Publié il y a 1 an - Mise à jour le 16.05.2022 - corentin-migoule - 5 min  - vu 517 fois

LE 7H50 Gilles Roumieux, professeur : "Des projets engagés sur l'humanité et le rapport à l'autre, ça c'est du travail intelligent !"

Après "Touche pas à mon professeur", Gilles Roumieux a invité ses élèves de 3e à œuvrer au projet "Touche pas à ma démocratie". (Photo Corentin Migoule)

Professeur d'histoire-géographie au collège Jean-Racine d'Alès, Gilles Roumieux s'est distingué l'an dernier en invitant ses élèves à brandir la plume pour réagir à l'assassinat de Samuel Paty et livrer le projet "Touche pas à mon professeur", lequel a obtenu le prix de l'initiative laïque. En début d'année, alors que le député Patrice Anato, d'origine togolaise, recevait une lettre anonyme remplie d'insanités à caractère raciste, le quinquagénaire a récidivé en soumettant plusieurs questions (∗) à ses élèves de 3e. Leurs écrits, profonds et spontanés, ont été compilés pour former une brochure d'une cinquantaine de pages, baptisée "Touche pas à ma démocratie". Plus qu'un enseignant, Gilles Roumieux se révèle en éveilleur de conscience, qui combat "la verticalité" des programmes scolaires au profit de projets pédagogiques qui donnent à réfléchir. Et laissent des traces. Interview.

Objectif Gard : Votre initiative précédente vous a conduit avec vos élèves jusqu'à l'Assemblée nationale (relire ici). Quelques mois plus tard, quel est le lien qui vous unit à eux ?

Gilles Roumieux : On est parti d'un point de départ et on est allé tous ensemble jusqu'à l'arrivée. Maintenant ils sont au lycée, mais je suis en contact de manière régulière avec certains d'entre eux. On a tous été des élèves un jour. On a aimé des professeurs, d'autres pas. Mais quand on mène des projets ensemble, on s'en souvient. C'est un marqueur, qui parfois s'efface avec le temps, mais on apporte quelque chose de durable.

En début d'année, alors que le député Patrice Anato venait de recevoir une lettre anonyme à caractère raciste, vous avez récidivé en lançant ce qui allait devenir "Touche pas à ma démocratie". Pourquoi avoir fait le choix de vous emparer de cette lettre ?

Quand j'ai lu cette lettre, ça m'a tellement révolté ! Avant de faire réagir mes élèves, j'ai demandé à des amis ce qu'ils en pensaient. On m'a demandé de ne pas me préoccuper de cette lettre en la laissant où elle était pour ne pas lui donner d'écho. Mais si on fait ça, on banalise ce qui est écrit. C'est ça le danger ! "Liberté, égalité, fraternité", ce ne sont que trois mots, mais c'est un creuset. On a tous pris le même train, on prend la même voie, et on est réuni par cette devise. Si ça s'effrite, tout le château de cartes tombe. Quand il faut le rebâtir, c'est très compliqué. C'est pour ça qu'il ne fallait pas laisser passer cette lettre. Comme j'ai la chance d'avoir de bons élèves, j'ai décidé de les faire réagir. Après il faut savoir les stimuler. Il faut qu'ils sentent que c'est profond, que ce n'est pas un jeu. La difficulté, c'était de trouver les bonnes questions de départ. C'est fondamental.

Votre manière d'enseigner a-t-elle connu des mutations en 33 ans d'activité ?

En début de carrière, pendant une dizaine d'années, j'ai appris à donner un cours. C'est un vrai métier, ça s'apprend. Le cadre et les fondations sont très importants. Après, il faut pousser les murs de l'école. Quand j'ai été davantage à l'aise, c'est ce que j'ai fait en m'inscrivant par exemple dans le concours de la résistance et de la déportation. J'ai rencontré des gens exceptionnels qui m'ont fait évoluer. J'ai organisé des voyages scolaires sur des lieux de mémoire. Quand j'ai bien maîtrisé ça, j'ai organisé des ateliers "mémoire". Maintenant, je me consacre à des réactions à l'actualité en essayant toujours d'envoyer des messages d'humanité et de tolérance à mes élèves, débarrassés de tout sectarisme. Les enfants sont réceptifs à ça. Ils ont envie qu'on les écoute. Je pars du principe qu'il faut qu'ils en gardent une trace.

