Publié il y a 4 ans - Mise à jour le 14.02.2020 - anthony-maurin - 9 min  - vu 1541 fois

NÎMES Des histoires d'amour pour Guillaume Apollinaire et d'amitié pour George Sand

Amours et amitiés se lient à Nîmes comme une bonne sauce sublime un plat.
La Tour Magne (Photo Anthony Maurin).

Guillaume Apollinaire.

À Nîmes, un quartier a pris le nom des Amoureux, mais, saint Valentin oblige, nous nous devions de parler un tantinet des amours et d'amitiés galantes nîmoises. Parmi la foultitude d'histoires locales, deux émergent : celle entre Guillaume Apollinaire et Lou et celle de Jules Boucoiran et George Sand.

Il est né Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky pour l'état civil et sujet Polonais de l'empire russe. Le temps, sa naturalisation en 1916 et l'histoire de la littérature finiront par le réduire à un plus simple Guillaume Apollinaire. Avec le temps, l'auteur du Pont Mirabeau et du Voyageur et adepte du calligramme est devenu un illustre poète mais, déjà à l'époque de la Première Guerre mondiale, son talent était reconnu.

Après avoir formulé une première demande, rejetée, pour s'engager dans le conflit naissant qui serait bientôt la boucherie que l'on connaît, celle de la guerre de 1914-1918, Apollinaire renouvelle sa requête auprès des autorités françaises. Entre-temps, en septembre 1914, il a rencontré une certaine Louise de Coligny-Châtillon, d'un an sa cadette. Elle sera plus tard une des premières aviatrices !

Une semaine nîmoise

L'amour donne des ailes et Guillaume ne peut enlever l'image de celle qu'il appelle Lou de sa tête pleine de folie amoureuse. Arrivé à Nîmes le 5 décembre 1914 pour être placé en garnison au camp des Garrigues avant un départ imminent pour le front, Apollinaire voit Lou débarquer deux jours plus tard dans la cité des Antonin. Elle y restera une semaine. Sept jours qui vont changer la vie de l'homme et la littérature française.

Lou, Louise de Coligny Châtillon.

Le bidasse Apollinaire fait le mur et la rejoint. Ils passent des jours et des nuits à l'Hôtel du Midi, square de la Couronne, où il écrira ses plus belles lignes mêlant la détresse de la guerre à celle de l'homme transit d'amour passionné. Une fois partie, Lou laisse un vide dans la vie du poète qui doit trouver d'autres loisirs pour ne pas devenir fou. C'est ici la Lou des poèmes de Calligrammes, Poèmes à Lou. Leurs échanges épistolaires représentent 220 lettres, dont il ne reste que 45 exemplaires, et 76 poèmes.

Il parle, chante ses chansons à qui veut les entendre. Ses discussions dans les cafés du coin étaient aussi animées que son imagination. Il parlait de la flore nîmoise, notamment dans un restaurant (La Grille) situé Rue de l'Étoile mais aussi dans les bistrots des boulevards comme Le Grand Café (Esplanade) ou Le Tortoni (Monoprix) qu'il appréciait particulièrement car il faisait face à l'hôtel où il avait passé quelques jours avec Lou.

Tour Magne et compagnie

Lui qui voyait la Tour Magne tournée sur sa colline laurée, écrivit aussi à Lou de manière enflammée. L'amour fou, c'est Guillaume Apollinaire et Lou à Nîmes. L'Amour dit reste ici mais là-bas les obus épousent ardemment, notait le poète à Nîmes durant l'hiver 1914-1915. Et de conclure par, Je te salue au loin belle rose, Ô tour Magne.

La plaque en hommage à Guillaume Apollinaire et à ses poèmes à Lou (Photo Anthony Maurin).

À l'occasion du 80e anniversaire de sa mort (il mourra le 9 novembre 1918 de la grippe espagnole, deux jours avant la fin de la guerre), la ville de Nîmes, sous la municipalité Clary, a fait apposer une plaque à l'Hôtel du Midi rappelant cette belle histoire. Les deux premiers vers de Poème à Lou sont les suivants : "L'amour est libre il n'est jamais soumis au sort Ô Lou le mien est plus fort encore que la mort."

Littérateur-soldat, comme il se définissait, poète et critique d'art, Apollinaire a fait voir une autre facette de l'humanité amoureuse en temps de guerre. "L'heure est venue Adieu l'heure de ton départ On va rentrer Il est neuf heures moins le quart Une deux trois Adieu de Nîmes dans le Gard" sont les trois derniers vers écrits le 4 février 1915.

Durant son séjour nîmois, et c'est le lien entre nos deux histoires, Guillaume Apollinaire va rencontrer un Alfred de Musset, fervent amant de George Sand, décédé au milieu du XIXe siècle. Comment ? Par l'intermédiaire d'un portrait, une magnifique peinture de Gustave Ricard qu'un local, un certain Sainturier, qui vivait en ermite, conservait avec de nombreuses autres toiles des plus cotées.

