Publié il y a 4 ans - Mise à jour le 29.08.2019 - veronique-palomar - 6 min  - vu 10259 fois

FAIT DU JOUR Le train de la discorde

Le train à un euro entre Nîmes et le Grau-du-Roi suscite à nouveau la polémique.
Fouille systématique dans la bonne humeur (photo Véronique Camplan)

Une petite gare à l'apparence bien tranquille (photo Véronique Camplan)

Voilà un TER qui n'a pas fini de faire couler de l'encre.  Il y a quatre jours, un de nos confrères de la presse nationale en faisait ses choux gras en titrant "Le train des racailles" et poursuivait sur le même ton dans un article très partisan. Qu'à cela ne tienne, rien ne vaut une enquête de terrain pour se faire une idée.

Depuis 2011, le trajet sur la ligne est subventionné par la Région Occitanie. Un euro par trajet pour que les familles qui n'ont pas les moyens de s'offrir des vacances puissent profiter d'une journée à la plage. Oui mais voilà, dès la mise en application de la mesure, des jeunes des quartiers sensibles en ont profité pour aller semer la panique hors leurs murs. Arrivées en bandes, chahuts, vols à l'étalage, bousculades, dégradations… Une petite délinquance venue semer le trouble dans la station balnéaire.

Face à ces comportements les commerçants du Grau-du-Roi ont tiré la sonnette d'alarme. Si celle-ci n'a pas arrêté le train, des mesures de sécurité renforcées ont été prises. Qu'en est-il au juste aujourd'hui ?

Les forces de l'ordre sillonnent les voitures. Une présence rassurante pour les uns et dissuasive pour les autres (photo Véronique Camplan)

Au départ de la gare de Nîmes tout est calme. Renseignements pris, les tickets s'achètent sur les bornes TER. Tout est automatique avec un paiement possible en espèces ou par carte de crédit. Mais pour les paiements en espèces il faut avoir la monnaie car la machine ne prend pas les billets de banque. Nous sortons la carte de crédit. Mais après avoir essayé plusieurs bornes, le système s'avère défectueux.

Un groupe de jeunes habitués du trajet propose son aide. "Au fond du comptoir SNCF, il y a un changeur de monnaie", nous indique l'un d'eux. L'heure tourne, nous fonçons et lorsque nous nous adressons à un agent du fameux comptoir, il répond : "La machine est en panne, allez vous acheter une bouteille d'eau pour faire de la monnaie". Dont acte. Mais voilà qui fait exploser le prix du billet, sans compter la désagréable impression que cela provoque. Retour à la borne avec la bouteille d'eau et de la monnaie. Les jeunes nous attendent et proposent de nous monter le chemin jusqu'au quai pour gagner du temps. Sympa.

Un train sous surveillance

Une fois au départ du train, des gendarmes surveillent l'embarquement, jettent un coup d'œil dans les sacs puis montent en même temps que les voyageurs. Les voitures sont climatisées et propres. Le calme règne. "Pourquoi, y a-t-il des policiers dans le train?", demande une mère de famille. Elle vient d'Annecy et emprunte la ligne pour rejoindre sa sœur à la Grande Motte. Explications données, elle sourit. "Chez nous aussi, on a ce genre d'ennuis en été." Puis elle se remet à admirer tranquillement le paysage.

Un bar restaurant pas loin de la gare où les incidents ne sont pas nombreux (photo Véronique Camplan)

Après un trajet sans histoire et même plutôt confortable et agréable de 45 minutes, arrêts à Vauvert et à Aigues-Mortes compris, nous arrivons au Grau-du-Roi. Là détente est le premier bar en sortant de la gare, les autres établissements sont uniquement des restaurants. Première halte pour prendre la température. La patronne, Corinne Molières, ne mâche pas ses mots.

Elle trouve l'article de nos confrères inadmissible. Ici on n'aime pas que les "Parisiens" viennent mettre le nez dans nos affaires. Et pour Corinne Molières, même si il y a un fond de vérité, c'est très exagéré. "J'ai dû appeler la police une seule fois. La plupart du temps, ce sont des gamins de 12 ou 13 ans qui se croient forts parce qu'ils sont en bande. On les mets dehors." Et d'en conclure qu'il faudrait qu'ils soient accompagnés par des adultes. "Aller voir le super U, conseille-t-elle. Ils se sont fait piller une fois. Depuis, le responsable prend des vigiles et filtre la clientèle à chaque arrivée du train."

La rue Michel-Rédarès est dédiée au commerce et grouille de touristes en ce mois d'août  (photo Véronique Camplan)

Petit tour au Super U donc. Nous passons la barrière du vigile avec succès puis lorsque nous interrogeons le personnel sur les "nuisances du train" et le sujet de notre reportage, une employée appelle le responsable qui se trouve à l'étage. Celui-ci fait dire qu'il n'est "disponible que sur rendez-vous". Sans doute une façon comme une autre d'éluder. Tant pis, nous aurions aimer lui demander si la loi permet de filtrer les clients au faciès, comme à l'entrée d'une boîte de nuit, ou si cela revient à un refus de vendre. Un jour peut-être…

Autre point sensible la rue Michel-Rédarès, piétonne et commerçante, où les boutiques sont accolées les unes aux autres. La bijouterie n'a jamais eu de problème, ses articles sont rangés dans des vitrines. Dans une boutique d'accessoires, on nous relate des vols à l'étalage où, à chaque fois, les responsables ont été rattrapés et confondus grâce aux caméras de surveillance. À un énorme stand de glaces on déplore des chahuts, des attitudes provocantes, gênantes pour la clientèle.

