Publié il y a 4 ans - Mise à jour le 23.03.2020 - anthony-maurin - 5 min  - vu 291 fois

GARD Jean-Paul Chabrol vous conte une histoire... 2/4

Chercheurs de trésor à Nîmes et en Cévennes !
Les Cévennes, un peu différentes (Photo PN des Cévennes).

Jean-Paul Chabrol (Photo DR)

Qui n’a jamais entendu parler de la " chèvre d’or " ? Cette légende, pourtant plus provençale que languedocienne, était autrefois bien connue en Cévennes mais aussi à Nîmes, une ville presque "provençale".

Ici, le début de l'histoire est paru le 22 mars (11h) chez Objectif Gard. Voici la suite...

Une autre confirmation de la réalité de ce fait-divers nous est fournie par une plainte déposée devant le juge seigneurial de Barre : " Entre Gaspard Chorie, Frédéric Huitelme et Christo­phe Pernère, mineurs du bourg de Sainte-Marie-aux-Mines en Alsace, province du même nom, habitants au lieu Barre, demandeurs par exploit de Gout, huissier, du 29 mars 1764 dûment contrôlé, à ce que Louis Garnier [pour Granier], négociant dudit Barre, soit condamné à leur payer la somme de 637 livres, 10 sols qu’il leur doit, à savoir audit Chorie 248 livres pour le prix de 12 semaines qu’il a travaillées à la recherche du trésor ou mine que ledit sieur Garnier faisait chercher audit Barre à raison de 4 livres par semaine, audit Huitelme 197 livres 10 sols, savoir 172 livres pour le prix de 43 semaines sur le même pied de 4 livres chacune qu’il a aussi travaillées à la dite mine ou trésor et 25 livres 10 sols pour argent verbalement prêté et audit Pernère 192 livres, savoir 144 livres pour le prix de 36 semaines au même pied de 4 livres par semaine qu’il a travaillé de même à la dite mine et 48 livres pour argent verbale­ment prêté, toutes lesquelles sommes jointes font le totale (sic) de 637 livres et 10 sols ".

Le même  jour, François Puech, maréchal, sans doute enhardi par la démarche des trois Alsaciens, réclamait à Garnier la " somme de 247 livres 7 sols " pour " fournitures et ouvrages faits de son métier de maréchal à l’occasion de la recherche du trésor ou mine ". Au total, la dette du " sieur Garnier " s’élevait à 884 livres et 17 sols.

La relation de Cestin est donc confirmée, pour la seconde fois, par ce document bien qu’elle ne coïncide pas exactement avec ce procès-verbal. Les deux blancs du texte intriguent et ne permettent malheureusement pas de dater avec exactitude la fin des travaux et la profondeur du puits. Louis Cestin parle d’" Allemands " alors qu’il s’agit d’Alsaciens. Mais on sait que l’Alsace ne fut complètement intégrée à la France qu’à la Révolution Française. Il mentionne " deux Allemands " alors que le document judiciaire fait état de " trois " mineurs. Enfin, il laisse entendre que ces " Allemands " travaillaient sous la direction non pas de Garnier mais de " la nommée Marion. "

Cet ensemble documentaire soulève un problème quant à la chronologie exacte des travaux et de leur(s) commanditaire(s). Il semble bien que les recherches se soient définitivement achevées au premier trimestre de l’année 1764, soit presque deux ans après l’accident ! Louis Ces­tin, à l’évidence, n’a pas rédigé cette histoire sous le coup de l’émotion mais bien plus tard lorsque Marion, de guerre lasse, a abandonné définitivement la recherche du trésor. Deux indices (la place - surprenante - de la relation dans le livre de comptes et la couleur de l’encre) permettent de dater cette rédaction du milieu de l’année 1764 [mai-juin ?].

La plainte des trois mineurs suggère comme date limite de la fin des travaux : le mois de mars 1764. On imagine mal les mineurs poursuivant leur tâche alors qu’ils ne sont plus payés depuis de très nombreuses semaines. L’affaire aurait pu se dérouler ainsi : dans un premier temps (de mai au début juin), seuls Figuière et son maçon catholique étaient à la recherche du trésor sur les conseils insistants de Garnier. À la suite du tragique accident, Garnier reprend les travaux avec des ouvriers barrois (d’octobre 1762 à janvier ou février 1763 ?). Après avoir abandonné le chantier, la dénommée Marion prend alors le relais en faisant venir de Sainte‑Marie-aux-Mines (une cité alsacienne et calviniste comme Barre) des professionnels, des mineurs : Chorie d’abord, puis Huitelme et enfin Pernère (de mai 1763 à février ou mars 1764 ?).

Chorie et Huitelme semblent avoir travaillé de concert (10 mois pour l’un et 9 mois pour l’autre) ; cela expliquerait la relation de Louis Cestin qui ne mentionne que deux mineurs. Pernère ne serait venu qu’à la fin (pour 3 mois). Le commanditaire de toute cette affaire semble avoir été Granier/Garnier : la plainte des mineurs est en effet dirigée contre lui et non pas contre Marion. Il est probable qu’elle a été la " femme de paille " de Granier pour des raisons que l’on ignore.

Il faut revenir sur les deux blancs qui figurent dans la relation de Louis Cestin. Ce personnage, ancien marchand de laine, seigneur de Fontanilles et propriétaire foncier, était‑il un maniaque de la précision ? Il nous donne en effet la profondeur du " creux " et la date exacte de l’accident. Ces deux précisions s’expliquent aisément : Louis Cestin habitait exactement en face de la maison Bonnet-Figuière (Là où se trouve aujourd’hui l’épicerie de Barre).

Les deux maisons sont toujours visibles au centre du village sur la place centrale de la Madeleine. Quelques belles fenêtres à meneaux soulignent le caractère bourgeois de la grande demeure Bonnet qui s’ouvre sur la rue par deux belles arcades. Louis Cestin était donc aux premières loges quand est survenue la catastrophe du 9 juin 1762. Scrupuleux, il aurait préféré laisser un blanc plutôt que d’inscrire des données inexactes ou trop approxi­matives. Il a bien écrit " abandonné le... " et non pas " en ". Il comptait donc bien indiquer le jour, le mois et, peut‑être même, l’année comme il l’avait fait pour la date de l’accident. On peut se livrer à la même réflexion pour la nouvelle profondeur atteinte par les mineurs alsaciens. Peut‑être a‑t-­il été trahi par une mémoire défaillante ? Quoi qu’il en soit, en 1762, on ne cherchait pas une " chèvre d’or » mais tout simplement un " trésor " en creusant un puits de " mine ". Quelle mouche avait donc piqué ces Barrois ?

La lecture de l’ouvrage de Nostradamus (ô combien fastidieuse n’en déplaise à ses laudateurs !) permet de vérifier que le célèbre Provençal ne mentionne ni Barre, ni le sieur Bonnet. Mais les prophéties de Nostradamus sont tel­lement vagues que n’importe quel farfelu est capable d’en tirer l’interprétation qu’il souhaite. Granier était‑il à ce point obsédé par la quête de ce trésor ? Il faut bien croire que oui pour arriver à persuader Figuière de creuser un puits dans le sous-sol de sa maison. L’infortuné Barrois était vraisemblablement tout aussi crédule. Une autre raison a pu pousser nos Barrois à entreprendre ce chantier ; un des instituteurs mentionnés plus haut le rappelle incidemment à propos des Gar­dons.

Nos Cévenols savaient depuis longtemps que leurs rivières " roulaient des paillettes d’or ". Les auteurs de l’Antiquité avaient signalé cette curiosité. D’autre part, il semble qu’il y ait eu, au XVIIIe siècle, en France, un véritable engouement pour la recherche de trésors. Nos deux Nîmois et nos malheureux Barrois ont succombé - sans jeu de mot - à cette mode qui touchait, semble-t-il, les milieux « bourgeois » capables de financer des travaux coûteux.

Anthony Maurin

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