L'ami très intime de George Sand

Nous voilà donc en plein voyage dans le temps. Revenons dans les années 1850. Depuis toujours, George Sand prend le parti du féminisme. Elle lance la mode vestimentaire masculine pour les femmes, trouve et utilise son pseudonyme alors qu'elle n'est âgée de 25 ans. Elle contribue activement à la vie intellectuelle de la France. Amie de Victor Hugo, George Sand a bien connu Nîmes pour y avoir passé quelques temps avec un certain Jules Boucoiran. Une vraie relation quasi maternelle les lie.

Il y a quelques étés de cela, une balade dans les rues de la ville sur cette thématique était organisée. Boucoiran, ancien précepteur des enfants de George Sand, est restée trois jours durant à Nîmes avec l'écrivaine qui devait partir pour Perpignan afin de retrouver Chopin pour un concert. Boucoiran et Sand, sans forcément connaître l'amour comme on l'imagine l'un pour l'autre, avaient une réellement tendresse, un attachement certain qui allait au-delà des liens formels. Leur correspondance s'établit du 2 septembre 1829 au 20 août 1875, de l'année où Amandine Aurore Lucile Dupin est devenue George jusqu'à un an avant son décès.

Anne César alias George Sand et Bruno Paternot en Jules Boucoiran lors de la balade nîmoise de 2017 (Photo Anthony Maurin).

Cette précieuse et importante correspondance de George Sand pour le précepteur de son fils Maurice Dudevant, qui devient ainsi plus que son simple confident, explique et entre dans les détails dans la vie de l'auteur. On peut y lire ses déboires avec son mari, mieux comprendre ses débuts dans le monde littérature, sa liaison avec Alfred de Musset et bien entendu sa vie avec Chopin.

Dans cette correspondance, forte de 130 lettres dont près de 100 sont restées longtemps dans les noirceurs des placards, deux sont d'Alfred de Musset.

Des lettres on ne peut plus sincères

Le 1er mars 1830, elle écrit : " Il me semblait que vous nous aviez oubliés. Je suis bien aise de m’être trompée. Vous seriez fort ingrat, si vous ne répondiez pas à l’amitié sincère que je vous ai témoignée et que vous m’avez paru mériter. Je crois que vous y répondez en effet, puisque vous me le dites, et je suis sensible à la manière simple et affectueuse dont vous exprimez votre affection. Vous vous applaudissez d’avoir trouvé une amie en moi. C’est bon et rare, les amis ! Si vous ne changez point, si vous restez toujours ce que je vous ai vu ici, c’est-à-dire honnête, doux, sincère, aimant votre excellente mère, respectant la vieillesse et ne vous faisant pas un amusement de la railler, comme il est aujourd’hui de mode de le faire ; si vous demeurez, enfin, toujours étranger aux erreurs que vous m’avez vue détester et combattre chez mes plus proches amis, vous pouvez compter sur cette amitié toute maternelle que je vous ai promise. Mais je vous avertis que j’exigerai plus de vous que des autres. "

George Sand.

Le 23 octobre 1838, de Lyon, George Sand écrit à Jules Boucoiran. " Je serai à Nîmes le 25 au soir ou le 26 au matin. Ne vous occupez pas de me faire arriver (je ne sais si je quitterai le bateau à Beaucaire ou à Avignon, cela dépendra des heures), mais occupez-vous, dès à présent, de me faire repartir. [...] Prévenez l’administration que j’ai beaucoup de bagages ; que je ne veux rien laisser en arrière ; que je ne pars pas sans mon bagage complet, composé de trois malles et cinq ou six autres paquets peu considérables. Si toutes ces conditions ne peuvent être remplies par la diligence, il faut, mon enfant, que vous me procuriez une voiture de louage. Je suis bien fâchée, cher enfant, de vous donner ces embarras, bien fâchée surtout de ne pas rester plus longtemps avec vous ; mes affaires m’ont tenue esclave du jour de départ de Paris. Ainsi, je compte sur vous pour me faire arriver à temps. [...] Adieu et à bientôt, cher ami. Nous vous embrassons tendrement. "

