Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 23.05.2020 - anthony-maurin - 7 min  - vu 3417 fois

TOROS Depuis 100 ans, la cavalerie Heyral pique les toros et la curiosité

Excellent cheval de la cuadra de Philippe Heyral, avec la chemise rouge à la barrière à gauche de l'image, Philippe Heyral Archives (Photo Anthony Maurin).

Il est 15h et nous sommes le 23 mai 2020. Dans quinze petites minutes il y aura tout juste 100 ans que la cavalerie Heyral naissait dans les arènes de Nîmes pour sa première corrida. Après Jacques puis Louis, c'est au tour du dernier de la lignée, Philippe, de faire vivre l'histoire. Mais pour combien de temps encore ?

On ne saurait en douter à la vue du bonhomme mais Philippe, en grec, signifie celui qui aime les chevaux. Logique quand on connaît le parcours de l'actuel propriétaire de la cavalerie qui porte son nom, Heyral. 100 ans ! Cette  cavalerie nîmoise fête son siècle de bons et loyaux services le 23 mai.

" Mon grand-père était un marchand de chevaux de trait. Il les louait, par exemple, au boulanger pour aller chercher sa farine. La route qui existe entre Nîmes et Lunel a été empierré avec les chevaux de mon grand-père. À l'époque, il avait son écurie rue de l'Aqueduc à Nîmes et possédait une cinquantaine de chevaux. Ma grand-mère était quant à elle issue d'une famille de Saint-Gilles qui faisait du vin. Comme mon grand-père avait deux magnifiques percherons, sur la charrette qu'il tirait elle avait mis sa pub. "

Les chevaux prenaient le train

Jacques, le grand-père, avait fait la Première Guerre mondiale à Verdun. Il avait pris un éclat de balle et, alors qu'il était hospitalisé, il a discuté avec des officiers qui ont vu qu'il s'y connaissait dans les chevaux. Il n'est pas retourné au front et a été basculé au dressage. " À son retour il y avait quelques spectacles mineurs à Nîmes et quand le directeur des arènes a vu ses chevaux, il s'est mis à faire l'arrastre puis les chevaux de picadors. Nîmes, Béziers, Beaucaire, Carcassonne... Les chevaux prenaient le train, j'ai encore des bons de transport. C'est fou ! "

Philippe Heyral, les cheveux courts, confinement oblige ! (Photo Anthony Maurin).

Jacques a participé à sa première corrida le 23 mai 1920 à 15h15. Neuf de ses chevaux ont été tués... Il avait l'impression de les envoyer à l'abattoir et n'a pas trop aimé la corrida. Du coup et pour protéger ses bêtes, il a inventé le caparaçon en l'ajustant petit à petit, au fil des courses en 1927. Il l'a corrigé jusqu'en 1950. Il n'a jamais déposé le brevet car il fallait monter à Paris !

Un accessoire devenu primordial

" Les picadors ont mieux piqué. Ils tombaient moins à terre. Les chevaux, protégés, ne mourraient pas et revenait au combat. Ils apprenait à bouger. Ils retenaient les mouvement à accomplir. Les chevaux devenaient bons et les Espagnols étaient contents de tout cela. Le duc de Veragua a écrit à mon grand-père qu'il ne connaissait pas. Il a écrit à (NDLR : à prononcer avec l'accent espagnol : à monsieur Jacques café de la gran bourouse !) mon grand-père et la lettre est quand même arrivée jusqu'à lui. Le duc voulait un caparaçon et comme tous les notables venaient chez lui, voir les tientas par exemple, le caparaçon s'est vite imposé puis est devenu obligatoire grâce à Primo de Rivera. "

Un siècle offert de bonne grâce à la tauromachie et à la passion taurine. Philippe est la troisième génération à faire combattre ses canassons. Le combat est le même dans un monde qui évolue sans cesse. Pour rester à la page, la cavalerie Heyral a dû anticiper constamment.

