A la une
Publié il y a 4 ans - Mise à jour le 14.09.2019 - anthony-maurin - 6 min  - vu 511 fois

SAMEDI TOROS À sa place, Arnaud Agnel a rendu un vibrant hommage à Juan Bautista

Préambule à la feria, le monologue interprété par Arnaud Agnel sur des mots d'Yves Charnet est une totale réussite. La suite ?
Arnaud Agnel avec en fond de déor, un Juan Bautista triomphant.

Au fond, il n’est peut-être à sa place qu’en face d’un public. Deux jours avant la corrida goyesque qui a vu Juan Bautista se retirer des ruedos, Arnaud Agnel est enfin monté sur la scène du théâtre d’Arles pour le spectacle « Je ne me sens bien, au fond, que dans des lieux où je ne suis pas à ma place », adapté de l’excellent livre Lettres à Juan Bautista d’Yves Charnet.

Un succès, clairement. Veille de feria, avant-veille de corrida goyesque, le jour était choisi avec la précision d’une faena de Juan Bautista pour que le spectacle reste dans les esprits et soit le point initial de ce qui a été un grand moment de vie. Comme pour la corrida goyesque qui suivait, le théâtre d'Arles affichait depuis longtemps le no hay billetes des grands soirs.

Un grand soir… Après près de deux années de travail. 1h40 à un rythme vocal soutenu. Une cadence que même l'immense Philippe Caubère, présent (et qui est aussi l’homme de la voix off du spectacle) pour l'occasion, aurait du mal à imaginer tenir aussi longtemps. Un débit de sages paroles, une série léchée de muletazos aiguisés par la verve d’un Agnel fin prêt pour faire voyager l’histoire d’un homme pas comme les autres, d’un torero différent.

Une création qui va voyager

Mais de cette première date, intimement imposante et importante, devait en découler d’autres.  Arnaud Agnel s’est lancé dans une cascade de somptueuses palabres signées Charnet. Un texte ciselé, travaillé au capote pour l’arrondir plus encore. Un texte qui a pris un puyazo d’intérêt afin de le rehausser un tantinet et de le rendre vivant, humain. Un texte qui s’est fait embarquer dans la muleta d’Agnel et qui, au final, a pris du relief sous cette forme quadridimensionnelle.

Arnaud Agnel sur scène (Photo Just A Pics)

" Le bilan est plus que positif. Je pense que c’est une réussite. C’est un pont qui est né le jeudi soir et qui s’est terminé le samedi et je crois que les personnes qui ont vu la corrida du samedi, en plus du spectacle, ont vraiment vu ça comme un ensemble, annonce le comédien. C'était très beau à vivre. Je suis ravi de reprendre le spectacle qui sera joué à Nîmes en janvier, à Saint-Martin-de-Crau, à Dax…  Et ça, c’est vraiment très chouette. Plein d’autres dates vont venir. Il y aura un avant et un après ce spectacle, même au niveau de ce que les gens pensent et connaissent de mon travail. "

Maintenant que le grand soir est derrière nous, il faut penser à la suite et Arnaud sera donc prochainement en tournée avec ce monologue spectaculaire. Taurin ? Un peu, beaucoup même, mais cela n’apporte ou n’ôte rien à la qualité du spectacle proposé. Agnel pourrait parler des figues, des oursins ou des malandrins que le spectateur resterait quand même écouter son propos tant la mise en scène est captivante.

Ça change une vie...

Il est évident qu’avec un texte creux, les mots sonneraient faux. Vous l’aurez compris, pour les aficionados ces lignes orales sont un petit bonheur mais pour les béotiens, pas de problème, nul besoin de comprendre la tauromachie pour assister à cet ovni culturel.

Fin du spectacle, standing ovation du public et émotion pour Arnaud Agnel (Photo Anthony Maurin).

Retour sur la mise en scène. Tout seul face à son auditoire, Arnaud Agnel use de malice. Quelques ustensiles de bureau et d'écriture, un autre plus sportif et une lidia parfaitement complète avec des trastos étonnants… Un grand moment à découvrir pour certains à redécouvrir pour les chanceux qui ont vu la première !

" Mes espérances ? On est au-delà ! Je pensais bien que le spectacle pouvait marcher et trouver un joli écho mais je n’imaginais pas que ça serait à ce point… On m’en a parlé pendant toute la feria, note Arnaud Agnel. J’ai été bombardé de messages. On m’arrêtait dans la rue pour me dire que c’était génial. Mais le plus, c’était la standing ovation ! J’ai vu beaucoup de spectacles dans ma vie et je n’avais jamais vu ça. C’est juste incroyable que ça soit pour mon spectacle. "

Souvenirs de l'auteur

Pour l'auteur du livre, Yves Charnet, l'histoire est un peu différente. De son expérience est née ce spectacle mais comment en est-on arrivé là ? " Je ne connaissais rien à la corrida ni à la tauromachie. Je connaissais juste la chanson de Brel car à la maison on écoutait la chanson française mais à part les Toros, rien du tout ! J’ai découvert cet univers par hasard alors que nous étions en vacances à Séville. Nous avons remarqué qu’il y avait une corrida. Nous y sommes allés par curiosité mais honnêtement je ne savais même pas qu’il y avait des picadors… J’avais 37 ans, l’âge de Juan Bautista aujourd’hui. "

À gauche, Yves Charnet à la fin du spectacle en pleine discussion avec Marion Mazauric de dos et Juan Bautista à droite (Photo Anthony Maurin).