Et l'auteur de continuer, aussi franchement que possible ! " Je vais vous dire ce que vous êtes. D’abord, l’apathie domine chez vous. Vous êtes d’une constitution nonchalante. Vous avez des moyens, vos études ont été bonnes. Je crois que vous auriez un jour une tête " carrée ", comme disait Napoléon, un esprit positif et une instruction solide, si vous n’étiez pas paresseux. Mais vous l’êtes. En second lieu, vous n’avez pas le caractère assez bienveillant en général, et vous l’avez trop quelquefois. Vous êtes taciturne à l’excès, ou confiant avec étourderie. Il faudrait chercher un milieu. Remarquez que ces reproches ne s’adressent point à mon fils, à celui que je faisais lire et causer dans mon cabinet, et qui, avec moi, était toujours raisonnable et excellent. Je parle de Jules Boucoiran. " Reprenant la plume plus tard, elle espère. " Vous ne vous fâcherez pas de tout ce qui précède, un peu sévèrement dit. N’y cherchez qu’une nouvelle preuve de mon amitié pour vous. "

George Sand écoutant Chopin double. Un portrait d'Eugène Delacroix

À la fin du même mois et après deux lettres de Jules, voici la réponse de George Sand. " Vous connaissez tout dans ma vie, vous devez comprendre que, sans l’heureuse disposition qui me fait oublier vite le chagrin, je serais maussade et sans cesse repliée sur moi-même, inutile aux autres, insensible à leur affection. Loin de là, cette faculté d’oublier m’inspire tant de reconnaissance, m’apporte tant de consolations, que je suis fière de pouvoir dire à ceux qui m’aiment : " Vous me rendez le bonheur et la gaieté, vous me dédommagez de ce qui me manque, vous suffisez à toutes mes ambitions. " Prenez votre part de ce compliment, mon enfant ; car vous savez que je vous aime comme un fils et comme un frère. Nous différons de caractère ; mais nos cœurs sont honnêtes et aimants, ils doivent s’entendre. Il me sera doux de vous avoir pour longtemps près de moi et de vous confier mon Maurice. Il me tarde de voir arriver ce moment. Bonsoir, mon fils ; écrivez-moi. "

Autre exemple, le 19 novembre 1870, George Sand lui écrit : " Je regrette bien, pour mon compte, de n’être pas auprès de vous, dans ce Midi calme et loin des Prussiens. [...] Je voulais vous faire savoir que nous nous portons bien — c’est tout ce qu’il y a de bon à se dire quand le cœur est triste et l’esprit sombre, — et que nous vous aimons toujours. L’amitié augmente dans le malheur. "

Dans une lettre du 2 juillet 1875, Lina Sand Calamatta, épouse du fils de George, Maurice, écrit à Jules Boucoiran. " Mon pauvre cher ami, quel chagrin nous apporte la lettre de Sagnier (un ami commun, NDLR ), nous en sommes profondément bouleversés ! Votre cher Maurice et moi vous savez combien nous vous aimons vous et votre vaillante femme, croyez donc que nous partageons votre douleur, puissiez vous trouver quelque soulagement dans notre amitié et surtout dans notre affection réciproque chers et bons amis. Il me reprochais justement d’être restée si longtemps sans vous écrire, mais vous savez bien n’est-ce pas que nous sommes toujours tous de cœur avec vous quand bien même je ne vous l’écris pas. Embrassez bien votre femme pour moi. "

Gustave Flaubert et George Sand.

Un mois plus tard, c'est George Sand elle-même qui prend la plume. Vieillissante, elle s'emmêle dans son agenda mais le cœur reste lourd. " J’écris des lettres tristes. Boucoiran a perdu son fils. Flaubert est dans un spleen complet. " Faux, Boucoiran n'avait pas perdu son fils qui s'appelait aussi Jules, c'est Jules lui-même qui est décédé et Flaubert le savait car il avait envoyé un télégramme à Sand disant ʺ Jules est mort ʺ.

George Sand finit par comprendre et envoie une lettre, sa dernière, datée du 20 août 1875, à la femme de Jules. " Je n’avais pas compris le terrible télégramme. J’ai cru qu’il s’agissait du pauvre enfant, et c’est aujourd’hui, par M. Sagnier, que nous savons toute l’étendue de votre malheur et du nôtre ; car c’est pour nous une perte de famille des plus cruelles. Je suis navrée et je m’attends à voir mon fils, qui est actuellement en voyage, éprouver une douleur égale à la mienne. Combien nous vous plaignons, pauvre chère amie ! Justement nous nous flattions de faire accepter à votre mari de passer avec vous quelques années près de nous à Nohant, pour nous aider à élever mes petites filles, comme il m’a aidé à élever leur père. Nous pensions que le malheur nous rapprocherait tous, et nous voilà accablés devant cette éternelle séparation, si peu prévue ! Soyez certaine, chère Marie, que notre amitié pour vous est doublée par le chagrin que vous éprouvez et que nous partageons avec vous. Il était si bon, si juste, si grand et si vrai en toute chose ! Il vous chérissait et vous respectait. Vous avez rendu son existence heureuse : c’est la seule consolation qui vous reste, mais elle est sérieuse, et vous assure notre fidèle amitié. "

L'ensemble de la correspondance de Gorge Sand est à découvrir ici.

Anthony Maurin

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