Corrida à Nîmes dans les années 1920. Derrière la barrière avec le chapeau, le grand-père. Au premier rang, au-dessus de lui, le pitchounet n'est autre que le père de Philippe (Photo Anthony Maurin).

" Mon père était un aficionado de fou ! Il aimait toute cette culture et parlait espagnol mieux qu'un Espagnol. C'est lui qui a développé la cavalerie comme " métier ". En 1964, tout a pris de l'ampleur. Avant tout cela, dans les années 1950, il avait créé le premier club hippique de Nîmes. Ses chevaux de selle servaient aussi comme chevaux de piques. Il en a fait un vraie entreprise, basée sur la tauromachie. Il y croyait vraiment. Par jour, il a eu fait jusqu'à six corridas ! "

1 400 corridas depuis 1991

Jacques, d'abord, puis Louis, hier, et aujourd'hui Philippe n'ont jamais baissé les bras. Dans la famille on lutte. Toujours en brave. " J'ai passé un bac L puis je n'ai pas voulu aller à la fac. Je suis un peu allé aux Beaux-Arts mais je me suis mis à travailler avec mon père et j'ai adoré ça.On était vraiment au top tous les deux ! On avait le sud-est de la France mais je voulais prendre le sud-ouest et faire grossir l'affaire pour qu'on puisse manger tous les deux. On avait des objectifs costauds puis, il est décédé en 1991, trois ans après mes débuts avec lui. "

Depuis,Philippe a lidié plus de 1 400 corridas et a fait d'énormes efforts pour le matériel et la mobilité des chevaux. Sans que personne ne le lui ait demandé, il a su évoluer. Exemple ? Un caparaçon en 1990 pesait 60 kg, aujourd'hui il n'en pèse plus que 22. " Un temps, le toro a grossi. Il avait plus de force. Puis, il a eu moins de force, chose qui a encore changé. Les chevaux des picadors sont le premier contact violent et collé avec un toro de corrida. On voit tout et nous avons maintenant des toros sportifs, avec de belles cornes grâce aux protections qu'on leur met au camp. "

Aujourd'hui, un membre au calme de la cavalerie... qui attend la reprise de la saison (Photo Anthony Maurin).

On lutte mais on danse en même temps. Car oui, le cheval du picador, hué par le public lors d'un tercio des plus important dans la mise en scène du spectacle tauromachique, danse avec le toro. Si l'Homme le guide, c'est lui qui affronte l'impact, la charge du noir cornu. Pour arriver à un niveau de danse digne d'une arène de première catégorie, il faut du travail, beaucoup de travail.

Marque de reconnaissance

" Les Espagnols, par devant, sont toujours contents mais par derrière je n'en sais rien ! Non, bien sûr qu'ils sont heureux de monter nos chevaux... Certains me font même des cadeaux. J'ai pris des vestes, pire qu'un politique ! Certains picadors m'ont offert leur costume de scène, de travail, leur chaquetilla. "

Au rang des meilleurs, Alfonso Barroso. Il était toujours avec le figuras. Lui, il montait à cheval... " Parfois, il m'expliquait des choses. Il n'usait pas de la violence, juste de la technique. Un jour il m'a donné son castoreño. Il m'a dit qu'il avait commencé sa carrière avec mon grand-père, suivi avec mon père et terminé avec moi et que j'étais celui qui était le plus consciencieux dans la recherche du cheval parfait. Ce fut le plus beau compliment.  "

Après une corrida au Puy... Une autre à Nîmes (Photo Anthony Maurin).

Le plus fidèle destrier ne se fait pas seul. Il a besoin de temps et d'amour. Chez les Heyral et derrière leur caractère (revendiqué) de " bourrus ", il y a un grand cœur. Pour faire ce métier de cinglé il en faut forcément beaucoup. L'amour des bêtes, le rapport à l'autre, l'écoute des piqueros, le dressage, le travail ingrat... Tout ça pour cinq minutes et deux charges. Tout ce temps investi pour deux charges et un instant prolongé d'éternité.

