Publié il y a 1 an - Mise à jour le 28.07.2022 - boris-de-la-cruz - 5 min  - vu 4292 fois

GARD Jean-Pierre Bandiera, 39 ans de passion judiciaire

Jean Pierre Bandiera vient de prendre sa retraite. Un magistrat qui a marqué le mundillo judiciaire gardois

Une figure des "robes noires" quitte l’institution judiciaire. Après 39 ans de magistrature, le président du tribunal correctionnel de Nîmes, longtemps juge d’instruction qualifié de « rigoureux », « courageux » et « humain », laisse son bureau avec vue directe sur les arènes de Nîmes. C’est une page de l’histoire judiciaire qui se tourne. Ses proches témoignent, mais aussi des enquêteurs, des avocats, des juges.

 
« C’est le magistrat qui m’a le plus marqué en 30 ans de carrière. Il avait une connaissance parfaite des dossiers, le moindre détail ne lui échappait pas. Pour nous, policiers, c’était rassurant d’avoir un juge comme Jean-Pierre Bandiera », témoigne un enquêteur, aujourd’hui retraité, qui a traité plusieurs affaires de délinquance avec ce juge en quête permanente de vérité.
« Il avait un côté rigoureux dans la procédure, mais il était très humain. Il était toujours dans le respect des autres, dans la recherche de la compréhension, la loi était la même pour tous. Pour moi, c’était un modèle dans ses fonctions de juge d’instruction », estime Pierre Mauméjan, l’actuel maire d’Aigues-Mortes, qui a œuvré à la police judiciaire de Marseille et à la sûreté urbaine de Nîmes. Ce dernier se souvient en particulier d’une affaire liée au trafic des machines à sous, « où nous avions fait tomber des beaux voyous au début des années 2000 alors que les exécutions mortelles autour de ce marché lucratif se multipliaient dans le sud de la France ».
Des affaires qui vaudront au magistrat des menaces dans son cabinet de la part d’un suspect considéré comme un parrain, mais aussi des balles logées dans son portail pour l’intimider. Le juge poursuit sa quête quelle que soit la tempête. « Si je devais le résumer en deux mots, je dirais qu’il est opiniâtre et passionné », note avec respect l’ancien commandant de police Gilles Decelle.

Un juge visionnaire et le crime d’une adolescente

Durant ces années dédiées à piloter les affaires pénales, le dossier Emmanuelle Lelièvre a marqué les esprits. Cette adolescente de 15 ans avait été découverte morte dans un fossé près de la mairie de Garons en janvier 1996. Le juge Bandiera va fermer minutieusement toutes les portes avec la section de recherches de Nîmes, avant de décider de procéder à des tests massifs d’ADN dans la population et en ciblant auparavant les hommes gravitant autour de la jeune femme violée et tuée. « C’était la première fois en France qu’un nombre aussi importants d’hommes étaient convoqués pour un prélèvement ADN », se souvient un gendarme. Une décision du juge qui va permettre de confondre le meurtrier neuf mois après le drame. Un juge qui faisait appliquer les méthodes d’enquête traditionnelles, mais qui avait une vision d’avenir en mettant en avant notamment l’ADN dès le début des années 90.

Origine modeste et une certaine idée de la justice

Si en ce mois de juin 2022, Jean-Pierre Bandiera a présidé sa dernière audience correctionnelle, c’est sous les habits de juge d’instruction qu’il a marqué l’institution. Il y a œuvré pendant près de 20 ans, souvent associé avec son vieux complice de l’instruction, son ami le regretté Christian Lernould avec qui il rendait chaque année hommage, au juge Pierre Michel, assassiné à Marseille en 1981.
Avec ses copains du second étage du palais de justice, ils se rassemblaient un vendredi par mois autour d’une bonne bouteille de vin, histoire de créer du lien et d’évoquer entre eux les difficultés ou les joies du métier.

Il a toujours voulu devenir juge

Les vignes justement, terre de naissance de Jean-Pierre Bandiera en 1958 dans l’Aude. « Ses origines modestes, son père émigré italien et sa mère née dans les vignes audoises des Corbières, lui ont forgé une personnalité de justicier, souligne son épouse Françoise. Il a toujours voulu devenir magistrat. Il disait à ses parents : quand je serai grand, je serai juge. Il a aussi tâté du journalisme puisqu’il faisait des comptes-rendus de matchs de rugby pour le journal Midi Olympique lorsqu’il était étudiant. »
Après la faculté de droit de Toulouse, il passe et réussit le concours de greffier en chef. Mais, en même temps, l’école de la magistrature de Bordeaux lui ouvre les bras en 1980. Son rêve devient réalité. Après deux ans de formation, il débute sa carrière. Les crimes, les affaires de stupéfiants, il les découvre d’abord au parquet comme substitut du procureur. Mais ce métier de magistrat, il ne le conçoit que comme une hermine libre, sans le poids de la hiérarchie et d’un procureur omniprésent. Rapidement, il bifurque vers l’instruction. Cette longévité comme juge d’instruction à Nîmes fait de cet homme, au grand sens de la répartie en audience, la véritable mémoire du tribunal.

Une source d’inspiration pour d’autres juges

Il se souvient des moindres détails d’un dossier. Il était là dans les affaires politico-financières qui ont ébranlé la vie gardoise dans les années 80 et 90. Il en a instruit. « Il a ouvert la voie. C’est un modèle Jean-Pierre, une source d’inspiration même. Il a une éthique professionnelle au-delà de tout, estime son ancien élève Dominique Blanc devenu lui aussi juge d’instruction à Paris. Lorsque Bandiera prend un dossier c’est la certitude qu’il sera bien ficelé. Il a une honnêteté intellectuelle, une indépendance d’esprit et une humanité qui déborde son métier du juge. » Il part à la retraite mais « il reste ma référence », complète le juge Blanc.

Un juge des libertés connu dans les ministères parisiens

Sa carrière et les promotions, Jean-Pierre Bandiera les a mises de côté il y a bien longtemps. Le "juge rouge", compagnon de route du syndicat de la magistrature considéré à Gauche, a subi des tensions, des pressions, notamment lorsqu’il était juge des libertés et de la détention (JLD). À cette époque, Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur avant de devenir président de la République. « Jean Pierre Bandiera avait été surnommé "libérator". Il était connu dans la France entière car il rendait des décisions courageuses et très motivées en droit, témoigne maître Pascale Chabbert Masson, spécialiste en législation sur les étrangers. Pour lui une personne sans papiers a les mêmes droits qu’un notable, qu’un ministre. Mais, lorsque l’on est irréprochable en droit, on peut irriter les politiques qui n’acceptent pas les juges indépendants. D’ailleurs, lorsque la Cour de cassation était saisie, elle validait les décisions de Jean-Pierre Bandiera. » Pour l’avocate, le tribunal de Nîmes perd aujourd’hui « un très grand juge » au « service de l’État de droit ».
Un magistrat solitaire et courageux qui aime se détendre entre deux marathons dont celui de New-York, mais aussi consacrer beaucoup de temps aux auditeurs de justice, ces futurs magistrats en formation. La dernière audience fin juin a sonné pour Jean-Pierre Bandiera qui n’a jamais rien lâché au fil des ans à son idéal de justice. S’ouvre dorénavant à lui un autre temps qu’il pourra consacrer à sa famille. « Chez mon père l’homme et le juge sont indissociables. Il représente pour moi le symbole d’une justice pensée, réfléchie et équilibrée », raconte avec admiration et émotion sa fille Aurélie.
Un juge qui a toujours été très présent pour ses enfants sans jamais laisser transparaître la pression de son activité. « Il n’a bien sûr jamais évoqué auprès de nous le contenu de ses dossiers, mais il avait une force de travail. Je le revoie encore alors que j’étais enfant bosser le matin avant de partir au palais de justice et continuer le soir en rentrant. Encore aujourd’hui, je suis remplie d’admiration pour le père et pour le juge », insiste Aurélie Bandiera.
Pour la retraite et les soirées au coin du feu, il peut aussi compter sur des proches, comme le médecin légiste nîmois Mounir Benslima : « Ah ! Jean-Pierre c’est un ami fidèle et un homme remarquable. Ensemble on ne parle jamais de travail. On apprécie les bons vins et les matches de foot. »
Boris De la Cruz
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