Tous s'accordent à dire qu'en août ça va mieux. "ils sont noyés dans la masse des touristes", affirme un commerçant. Le problème semble moins aigu. Mais tous se passeraient bien de cet afflux de gens qui ne consomment pas et sèment le trouble. Les mois d'été, ils sont là pour faire du chiffre et voient d'un mauvais œil tout ce qui pourrait entacher l'image de la station.

Les touristes sont partout en cette période de fin de vacances. Aucun de ceux que nous avons interrogé ne s'est plaint, la plupart n'avait même entendu parler de rien.

La plage du centre ville est tranquille  en ce jour de chaleur estivale  (photo Véronique Camplan)

Dernier spot à visiter : la plage. On nous a parlé de jeunes bruyants qui jouent au foot, s'apostrophent en parlant fort, sifflent les filles, demandent des cigarettes et se fâchent si on les leur refuse. Ce jour-là, rien de tout ça mais des familles, beaucoup d'enfants et des gens plutôt heureux d'être là pour profiter des derniers jours de farniente.

Les médiateurs clament haut et fort qu'il serait temps de positiver. Selon eux, les résultats sont là et il aimeraient qu'on le dise (photo Véronique Camplan)

Retour à la gare avec un peu d'avance pour pouvoir parler avec médiateurs et forces de l'ordre et assister à l'embarquement des passagers. Les médiateurs sont six. Des costauds souriants qui sont fiers de leur travail. "On est là pour composter les billets et veiller au bon comportement de tous", expliquent-ils avant de clamer d'une seule voix que "si les débuts de saison demandent des mises au point, l'été a plutôt été tranquille".

Selon eux, il faut positiver. "Faites nous un beau papier", demandent ces hommes dévoués, fatigués d'entendre toujours les mêmes réflexions négatives. Selon leurs dires, les mesures misent en place portent leurs fruits et personne ne veut le reconnaître. Pendant que nous parlons, des familles entières embarquent avec poussettes et sacs et se présentent à la fouille. Une mesure que personne ne conteste.

"Il faut avoir du discernement", sourit un gendarme qui vient de laisser passer une mère surchargée et sa nombreuse progéniture. "Le souci c'est que l'on nous a donné des pouvoirs au compte goutte, poursuit-il. Au début, on n'avait pas droit à la fouille. Maintenant c'est le cas et ça va beaucoup mieux. En début de saison, on a saisi des poings américains, des bombes lacrymogène, des couteaux et même des coupe-boulons et des scalpels pour piquer les vélos. On a mis des années à faire le ménage, à repérer les meneurs, mais ça va beaucoup mieux." "On a déplacé le problème", constate toutefois un autre gendarme. Maintenant, les fauteurs de troubles vont à Collias ou au Pont du Gard…" 

Nathalie est heureuse. Le train à un euro c'est un luxe magnifique (photo Véronique Camplan)

Il est temps de rentrer, il y a du monde mais tout est calme. Pas de forces de l'ordre dans le train sur ce trajet. Nous prenons place face à une dame souriante qui bien vite engage la conversation. Elle se prénomme Nathalie et habite Rodilhan. Coup de chance, c'est une habituée de la ligne, et ce depuis longtemps.  "Je n'ai pas de gros moyens et à une époque, c'était vraiment dur. Alors pouvoir voyager pour 1 euro, ça a toujours été mon luxe. Je vais passer une journée à la plage. C'est facile et en plus, j'ai le sentiment que l'on me rend ma dignité", entame Nathalie en guise de préambule.

Puis elle enchaîne : "Dans le train, je rencontre tout un tas de gens. Une fois, une jeune femme m'a invitée à bord de son voilier pour me remercier de lui avoir remonté le moral pendant le trajet. Je parle aussi avec des parents divorcés, heureux de pouvoir partager un joli moment avec leurs enfants même s'ils n'ont pas les moyens. Avec ce qu'ils économisent sur le ticket, ils peuvent offrir une glace, un tour de manège… C'est formidable."

Quand nous lui demandons si elle a été victime d'incivilité, elle répond : "Une fois, des jeunes bouchaient le passage et bousculaient les gens avec des gestes déplacés envers les femmes. C'est tout et ça ne justifie pas que l'on prive tous ces gens de cette ligne qui leur permet d'avoir accès au voyage, au dépaysement, à la joie". Et d'évoquer ce couple de petits retraités sans voiture, ce père sans travail fier d'emmener son fils à la plage. La dignité encore… Lorsque l'on se sépare à la gare, Nathalie nous demande d'une voix qui tremble un peu et comme s'il ne tenait qu'à nous, "ne nous supprimez pas ce train". Message transmis, Nathalie.

Véronique Palomar Camplan

Véronique Palomar

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