MARDI ÉCO Christophe Hardy : les chaînes de boulangerie "nous font perdre 30 % de notre chiffre d'affaires dans le Gard"
Christophe Hardy tient une boulangerie à Junas depuis 1990 et est président de l'Union des maîtres artisans boulangers du Gard (UMAB) depuis le 19 juin 2019, qui rassemble 80 des 372 boulangers du Gard. Pour l'année 2020, il veut développer la marque label "Boulangers de France" dans le département. Une manière de différencier les produits artisanaux de ceux des chaînes.
Objectif Gard : Comment est née la charte nationale "Boulangers de France" ?
Christophe Hardy : Elle est issue d'un constat logique où les artisans perdaient beaucoup de parts de marché face aux industriels. À l'époque, c'était les Fromentiers, La Brioche dorée... Depuis une dizaine d'années, on a les chaînes Émile-Bec, Marie-Blachère qui sont nées dans le Sud de la France. La premier magasin Marie-Blachère est né dans le Gard, à Villeneuve-lez-Avignon. Ces chaînes s'installent toujours en périphérie, jamais dans le centre-ville. On favorise la boulangerie de rond-point et les centre-villes se meurent. À force, ça crée un amalgame dans la tête des consommateurs entre la vraie boulange et "le faux". Les chaînes peuvent prendre le nom boulangerie selon le décret de 1993 qui considère comme boulangerie un lieu où on pétrit, façonne et fabrique le pain sur place. Mais dans les chaînes, tous les autres produits sont industriels : tartes, chouquettes... La charte veut remettre les pendules à l'heure.
Les produits industriels se retrouvent aussi sur les étals des boulangeries classiques ?
80 % des viennoiseries sont faites industriellement en France. Et ça incite les artisans à acheter des croissants surgelés. Les croissants industriels sont moins chers que pour ceux qui les fabriquent. C'est plein de produits chimiques et les consommateurs ne sont pas au courant de ça. Mais c'est difficile de faire changer les habitudes des consommateurs. Un croissant, il faut qu'il fasse des miettes, il faut qu'il laisse une trace de gras dans son sachet. C'est pas un truc poreux.
Quels sont les principaux critères pour prétendre à cette marque-label ?
Au cœur de nos valeurs, il y a la santé publique. On préconise de baisser le taux de sel pour combattre les maladies cardiovasculaires. Il y aussi l'environnement : trier les déchets, favoriser les circuits courts... La formation est aussi un élément moteur pour la pérennité des entreprises. Et bien sûr, il faut fabriquer tout maison.
Combien de boulangers peuvent y prétendre dans le Gard ?
Une dizaine de boulangers sont inscrits dans le Gard notamment "Caractères de pain" à Bagnols, "La grange de Nathalie" et "Le Moulin de Delph" à Alès, "Ador le pain" à Calvisson... L'objectif est d'atteindre les 50 par département. C'est facilement atteignable. Mais il y a un coût d'engagement de 310 € pour deux ans et tout est contrôlé par un organisme certificateur. C'est aberrant d'être obligé de payer pour dire aux consommateurs ce qu'ils consomment. Ce serait peut-être aux industriels de dire que ce n'est pas eux qui fabriquent.
Avez-vous une idée de l'impact financier de ces chaînes sur les artisans boulangers du Gard ?
Elles nous font perdre 30 % de notre chiffre d'affaires dans le Gard. Si aujourd'hui elles marchent c'est qu'elles apportent quelque chose que nous n'apportons plus. Marie-Blachère a même été désignée la boulangerie préférée des Français, selon le magazine Capital... Le consommateur va ailleurs quand il arrive à 20 heures et que les rayons sont pleins avec des offres promotionnelles. Dans les villes, il y a aussi la problématique des parkings. C'est de plus en plus difficile d'y pénétrer. Dans le commerce, il y a l'adage : "No parking, no business" et les chaînes l'ont bien compris. Quand c'est le week-end, les vacances, les gens flânent à pied en centre-ville, mais quand c'est le rush, qu'il pleut, il y a une désertification énorme.
Est-ce que ces 30 % de pertes ont tendance à s'accroître ?
On ne va pas se mentir, ça a tendance à monter. Eux s'installent dans des espaces vacants dans les zones, là où les artisans sont plus frileux. Eux quand ils veulent obtenir un prêt, ce n'est pas difficile avec leur chiffre d'affaires. On ne joue pas dans la même cour.
Êtes-vous optimiste pour l'avenir de la boulangerie dans le Gard ?
Je veux y croire encore. On prend à bras le corps les problèmes et faut regarder ce qui marche. Pas de magasin tout vieillot, toujours le sourire : ce sont nos meilleures armes commerciales. La proximité, appeler les petites mamies par leur prénom, c'est fabuleux. En plus, on est le premier département bio de France ce qui donne de bons produits. Les blés sont totalement locaux, soit plantés dans l'Uzège ou vers Montpellier. Pour les circuits courts, on a l'embarras du choix.
Propos recueillis par Marie Meunier
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