Manque de reconnaissance

" Les chevaux des picadors sont hélas la dernière roue du char... Ça devrait être à nous de choisir les picadors. Ils pourraient connaître leur monture, s'entraîner, tisser des liens avec elle. Ça, ça serait une vraie évolution vers une corrida moderne ! "

C'est une longue histoire... (Photo Anthony Maurin).

Ce savoir-faire, si rare et méconnu, est un savoir-faire à la nîmoise depuis un siècle. La " scuderia " rougeoyante avec son cheval fièrement cabré en signe d'énième défi n'a pas fini de vous étonner. Certains la sentent moribonde, d'autres savent pertinemment qu'elle peut surmonter tous les problèmes.

" Je vois 2020 comme tout le monde. Je vis au jour le jour. J'essaie de sauver les meubles, de réduire les frais d'exploitation. Je mets mes chevaux à l'herbe... Je réfléchis beaucoup et le confinement m'a servi à cela. J'avais la tête constamment dans le guidon. Je cherche des solutions pour m'en sortir sans y laisser des plumes et sans faire souffrir ma famille. La covid-19 m'a déstabilisé. Sur le plan personnel, tout va pour le mieux. Je vis dans une propriété que j'adore, avec une famille que j'aime et quelques voitures de collection, le rêve. Sur le plan professionnel, ça se complique ! J'ai beaucoup de frais pour finalement les couvrir tout juste. Je résiste pour continuer... Ou je vais changer d'activité mais si je m'arrête, je ne pense qu'à une seule chose, où vont aller mes bons chevaux ? Je ne vends rien ! Je les ai fabriqué de mes mains. Je leur ai fait piquer des gros toros tout en se déplaçant avec élégance. J'en suis amoureux, c'est mon sang. "

Un espoir et des souvenirs

Vous l'avez compris, tout ne s'arrête pas mais tout devient plus difficile que jamais. La corrida n'est pas au top de sa forme et par effet domino, ses acteurs non plus. " Si je résiste à ces mois difficiles, en 2021, j'aimerais que les empresas, les professionnels et l'aficion aient un peu plus de reconnaissance envers nous, la cavalerie et le tercio de piques. Il faut vraiment revaloriser tout cela, y compris les tarifs car il y a des choses incroyables... Pour une journée de feria à Nîmes avec deux corridas, j'ai deux chevaux d'alguazil, neuf de picador, tout le matériel en double au cas ou et une vingtaine de personnes, qui viennent m'aider. Ces monosabios sont des élèves de l'école que j'ai créée. Je fais partie du spectacle mais j'ai l'impression d'être le balayeur de service bien que je n'ai rien contre les balayeurs ! C'est usant de s'investir autant et de n'avoir aucun retour... Je ne demande pas à être à l'affiche, juste à être respecté. Certaines choses sont très désagréables. "

À cheval, Philippe en alguazil (Photo Anthony Maurin).

Pour finir sur un note bien plus joyeuse, voici les deux meilleurs souvenirs de Philippe Heyral. Le premier est un clin d’œil familial, le second est le signe de la grandeur de la cavalerie. Deux souvenirs parmi des dizaines d'autres, mais deux souvenirs plus marquants que les autres. " Mon plus beau souvenir est sans nul doute partagé avec mon père. Pour mes 20 ans, à Nîmes, nous avons fait les alguaciles  tous les deux. Il n'avait pas monté depuis des lustres et m'avait dit d'aller doucement. Au retour, il a brusquement accéléré et m'a coiffé au poteau... C'était drôle !  Ensuite, en 2006, alors que je n'étais plus aux arènes de Nîmes, ma cavalerie avait été appelé pour aller à la monumental de Barcelone. Nous étions la première cavalerie française à traverser les Pyrénées. Tout s'est bien passé. Si bien qu'on m'a même proposé de faire la saison complète là-bas mais je ne me sentais pas prêt. "

Anthony Maurin

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