasion de mettre un peu de pédagogie et de culture dans les échanges avec ses mômes, elle en avait profité pour le faire façon « guide de l'office de tourisme » un peu excentrique.

La digue d'Anduze. Photo Tony Duret / Objectif Gard

Prenant une voix faussement distinguée et haut perchée et adoptant un accent cévenol qu'elle n'avait pas oublié, devant les deux gamins hilares, elle avait entamé un numéro de bateleur dont elle était coutumière : « Mesdames et Messieurs les voyageurs ! Sur votre gauche vous pouvez apercevoir les contreforts du village d'Anduze et ses solides maisons cévenoles aux toits d'ardoises couleur sable. Ce village a autrefois été une enceinte fortifiée. Aux temps troublés des Guerres de religion qui divisaient le royaume à la moitié du XVIe siècle, il a été la capitale et le refuge des protestants de France, persécutés. Il a été bâti sur les flancs des rochers majestueux de Saint-Julien et de Peyremale, au pied du lit où serpente le Gardon. Et en parlant de Gardon, Mesdames et Messieurs les touristes, c'est un petit poisson blanc mais c'est aussi et surtout la rivière qui coule à votre droite et que nous longeons depuis tout à l'heure. Mesdames et Messieurs les estivants, si Anduze est renommée pour sa poterie depuis Louis XIV, elle l'est encore beaucoup plus pour autre chose. Savez-vous pourquoi ? »

Les deux « Mesdames et Messieurs » en question qui se trémoussaient et gloussaient de plaisir sur la banquette arrière ne pouvaient que confesser leur ignorance : «  Non, pourquoi ? »

Julia ne les laissa pas maronner trop longtemps : « Parce que c'est à Anduze qu'une star mondiale que vous connaissez bien a vécu toute son enfance, Mesdames et Messieurs les ignares ! »

« Une star mondiale ? Ah bon ! c'est qui ? »

« Tout d'abord, on ne dit pas : « ah bon, c'est qui ? » mais : « ah bon ! Qui est-ce ? Ensuite la réponse c'est... Moi, Julia Pujol ! », lâcha Julia toute contente de sa petite blague pourtant diversement appréciée par le duo.

« Bon ! Trêve de plaisanterie ! Vous m'attendez dans la voiture, j'en ai pour dix minutes. Merci de ne pas toucher au volant ni au frein à main. Ni à quoi que ce soit d'ailleurs ! Merci aussi de ne pas attirer l'attention en hurlant et en vous bagarrant comme des chiffonniers. Je n'ai pas envie de finir la journée au poste. »

Le centre-ville d'Anduze. Photo Tony Duret / Objectif Gard

Le temps de faire claquer ses talons sur les pimpants pavés gris de la tortueuse "rue Droite" - ainsi nommée car en langue d’oc "droite" veut dire "directe" - qui conduit de la porte du château à la Place couverte et sa halle, les formalités expédiées aussi vite qu'une procédure de divorce d'Eddy Barclay, et elle était déjà de retour les clés en main.

« Bon alors les nains, vous n'avez pas fait de bêtises ? »

« Non, on n'a pas eu le temps... », glissa Sam l’effrontée.

Chacun repris sa place dans l’asthmatique carrosse familial qui emprunta en toussotant la rue Basse avant d'enquiller tout droit sur la rue Fusterie. Ne restait plus qu'à négocier l'épingle à cheveux et à prendre à gauche sur la rue Haute avant de toucher au but. « Terminus ! Tout le monde descend ! »

Jaillis comme des diables de leur boite, Tim et Sam s'éjectèrent de l'habitacle surchauffé. Le grand portail ajouré en fer forgé était barré par une grosse chaîne que fermait un imposant cadenas.

Julia y glissa la clef et l'ouvrit sans difficulté. Le portail grinça un peu sur ses gonds avant de laisser le champ libre aux arrivants. « Attention à vous ! Je vais rentrer la voiture dans la cour », annonça Julia à sa progéniture qui prenait déjà possession des lieux et s'était égaillée comme une volée de martinet dans un champ de maïs.

Construits en U autour d'une vaste cour, le vieux mas parental et ses dépendances agricoles ne semblaient pas avoir trop souffert des outrages du temps. Les anciens locataires avaient bien entretenu la propriété. « Il faudra que je songe à les remercier », pensa Julia.

Elle s'étira et huma l'air à pleins poumons. Lui revenaient les odeurs de foin coupé, de figue, de confitures d'été qui la ramenaient en enfance. Elle traversa la cour et contourna la margelle du vieux puits aujourd'hui désaffecté et remblayé qui trônait sous le vieux figuier centenaire tout biscornu pour aller jeter un coup d’œil au potager.

C'est là que des années durant elle avait vu ses parents, de modestes paysans - des maraîchers qui élevaient aussi quelques moutons -, s'échiner chaque jour sans répit dans les allées de terre tracées au cordeau sur des parcelles érigées en terrasses d'où sortait de terre le fameux oignon doux des Cévennes, de superbes tomates, de délicieuses pommes de terre et bien d'autres merveilles.

Elle fut rapidement tirée de sa courte réflexion par son prénom crié à la cantonade et qui s'envolait par dessus les toits : « Julia !, Julia ! ». Cette voix ! Cette voix elle la connaissait bien et la reconnaîtrait entre mille ! Elle fit demi-tour en courant pour en avoir le cœur net. Sa mémoire ne l'avait pas trahie. C'était bien elle qui se tenait debout, appuyée sur une canne en ceps de vigne aussi ridée que l'était désormais un doux visage où on lisait la bonté. Marthe ! c'était bien Marthe... (À suivre la semaine prochaine même jour, même heure)

Philippe GAVILLET de PENEY

(Photo DR Cévennes Tourisme)

Philippe Gavillet de Peney

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