HOMMES DE LETTRES GARDOIS Bernard Lazare, l'exception au double nom
Tout l’été, Objectif Gard propose de vous attarder sur les destins de quelques éminents hommes de lettres gardois. Cette semaine, le Nîmois Bernard Lazare de son vrai nom Lazare Bernard (1865-1903).
Nous sommes au 19ème siècle... Nîmes est une cité florissante avec une économie riche. La famille Lazard (qui abandonnera ce nom pour y préférer celui de Bernard) s'est installée à Nîmes un siècle plus tôt. D'abord dans la rue des Marchands où les juifs sont nombreux, la famille tient une boutique de textile (tailleur).
Elle travaille bien et possède une belle et nombreuse clientèle si bien que la boutique déménage sur le luxueux boulevard Victor Hugo. Une consécration pour cette famille humble qui accueille la naissance d'un certain Lazare, Marcus, Manassé Bernard le 14 juin 1865. Dans une famille on ne peut plus pieuse, le petit détone par son envie de liberté. Indépendant et anarchiste en puissance, le petit Lazare grandit à Nîmes et laisse le souvenir d'un pitchounet impétueux se détachant de la masse.
À ses 20 ans, il "monte à Paris" et se lie d'amitié avec des écrivains, des intellectuels tout en commençant à écrire quelques articles avant de gravir un à un les échelons jusqu'à devenir directeur d'une revue politico-littéraire. Mais la véritable notoriété, Lazare la connaîtra sans trop la connaître, elle arrivera avec l'infâme affaire Dreyfus. De ce conflit social, religieux et politique qui scinde la France en deux, on ne retient que le nom d'Emile Zola mais c'est bien à Lazare Bernard que l'on doit la vérité soulevée... Et tant qu'on y est, le "J'accuse!", c'est aussi lui, Lazare Bernard, qui l'a écrit telle une anaphore dans sa toute première brochure qui démontait la condamnation de Dreyfus! Il a su filer le tuyau à Zola qui l'a filé à son tour à l'éternité d'un souvenir.
En effet, c'est plus de 2 ans avant Zola qu'il s'inquiète de l'histoire. Connaissant la plume, la verve et les idées acerbes du Nîmois, le directeur de la prison dans laquelle est enfermé le capitaine Alfred Dreyfus, avoue à la famille du prisonnier que seules 2 personnes en France peuvent faire changer les choses. Evidemment, le jeune Lazare, est l'une d'entre elles.
Convaincu par l'innocence de Dreyfus et connaissant mieux que quiconque l'histoire du peuple juif, Lazare Bernard ou Bernard Lazare comme on l'appelle, prend les manettes de la communication du camp Dreyfus et devient le premier dreyfusard. En 1895 il publie une première brochure (celle où il dit "J'accuse!") sur le sujet et la transmet à tout le gratin politique, scientifique et littéraire du grand Paris de l'époque.
Mais Lazare ne s'arrête pas en si bon chemin. Pendant plusieurs années il collabore avec le journal L'Aurore et se fait respecter pour sa franchise, ses idées et la justesse de ses convictions. Zola n'y publiera son "J'accuse...!" qu'en 1898. Premier dreyfusard de France, cabochard mais attachant, le Nîmois meurt à l'âge de 38 ans sans bien ni fortune dans le quasi anonymat. Il a souhaité être enterré au cimetière du Montparnasse, sans cérémonie, ni fleur, ni parole à son égard.
À Nîmes, plusieurs plaques rappellent encore le digne combat mené par cet homme honorable. Aux Jardins de la Fontaine une stèle lui était dédiée mais les affres de la seconde guerre mondiale et les absurdités qui poursuivaient les juifs en ont eu raison... Un petit malin lui coupa le nez pour l'offrir en guise de presse-papier à Mauras et la stèle passa ensuite sous le feu de la dynamite avant que ces morceaux ne soient incorporés au monument pyramidal destiné aux morts pour la liberté sur l'avenue Jean Jaurès.