Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 27.11.2020 - thierry-allard - 3 min  - vu 346 fois

ÉDITORIAL « Sans préjudice du droit d’informer »

Lors d'une manifestation contre la loi "sécurité globale", à Montpellier, le 21 novembre dernier (IP3 PRESS/MAXPPP) - IP3 PRESS/MAXPPP

« Sans préjudice du droit d’informer » : voici la première phrase du fameux article 24 de la loi dite « sécurité globale », adoptée mardi par l’Assemblée nationale en première lecture. Un article qui s’attire les foudres de la presse locale, régionale et nationale. Et pour cause...

D’abord, les faits : cet article 24 vise à ''compléter'' la loi du 29 juillet 1881, le texte qui régit la liberté de la presse dans notre pays. Un véritable totem de la liberté d’informer, et donc de la liberté d’expression. Le compléter, mais pourquoi faire ? Pour « sans préjudice du droit d’informer », rappelons-le, punir d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale, lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police. »

Voilà pour le texte, qualifié par le syndicat Alliance police nationale de « victoire importante pour les policiers. » Un texte qui pose question cependant, notamment sur le caractère « manifeste » évoqué dans l’article. Qui décide de ce caractère manifeste, qui par définition est subjectif ? Un magistrat ? La police ? Dans tous les cas, la marge d’appréciation est grande et ouvre la porte à l’arbitraire. L’affaire Benalla, révélée car le collaborateur du président de la République, grimé en policier, a été filmé et reconnu, aurait-elle pu sortir avec cet article 24 ? Si le Gouvernement et plusieurs députés (*), faisant le SAV du texte, assurent que oui, rien dans l’article tel qu’il est présenté ne permet de le certifier. Ah si : « sans préjudice du droit d’informer. » La belle affaire !

Le texte a beau être dénoncé par la presse, qui dans un communiqué co-signé entre autres par les Clubs de la presse de France et les syndicats représentatifs de la profession dénonce « une nouvelle attaque contre la liberté d’informer », mais aussi par la Défenseure des droits, Claire Hédon, le Gouvernement ne compte manifestement pas retirer l’article polémique. Il est désormais question de le réécrire, et c'est une commission présentée comme indépendante par le Premier ministre Jean Castex hier soir qui sera chargée de la tâche. Il faut dire qu'en l'état on imaginait mal l'article, qui ressemble fort à un coup de communication politique sur le dos de la presse, passer l’étape du Conseil constitutionnel.

Un article qui, qu’on le veuille ou non, enfonce un coin dans la liberté de la presse et dans celle des citoyens de se muer en lanceurs d’alerte sur la question éminemment sensible des violences policières. Violences dont chaque semaine ou presque offre un nouvel exemple dans notre pays. Dans ce contexte, il y a quelque chose de pour le moins surprenant dans le fait que la réponse législative soit de renforcer encore la protection des forces de l’ordre et de restreindre du même coup la liberté de ceux qui mettent sur la place publique leurs turpitudes.

Quitte à prendre le risque de renforcer le sentiment d’impunité chez certains représentants des forces de l’ordre tentés de s’abandonner à la violence non proportionnée et à favoriser l’autocensure de la presse et des citoyens vis-à-vis de ces agissements. Quitte aussi, sur cette question sensible, à choisir de glisser la poussière sous le tapis au prix d’un nouveau recul des libertés publiques.

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectigard.com

Un rassemblement des journalistes se tiendra ce vendredi à 12h15 devant la préfecture du Gard à l'appel du Club de la presse et de la communication du Gard et du Collectif Presse 30. 

* Les députés gardois Anthony Cellier, Françoise Dumas (LREM), Annie Chapelier (ex-LREM), et Nicolas Meizonnet (RN) ont voté pour le texte en première lecture mardi. Philippe Berta (MoDem) s’est abstenu. Quant à Olivier Gaillard (LREM), il était absent.

Thierry Allard

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