C'est la raison pour laquelle vous abordez chacun de vos projets par la voie de l'écrit ?

Oui parce que les paroles s'envolent, mais les écrits restent. Écrire, c'est toujours le produit d'une réflexion. Les mots qu'on couche sur le papier traduisent fondamentalement ce que l'on pense et ce que l'on est. Souvent, il y a de la spontanéité. Car on ne ment pas, on ne peut pas tricher. Là on tire la quintessence de l'élève.

Ces initiatives sont aussi le moyen de vous affranchir d'une forme de "verticalité" de l'Éducation nationale que vous avez déjà eu l'occasion de dénoncer...

L'enseignement tel qu'il est, si on suit aveuglément ce qu'on nous demande, c'est du formatage. On bride la pensée de nos élèves. Je pense qu'il ne faut jamais sous-estimer le degré de réflexion des élèves. Mon combat, c'est de proposer un enseignement qui soit plus horizontal. On est trop souvent pris dans un carcan contre-productif où le professeur se positionne comme un sachant qui transmet un savoir. Quand tu te contentes de répondre aux exigences d'un programme en leur donnant un contrôle, ils restituent leur leçon de manière scolaire. Je suis peut-être trop idéaliste, mais je pense qu'on peut créer d'autres relations avec les élèves en les engageant dans des travaux moins scolaires et plus personnels. Des projets plus engagés sur l'humanité et le rapport à l'autre. Ça c'est du travail intelligent ! Pour qu'ils apprennent les valeurs de la République, il faut le faire de cette manière-là, par des projets, sinon c'est trop vertical ! Appliquer les programmes, c'est bien. Mais pour moi ça ne suffit pas.

S'il part d'une "indignation" relative à cette lettre anonyme, ce nouveau projet a aussi suscité une question sur ce que représente le droit de vote pour vos élèves. Est-ce un moyen à votre échelle de combattre l'abstention quand on sait que les élèves peuvent être de formidables ambassadeurs auprès de leurs parents ?

Les interroger sur le vote en cette période électorale, ce n'est évidemment pas anodin. Quand on voit que 13 millions de personnes ne sont pas allées voter, c'est dramatique. Je trouvais qu'à un moment de notre histoire qui est charnière, à l'heure où la démocratie s'effrite, c'était intéressant d'interroger des enfants qui seront amenés à voter dans trois ans. Je leur explique que dans une démocratie, toutes les idées peuvent s'exprimer, y compris les plus extrémistes. Sauf que quand on se rapproche des extrêmes, ça peut devenir dangereux. Je leur dis : "Vous avez un bulletin de vote et il faut s'en servir." C'est pour ça que la brochure s'achève par une image représentant une carte électorale.

2 000 brochures viennent d'être imprimées pour être vendues au pris de 3 € l'unité. À quoi serviront les bénéfices ?

On va reverser les fonds à l'École sans frontières d'Alès en Cévennes qui, bénévolement, met à disposition des professeurs pour alphabétiser des enfants étrangers nouvellement arrivés afin qu'ils s'intègrent au mieux dans leur pays d'accueil. Le 22 juin, à Saint-Privat-des-Vieux, la brochure sera présentée à la présidente de l'association et on lui remettra un chèque. Je dis à mes élèves : "Vous imaginez ce que ça représente ? Vous avez participé au projet. Vous avez acheté des brochures. Vous les avez dédicacées. Et à la fin, avec le produit de votre activité intellectuelle, vous allez donner une somme d'argent à une association qui va aider des enfants à mieux s'intégrer dans notre territoire. Si ça c'est pas beau ! C'est noble." Et là les enfants adhèrent !

Propos recueillis par Corentin Migoule

Financée intégralement par le foyer socio-éducatif du collège Jean-Racine, la brochure "Touche pas à ma démocratie" a été éditée à 2 000 exemplaires. En vente au prix de 3 € l'unité à la librairie Sauramps, ainsi qu'à la librairie "Au bonheur des gens". 

(∗) Que vous inspire cette lettre ? Que reproche l'auteur à Patrice Anato ? Ces propos vous paraissent-ils dangereux ? Quel est le rôle du professeur ? Complétez les phrases suivantes : "Voter, c'est...." 

Corentin Migoule

A la une

Voir Plus

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio