Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 11.01.2021 - corentin-migoule - 6 min  - vu 1444 fois

LE 7H50 d'Éric Schwartzentruber : « La balance bénéfices-risques des vaccins est largement en faveur des bénéfices »

Médecin généraliste, spécialiste en prévention et détaché de l’ARS Occitanie, Éric Schwartzentruber a rejoint le groupe de santé Filieris d'Alès en octobre dernier. (Photo Corentin Migoule)

Alors que la Haute autorité de santé vient de donner son feu vert pour l’utilisation du vaccin Moderna, celui de Pfizer-BioNTech continue d'arriver à petites doses dans le département. Lancée depuis quelques jours dans les EHPAD et auprès des professionnels de santé, la vaccination ne tardera pas à s'élargir au reste de la population. Arrivé à Alès le 1er octobre dernier, Éric Schwartzentruber jouera à coup sûr un rôle majeur au cours de cette période déterminante. Médecin généraliste pendant plus de quinze ans, détaché de l’Agence régionale de santé où il était responsable du pôle des soins primaires, désormais membre du groupe Filieris, il est le symbole d'un salariat qui a le vent en poupe. Entretien passionnant avec le nouveau coordinateur du centre de vaccination départemental qui ne l'est pas moins. 

Objectif Gard : Qu’est-ce qui rend la vaccination contre le coronavirus différente des autres, de celles que vous avez connues dans le passé lorsque vous étiez en charge de la vaccination à Montpellier, à la fin des années 2000, marquée par la grippe H1N1 ?

Éric Schwartzentruber : Bien sûr, ce sont de nouveaux vaccins. Les premiers qui arrivent sont vraiment nouveaux puisque nous n’en n’avions pas vraiment fabriqué sur ce modèle-là, avec cet ARN messager. Mais malgré tout, cette technique, nous la connaissons depuis un moment et elle a déjà été expérimentée pour certains vaccins, donc elle n’est pas aussi nouvelle qu’on peut le dire. Pour l’instant, nous sommes limités en nombre de doses. C’est la raison pour laquelle la stratégie vaccinale française, qui a été élaborée par la Haute autorité de santé (HAS), est de vacciner prioritairement les résidents d’EHPAD, ceux qui les soignent, et depuis quelques jours, les professionnels de santé de plus de 50 ans.

À quel moment le centre de vaccination du Gard, que vous coordonnez, entrera-t-il en action dans cette campagne ?

Justement, ce matin (vendredi, NDLR), nous avons eu le feu vert pour participer à cette vaccination. Je m’évertue à expliquer depuis des années que les centres de vaccination publics sont totalement équipés pour sécuriser les vaccins. On a des frigos spécifiques, on assure la traçabilité des températures. On est en capacité de stocker les vaccins. Les centres de vaccination ont une forte légitimité à participer à cette campagne, d’autant qu’ils sont financés par l’ARS. On peut tout à fait décharger la moitié de notre activité habituelle pour participer à la vaccination covid. On devrait pouvoir commencer en fin de semaine prochaine, pour pouvoir soulager le centre hospitalier d’Alès et celui de Nîmes aussi. J’aimerais bien qu’on élargisse rapidement le vaccin aux auxiliaires de vie car ils sont très proches des personnes vulnérables.

Que pensez-vous de ces récentes mises en scène consistant pour de nombreux médecins à diffuser les images de leur vaccination dans l’optique de montrer la voie aux Français ?

Ça m’a toujours inquiété de voir des professionnels de santé qui ne veulent pas se vacciner. Je trouve que c’est éthique de le faire. Ce genre de mise en scène est assez courant. On avait déjà fait ça pour la grippe H1N1. À l’époque, c’est Jacques Reynes, infectiologue au CHU de Montpellier, qui avait été le premier à se faire vacciner dans l’ancienne région Languedoc-Roussillon. Il y a différents sons de cloche à ce sujet. Notre ministre de la Santé a dit qu’il passerait quand ça serait son tour. Personnellement, je trouve que c’est bien aussi puisque la stratégie vaccinale n’a pas été élaborée par le Gouvernement mais par un organisme indépendant, la Haute autorité de santé, que le ministère n’est par ailleurs pas obligé de suivre. En faisant cela, le ministre n’a fait que suivre les recommandations de la HAS. Mais je crois que ça peut être pas mal de montrer l’exemple. Certains médecins, qui ont une sacrée popularité, tels que Michel Cymes ou Marina Carrère d’Encausse l’ont fait. Quand j’ai vu ça, je me suis dit que beaucoup de gens allaient les écouter.

Plus de 200 artistes, François Berléand, Richard Berry, ou Gérard Jugnot pour ne citer qu’eux, leur ont emboîté le pas en s'engageant en faveur du vaccin pour encourager les Français. N’est-ce pas révélateur d’un pays qui a perdu confiance en ses élites, domaine de la santé compris ?

On est le pays dans le monde où il y a le plus d’hésitation vaccinale. Il y a plusieurs catégories de personnes. Les vrais anti-vaccins, il n’y en a pas tant que ça. Il y a une bonne partie de la population qui se pose des questions, légitimes à mon sens. Si on y répond correctement, ils iront se faire vacciner.

Si certains ont fait l’éloge de la lenteur, comprenez-vous a contrario les reproches d’une partie des Français qui estiment qu’on ne vaccine pas assez vite ?

C’est une bonne stratégie de vouloir prendre son temps. Je le fais pour la grippe, mais c’est encore plus important avec le coronavirus. Il faut expliquer aux gens ce qu’on va leur faire et quels sont les effets secondaires. Parfois on me dit « non tu ne peux pas dire tout ça aux gens », moi je leur dis que si. Pour le covid, c’est simple. Il suffit de leur dire « voilà quels sont les bénéfices du vaccin, voilà quels sont les potentiels effets secondaires et voilà ce qu’on ne sait pas. »

À ce jour, quels sont justement les effets secondaires du vaccin ?

Les effets habituels, avec un pourcentage un peu plus élevé que d’habitude. L’asthénie, la fatigue, maux de tête, fièvre. Ce sont des symptômes bénins.

"Ça les rassure qu'on leur explique..."

Cette transparence est primordiale pour renouer la confiance avec les plus sceptiques ?

Oui, évidemment ! Après je ne sais pas jusqu’où il faut aller. Je me posais justement la question pour le vaccin de Pfizer-BioNTech, on voit qu’on peut parfois aussi avoir, dans très peu de cas, des ganglions. Quand je fais le vaccin pour la fièvre jaune, je préviens toujours le patient en lui disant qu’il aura peut-être un ganglion du côté où on lui a administré le vaccin mais qu’il disparaîtra comme il est venu. Ça les rassure qu’on leur explique. Je m’adapte à mes patients, en fonction du niveau d’anxiété que je décèle chez eux, d'où la nécessité de prendre le temps, c'est aussi ça que j'aime chez Filieris. Mais dans tous les cas, même si un vaccin donne une forme grave à une personne sur un million, ça ne me gêne pas car c’est ce même vaccin qui va sauver la planète, alors ne peut-on pas l’accepter collectivement ? Pour l’instant, il n’y a pas d’effets secondaires graves, et même s’il y en avait, la balance bénéfices-risques du vaccin est largement en faveur des bénéfices. Les premières données sont extrêmement rassurantes, alors il faut y aller là, il faut vacciner !

La vaccination à destination des enfants sera-t-elle envisagée ?

Pour l’instant pas du tout ! Dans les études qui ont été menées sur la fiabilité du vaccin, nous n’avons que des gens de plus de 16 ans, donc ce n’est pas prévu pour l’instant. En revanche, nous commençons à faire des études qui incluent les enfants dans l’optique de les vacciner aussi. Jusqu’à maintenant, les enfants font peu de formes de la maladie, très peu de formes graves. C’est un peu comme la stratégie vaccinale de la grippe. Ce sont les enfants qui ont la charge virale la plus élevée, ce sont donc eux qui transmettent le plus le virus, mais en France, on privilégie la vaccination des personnes âgées vulnérables. Au Japon ils font l’inverse. Ils prennent le problème à la racine et vaccinent les enfants. On peut se poser un jour la question de changer notre stratégie vaccinale. Pour le covid, le principal facteur de mortalité, c’est l’âge. Je trouve donc ça plutôt logique que nous ayons commencé par protéger les personnes les plus exposées.

Même si le pronostic est difficile à établir, quand pourra-t-on, dans le meilleur des cas, espérer atteindre une immunité collective synonyme de retour à la vie normale ?

Si on part sur du R0 (*), il faut au moins 50 ou 60% de la population immunisée pour que ça s'arrête. Soit par la vaccination, soit par des personnes qui ont déjà été infectées, de sorte que le virus ne pourra pas s'exprimer. Cela va dépendre de ces formes émergentes qui se transmettent plus. Pour l'instant ça ne remet pas en question la validité du vaccin. Mais si les mutations deviennent plus importantes, ça pourrait perturber la vaccination, mais on ne va pas l'envisager (rires). Si on garde le cap de la programmation de la vaccination, et je ne vois pas pourquoi on n'y arriverait pas, on devrait avoir un bon taux d'immunité à l'automne.

Corentin Migoule

* Désigne le taux de reproduction d'un virus. Il s'agit du nombre moyen de nouveaux malades causés par une personne infectée.

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