Si vous ne le connaissez pas, Yves Charnet est un drôle de bonhomme. Gaillard parmi les gaillard, lettré et curieux, il est difficile de comprendre comment un profil comme le sien peut tout à coup s'intéresser à cet univers décrié. " J’ai été bouleversé, fasciné, ça a touché quelque chose au plus profond de moi. J’ai commencé à comprendre la tauromachie grâce à l’art qu’on trouve dans une corrida. C’est ainsi que je m’y suis intéressé, c’est une pratique dangereuse de la beauté. C’est aussi un sujet pour l’écrivain que je suis. J’ai commencé à poser des questions et j’ai continué. En fait, j’étais le luron qui débarquait et que personne ne connaissait car il faut le dire, dans le mundillo, tout le monde se connaît. "

Rappelons qu'à l'époque où Yves Charnet s'intéresse à Juan Bautista, ce dernier n’était pas encore le torero connu et reconnu d'aujourd’hui. Il était un peu à contresens, à rebours. L'auteur l'a rencontré la première fois à Bordeaux alors qu’il participait à un colloque. Adorable et abordable, le maestro répondait à toutes les questions du limier alors que l'auteur lui-même était intimidé par cet homme plus jeune que lui et qui frôlait la mort à chaque pas en piste.

La mort révélée par l'art

" Le travail avec la mort, c’est le grand refoulé actuel de notre société. Une corrida est le dernier endroit où le public a un rapport direct à la mort, brosse Yves Charnet. C’est une tragédie et c’est contre l’air du temps. Comme tout art, c’est cette part maudite qu’il faut affronter. Avec la corrida, on nous apprend à se tenir debout, à être courageux. La corrida a un grand pouvoir symbolique et parfois je m’en sers dans la vie de tous les jours. "

Arnaud Agnel et Yves Charnet Photo DR).

" Arnaud a transformé la difficulté de ma relation avec Juan Bautista pour en faire quelque chose de drôle. Il faut dire que Juan Bautista a arrêté l’école au collège, quand il a commencé à être torero, et que moi j’étais professeur agrégé qui ne connaissait rien à la tauromachie. Grâce à cela, Juan Bautista a pu lâcher des phrases qu’il n’aurait jamais dit à un journaliste. "

Changement de vie et autre livre ?

Selon l'auteur lui-même, l'émotion était visible dans ses yeux jeudi soir dernier. Dans ses tripes aussi. Cette histoire lui impose un retour en arrière sur près de 20 ans de vie. À l’époque, Juan Bautista avait 22 ans, sa vie a changé et il est devenu le maestro qu’on connaît. Il est aujourd’hui un adulte avec femme et enfants. Disons que ce spectacle boucle quelque chose mais que Juan Bautista est déjà devenu quelqu’un d’autre.

" Le spectacle était fort et le triomphe qu’il a connu lors de sa despedida dans ses arènes d’Arles pour la corrida goyesque où il a gracié son dernier toro…, avoue Yves Charnet. Là aussi il y a un sujet extraordinaire à traiter car cette manière de partir a été remarquable. Il y a peut-être matière à un second livre sur le temps qui passe et les différentes positions d’un homme face à sa vie. En quatre jours à Arles, nous avons vécu un tas de choses importantes. "

Dernière vuelta de Juan Bautista accompagné de sa petite famille (Photo Anthony Maurin).

Pour conclure, comme l'auteur a écrit son histoire dans l'histoire, le mot de la fin lui revient pleinement. La question était libre, " Que voulez-vous dire ? Vous avez carte blanche ! "  " Je veux parler de la transmission. Juan Bautista est venu assister à ce spectacle en famille, il avait amené sa fille de huit ans. J’aime savoir qu'il associe ses enfants à sa vie. Quand il fait une vuelta dans les arènes, ses enfants sont à ses côtés. Il fait ce que Luc (son père Luc Jalabert décédé l’an passé, NDLR) faisait quand il n'avait que cinq ans et qu’il le mettait en piste, notamment à Méjanes comme on peut le voir sur une photo au début du spectacle. Arnaud transmet également mes mots autrement. La transmission, c’est important, surtout à l’heure où quelques personnes veulent interdire la corrida aux mineurs ! Je suis très sensible à cela. "

Les dates à venir : le  23 janvier 2020 au théâtre Christian Liger à Nîmes (30), locations ouvertes. Le 4 avril 2020 au Galet à Saint-Martin-de-Crau (13), locations ouvertes. Le 18 avril 2020 à l’Atrium à Dax (40), locations ouvertes, et le 21 avril 2020 au théâtre des Carmes à La Rochefoucauld.

Anthony Maurin

A la une

Voir Plus

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio