GARD La viticulture en danger après une année secouée, Denis Bouad fait sa tournée
Il était à Roquemaure, ou encore à Tavel, avant de venir à Aigues-Mortes, pour retourner dans le Gard Rhodanien. Le sénateur Denis Bouad fait sa rentrée et comme les dorures de la République sont moins proches de lui que le monde agricole, il a décidé d'écouter les doléances d'un milieu en danger, celui de la viticulture.
"Mes origines sont là, dans l'agriculture !", entame Denis Bouad, sur le parking du caveau des Sablons, cave coopérative entre Saint-Laurent-D'aigouze et Aigues-Mortes. "Au Sénat, je suis en charge de ce dossier, j'y suis naturellement très attentif car les gens sont inquiets et nous devons trouver des solutions. Maintenant, c'est le moment idéal pour parler de tout ça ensemble. Je suis ici pour alimenter ma réflexion. Pour cela, le terrain, c'est toujours mieux !"
L'année a été difficile avec, en plus de la crise sanitaire, une séquence de gel puis de sécheresse. Pas facile, quand on parle de vin, de composer avec ça. Au caveau des Sablons les vignerons connaissent de graves difficultés. Sur la centaine qui apporte ses raisins en cave, on parle de 46 % en moins par rapport à une récolte normale.
Bernard Vila, viticulteur coopérateur, est clair : "On va commencer par les bonnes nouvelles... Bon, comme il n'y en a pas, passons aux mauvaises ! On sera entre -60 et -70 %. Nous avions de l'espoir avec les grenaches, mais plus on va sur Aigues-Mortes, plus c'est difficile ! Je n'ai jamais connu ça de ma vie. Comme il n'a pas plu, c'est le sel qui remonte..." Vous l'aurez compris, sel et agriculture ne font pas bon ménage. C'est la cata.
"Tout cela fait que nous passons un très mauvais moment, certains ont ou vont jeter l'éponge. Les dossiers que l'on doit monter sont compliqués, ils nous coûtent du temps et de l'argent et je ne parle même pas des assurances climatiques car cela m'irrite !", poursuit le viticulteur avant de reprendre : "Comprenez bien, elles n'ont pas encore payé ce qu'elles nous doivent des précédents sinistres et leurs tarifs augmentent déjà !" À ces problèmes structurels viennent s'ajouter d'autres enjeux d'importance pour l'agriculture.
Dans notre région, sèche, on gère l'eau de manière aléatoire selon les secteurs. En Camargue, où l'on pourrait se dire que tout va bien car on y voit les marais, la mer et le canal du Rhône à Sète, c'est faux ! "Notre gestion de l'eau est catastrophique ! On pourrait utiliser les écluses de Saint-Gilles pour remettre de l'eau mais non... Les marais que l'on a vendus au Conseil départemental (CD) sont eux aussi très mal gérés", assure Bernard Vila. C'est alors que Denis Bouad lance un discret : "Bon, je me recule un peu !" Jouant d'humour dans ces moments de détresse, l'ancien président du CD30 connaît la problématique, mais est justement venu pour en parler.
Magali Saumade, présidente de la Chambre d'agriculture du Gard se dit "pleinement mobilisée sur ces questions. Nous travaillons tous les jours sur les aides et on apprend la complexité des dossiers. Il nous faut nous mobiliser, ce schéma n'est pas assez pragmatique et opérationnel. Sur ce territoire, nous devons aussi avoir une vision globale car sans agriculture, demain, c'est un désert ! À cause de l'effet de compensation, nous courrons à la catastrophe. L'agriculture doit retrouver sa place !"
Pour David Sève de la FDSEA : "Aujourd'hui, les retours sont les mêmes partout, la perte de la récolte est catastrophique, mais nous devons rester optimiste. Il y a neuf chance sur dix pour qu'après les vendanges on manifeste car il n'y aura pas assez d'aide pour tout le monde. On parle d'un milliard, mais c'est certainement très insuffisant. Même si on va nous dégrever une partie de notre foncier, comment la franchise des assurances sera-t-elle prise en compte ? La situation est hétérogène, c'est inquiétant."
Denis Verdier, président de l'Institut coopératif du vin et de la fédération IGP du Gard, voit en "cette récolte historiquement faible le bon moment pour parler de notre système assurantiel. Nous devrions profiter de ces catastrophes et de la gestion pour voir ce que les parlementaires peuvent faire, c'est le moment !" Coïncidence, Denis Bouad, sénateur, est là. "Bon, je savais qu'en venant ici on allait faire face à des difficultés importantes !", rassure le sénateur.
Du sel qui remonte de terre et qui brûle tout espoir sur son passage, une terre trop aride, des cours d'eau mal gérés, une problématique météorologique constante, des vendanges plus courtes et plus avancées dans le temps, des assurances peu efficaces, des catastrophes naturelles avec leurs nuances administratives... "On sait quoi faire, mais parfois il faut 15 ans pour le mettre en place ! Nous allons aussi avoir besoin des crédits de l'Europe. L'eau est une vraie problématique, on ne parvient pas à aligner cinq récoltes consécutives alors comment en faire une moyenne ?"
Pour Denis Bouad, il faut préserver les zones humides sans exclure le travail agricole et son économie. Pour les assurances ? Le sénateur a son idée : "On doit pouvoir installer des jeunes agriculteurs, plus que ce que nous faisons actuellement. Pour pérenniser leur société, leurs assurances doivent être bonnes. Le système part d'un bon sentiment avec cette moyenne sur les cinq dernières années mais ici, le risque n'est pas aléatoire, il se passe toujours quelque chose... Nous devons utiliser l'Europe, le gel concerne toute la France, on doit redevenir assurable." À la manière des Espagnols qui ont une sorte de pool qui mutualise les risques ?
"On a un bon ministre de l'Agriculture mais après lui, il y a Bercy et eux n'y comprennent rien ! J'ai commencé au Sénat à faire des auditions et ce que je vous dis ressort clairement. Le ministre veut généraliser l'assurance agricole au 1er janvier 2023 mais se posera le problème de l'arboriculture... Je continue cette mission car il faut que cela devienne possible. Ici, s'il n'y a pas d'agriculture, il n'y aura pas de touriste."
Fraîchement élu au syndicat mixte de la Camargue Gardoise, Robert Crauste, maire du Grau-du-Roi y va pas à pas. "Ce territoire est éminemment agricole ! Hier, on m'a fait confiance pour m'élire à ce poste, immédiatement nous avons parlé des problèmes de l'eau. On parle aussi du sel... On va prendre les problèmes les uns après les autres pour trouver un équilibre et s'assurer un avenir."
De son côté et pleinement touché par l'ensemble de ces phénomènes cette année, Paul, vigneron, est consterné. "C'est dramatique. Nous sommes en train de faire du Château Margaux ! On fait, en moyenne, 25 hectolitres en cave... C'est incroyable." 25 au lieu de 90. Dur car ces vins, nos vins, ont toujours eu plus de volume que les grands crus classés ! "On a mis des années à avoir une clientèle et nous allons la perdre car on ne pourra pas la fournir en rosé. Va-t-elle aller voir ailleurs ? Sans doute... La perte de notre récolte, pour nous, c'est la perte de notre commerce. Surtout si on avait en tête de revendre ! Là, on est bloqué."
Car les vignerons ont aussi des frais à engager. "Il me faut 5 000 euros par hectolitre pour couvrir un sinistre. J'ai 50 hectares. Disons qu'il me faudrait 200 000 euros pour être bon... Il va y avoir la révolte des campagnes, on n'a pas d'argent pour partir en vacances, mais on viendra manifester ! On donne des milliards à la restauration ou à l'industrie, c'est bien, mais nous, qui nous aide ? J'en plaisante à peine, mais je ne sais même pas si on va arriver à nourrir en rosé nos propres touristes ! Serons-nous encore fiers d'être Camarguais ?", conclut Paul.
Un temps de questions-réponses s'est alors mis en place à la fin de la discussion. Chacun y allait de son expérience et de son expertise. "Disons les choses clairement, sans langue de bois, mais restons unis et nous sortirons grandis de cette période", termine Bernard Vila.