Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 24.04.2020 - coralie-mollaret - 5 min  - vu 890 fois

FAIT DU JOUR Gestion de crise : l'interview croisée de deux parlementaires gardois

Le député MoDem Philippe Berta face à Pascale Bories, sénatrice Les Républicains du Gard. L’union nationale n’empêchant pas, bien sûr, la critique constructive... (Photo : droits réservés)

La première, Pascale Bories, est sénatrice Les Républicains et élue de Villeneuve-lès-Avignon. Le second, Philippe Berta, est député MoDem de la 6e circonscription du Gard. Tous deux se sont prêtés au jeu de l’interview croisée sur la gestion de la crise sanitaire par le Gouvernement. 

Objectif Gard : Entrons dans le vif du sujet, quel regard portez-vous sur la gestion de l'épidémie par le Gouvernement ?

Pascale Bories : La prise de décision manque un peu de poigne et de coordination. Tenez, l’exemple des marchés. D’un côté, on entend qu’il faut les fermer et de l’autre, le ministre de l’Agriculture souhaite les rouvrir. Du coup, chaque préfet décide d’accorder ou non des dérogations sur son territoire. Ça créé parfois un sentiment d’inégalité.

Philippe Berta : Les « y a qu'à, faut qu’on », c’est un peu facile ! Personne ne pouvait imaginer la violence de ce virus. Au départ, les plus grands spécialistes parlaient d’une « gripette. » La France n’a pas connu pareille pandémie depuis 1918 avec la grippe espagnole, et à l’époque, on laissait les gens mourir. Aujourd’hui, il y a tout à inventer et très franchement, je pense que nous sommes dans la moyenne des gouvernements européens.

Philippe Berta : « Le système de santé

le plus merveilleux du monde » 

Manque de masques et de tests, faiblesse de nos hôpitaux… Cette crise sanitaire ne reflète-t-elle pas une impréparation de l’État ? 

Philippe Berta : Quand vous parlez de la « faiblesse » des hôpitaux, je ne suis pas d’accord. J’ai vécu en Angleterre et je peux vous dire, qu'en France, nous avons le système de santé le plus merveilleux du monde. D'ailleurs, l’hôpital de Nîmes est un établissement d’exception. Effectivement, il y a des difficultés organisationnelles mais elles sont plutôt dues à l’instauration des 35 heures. On peut aussi parler des Agences régionales de santé qui, peut-être, ne répondent plus aux besoins d’aujourd’hui. 

Pascale Bories : Non, je ne suis pas d'accord. Pour moi, il y a une forme d’impréparation et parfois même d'incohérence du Gouvernement. Comment expliquer à la population que certains pays européens comme l'Allemagne ou la Belgique s'en sortent mieux ?

Philippe Berta : Sur le manque de masques et des tests, c’est vrai : l’on a cumulé les erreurs du passé(*), pensant que ce n’était pas stratégique d’en produire. Mais le Gouvernement a fait le choix d’une franchise absolue, en faisant passer la santé avant l’économie. Et ce n’est pas le cas de tous les pays.

Pascale Bories : « Évitons de faire des annonces

sans expliquer leur mise en œuvre »

Mme Bories, peut-on admettre qu’aucun Gouvernement n’a été vraiment préparé à cette crise sanitaire ? 

Pascale Bories :  Je comprends les incertitudes du Gouvernement face à un virus nouveau sur lequel les professionnels de santé ne sont pas tous d’accord. Je comprends aussi la difficulté de concilier ceux qui se préoccupent d'avantage de l’économie que de la sécurité sanitaire. Mais évitons de faire des annonces sans expliquer leur mise en œuvre. J’ai entendu le discours d’Emmanuel Macron, le lundi de Pâques, et j’ai été étonnée, le lendemain, de l’imprécision du Gouvernement.

M.Berta qu’en pensez-vous ? Le Gouvernement n’a-t-il pas annoncé un peu vite la date du 11 mai pour sortir du confinement ? 

Philippe Berta : Cette date est un objectif mental important. Si vous ne donnez pas une perspective aux gens, rien ne vous garantit qu'ils poursuivront le confinement. J’ai récemment auditionné le ministre de l’Éducation nationale qui nous explique que 4% des enfants scolarisés ont disparu des radars… Des gamins, souvent en situation de détresse, confinés dans un 30 m2, sans environnement numérique. À un moment donné, il faut faire des choix.

Philippe Berta : « Nous allons vivre encore

12 à  24 mois avec ce virus » 

La réouverture des écoles inquiète quand même les parents sur les conditions de reprise… 

Philippe Berta : Le déconfinement est en préparation, il se fera en douceur et évoluera selon l'avancée de la recherche. Si le nouveau ministre, Jean Castex, m'avait assené pléthore de mesures immédiatement, j’aurai été très inquiet. Sur l’éducation, le ministre pense réintégrer les élèves en groupes. Mais soyons clairs, nous allons vivre encore 12 à 24 mois avec ce virus. Pour l’instant, nous n’avons pas de vaccin. Les premiers essaies de molécules envoyés à l’OMS (Organisation mondiale de la santé) portent sur 10 patients traités et 10 patients contrôle. C’est insuffisant. 

Pascale Bories : J’attends avec impatience le conseil des ministres du 29 avril. Il devra livrer des solutions précises. Sur le terrain, nos administrés nous questionnent sur la réouverture des écoles, des commerces et l’autorisation des mariages. Il faut être pragmatique... D'ailleurs, saviez-vous que le cordonnier a aujourd'hui plus de possibilités que le fleuriste de travailler ? Lui peut livrer à domicile et organiser du drive. C'est incohérent et ça concerne notre vie quotidienne.

Pascale Bories : « le Gouvernement pourrait plus faire confiance

aux maires » 

Cette crise a également mis en lumière le rôle des collectivités, particulièrement réactives. La France est-elle encore trop centralisée selon vous ? 

Pascale Bories : Pour certaines choses oui et, en même temps, les moyens des communes sont différents. Les plus petites par exemple n’ont parfois pas l'argent d’acquérir des masques. La santé publique relève de la responsabilité de l’État. Après, le Gouvernement pourrait plus faire confiance aux maires dans l’autorisation d’événements, comme les mariages, si les conditions sanitaires sont respectées. 

Philippe Berta : Les mariages ? Très honnêtement, je préfère penser aux problèmes de l'organisation des obsèques… Je pense qu’il y a un équilibre à avoir entre la décision centrale de l’État et celle de proximité des collectivités. On voit très bien que, selon les territoires, les situations sont différentes. L’ouest de la France ne compte même pas 1% de la population ayant croisé le virus. Cette région n’aura pas les mêmes mesures de déconfinement que l’est de notre pays, très touché par l'épidémie. J’espère voir les élus locaux s’emparer des décisions nationales pour mieux les adapter à leur territoire. 

Philippe Berta : « Nous sommes des humains interdépendants »

Enfin, si vous deviez retenir une chose de cette crise, aujourd’hui. Quelle serait-elle ? 

Pascale Bories : Des choses positives, comme la solidarité envers les soignants et la mise en place, entre ces derniers, d’une cohésion dans la lutte contre le virus. Il y a eu aussi de nouvelles formes de télétravail qui engendreront de nouveaux fonctionnements à l’avenir. Toutefois, j’ai un regret pour le climat. J’ai demandé à la ministre Élisabeth Borne si elle comptait axer davantage ses aides aux entreprises œuvrant dans la transition énergétique… Je n’ai pas eu de réponse. 

Philippe Berta : Il y en aurait beaucoup à retenir ! Je dirai que l’on avait peut-être oublié que l’on vivait sur une même planète avec une richesse limitée. La santé est notre bien le plus précieux. Je retiens aussi que nous sommes des humains interdépendants. Penser que ce qu’il se passe sur le continent africain ne nous concerne pas est une erreur. 

Propos recueillis par Coralie Mollaret 

coralie.mollaret@objctifgard.com

(*) En 2011 sous le ministre alors Les Républicains de la Santé, Xavier Bertrand, l’État a choisi de ne plus reconstituer le stock de masques, considérant qu’il était plus facile et moins coûteux de les importer de Chine. 

Et aussi : 

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Coralie Mollaret

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