FAIT DU JOUR Pascal 55 piges, dans la rue depuis 27 ans
Depuis le début de l'hiver, un SDF s'est installé à demeure dans la rue des Tondeurs, sur l'arrière du magasin Zara, où un improbable recoin nauséabond et crasseux lui sert de grabat et de pièce à vivre. Accidenté de la vie, il refuse de se plaindre en dépit de conditions d’existence on ne peut plus précaires. Itinéraire d'un enfant pas gâté, pour qui la vie n'a rien d'un long fleuve tranquille…
Il s'appelle Pascal. Pascalou pour les intimes. Même si ce surnom ne semble pas lui plaire particulièrement. Depuis plusieurs mois, il a trouvé refuge au centre-ville, dans une des plus petites rues du quartier de l'Écusson. Une des plus petites mais sûrement pas la plus propre, en dépit des efforts méritoires des services techniques de la ville, qui s'astreignent chaque jour, dès potron-minet, à effacer autant que faire se peut les stigmates de la veille.
Canettes métalliques de bière hollandaise à forte teneur en alcool, excréments de canidés mais aussi d'humains peu scrupuleux, papiers gras, bouteilles de rosé de cuisine, voisinent avec des poubelles éventrées dans des relents putrides d'urine qui prennent aux narines. L'endroit est peu engageant, c'est le moins qu'on puisse dire...
Amateur de littérature
Mais Pascal n'en a cure. Ici, tout le monde le connaît. Dans cette ruelle rebaptisée ''Rue de la Pisse'' par des riverains excédés, il a su se faire sa place parmi la faune des marginaux qui y passent le plus clair de leur journée à s'alcooliser et à se se livrer à des petits trafics en tous genres. Un monde interlope sur lequel il pose un regard bienveillant mais néanmoins empreint de prudence : "Ils ne sont pas bien méchants et ils savent que je suis cool. Mais je me méfie de quelques-uns. J'ai déjà été agressé deux fois. Quand ils picolent trop, il y a des bagarres. Ils fument aussi un peu de haschisch. Moi ça ne m'intéresse pas. Pas plus que leurs conneries de Subutex ou de Méthadone... J'ai bien connu la drogue quand j'étais plus jeune. C'est même moi qui faisais les piqûres à mes copains. J'étais doué pour faire les intraveineuses..."
Son éternel bonnet de marin planté sur le crâne, engoncé dans une doudoune noire qui lui sert de seconde peau, le dos calé tant bien que mal sur un duvet qui a dû jadis être bleu, Pascal tue le temps en dévorant des livres : "Je lis de tout. En ce moment c'est Shining, de Stephen King. Je ne suis pas trop bête et j'aime comprendre les choses. J'aime les romans ou les ouvrages historiques. Les polars aussi. Moins les histoires à l'eau de rose de Barbara Cartland. La vraie vie n'est pas comme ça..."
Guettant patiemment les beaux jours, il attend pour s'installer loin de toute cette agitation qui lui pèse : "J'attends qu'il fasse plus chaud pour me poser à la campagne ou à la montagne", raconte cet homme de cinquante-cinq ans à la silhouette bréviligne qui vit dans la rue depuis...27 ans ! Membre d'une fratrie de cinq enfants, cet ancien menuisier (titulaire d'un CAP, d'un BEP de menuiserie et d'un CAP de soudeur) a pas mal bourlingué avant de revenir s'installer dans le Gard où il conserve des attaches familiales.
Né dans le Val d'Oise, où son père était employé, il a ensuite vécu huit ans dans l'Oise, près de Creil. "Ma mère est originaire de Bernis et mon père du Vigan ", raconte-t-il posément. "Après, mon père a retrouvé du travail à Lamalou-les-Bains (84). Ensuite la famille s'est installée près de Remoulins avant de se fixer à Nîmes."
"J'ai commencé à boire et à me droguer..."
Si son enfance reste celle d'un enfant lambda, la suite sera plus compliquée... "Quand j'étais jeune, je rêvais de devenir garde forestier. Mais les études ce n'était pas pour moi." À défaut de quoi, il se contentera d'exercer des petits boulots dans la menuiserie, le bâtiment ou l'électricité jusqu'à son enrôlement sous les drapeaux qui sonnera le glas de ses espoirs d'une vie normale. "Quand j'ai quitté l'Armée, j'avais tout perdu : mon travail, mon logement et ma voiture. Je l'avais prêtée à un copain qui l'a bousillée."
Adieu veaux, vaches cochons, couvées... Et bonjour la précarité ! Installé provisoirement chez son père, Pascal bascule dans une vie de bohème quand ce dernier quitte le Gard pour s'installer en Auvergne. "J'ai pété les plombs. J'avais 26 ans et j'ai commencé à boire et à me droguer en prenant des cachetons. J'ai fini en psychiatrie. J'étais devenu méchant, ce qui n'est pas dans ma nature. J'ai eu droit à plusieurs séances d'électrochoc."
Après sa sortie du service spécialisé de l'hôpital Carémeau de Nîmes, il entame une longue errance :"J'ai galéré à droite à gauche : Avignon, Montpellier, Marseille -mais là-bas, je n'aimais pas !-, Paris... Je faisais la mangave (la manche, NDR) devant les églises. À cette époque on n'était pas nombreux. Maintenant, ils sont 50 000, ça ne sert plus à rien ! "
De retour dans la cité des Antonin, il s'installe clandestinement aux Jardins de la Fontaine. "Ce n'était pas facile. Il fallait guetter le départ des policiers après la fermeture des grilles, regrimper par dessus pour rentrer... Je ne suis pas tout jeune et toutes ces acrobaties, ce n'est plus de mon âge. En plus j'étais toujours embêté par des gamins..."
Sa vie sentimentale se résumant au néant, ignorant les maux de la faim, c'est auprès de la dive bouteille que Pascal trouve un pseudo réconfort qu'il sait pourtant illusoire : "Moi, je bois du rosé. J'aime bien aussi la vodka ou le cognac mais je n'ai plus d'argent. Depuis que j'ai perdu ma carte d’identité et que la machine a avalé ma carte bancaire, ce sont mes copains qui me paient à boire et me donnent du tabac. Sinon, le matin je ramasse les mégots. Je peux facilement me passer de manger durant deux ou trois jours mais pas de fumer... J'ai eu une copine mais elle a fini par me quitter. Je ne suis pas très affectueux. J'ai dû l'embrasser deux ou trois fois. Pas plus..." Quant à son avenir, si tant est qu'il s'en voit un, il le dessine en pointillé : "Je finirai dans le caniveau. Il y a de fortes chances. Ça fait trop longtemps. Je n'ai pas réussi à trouver une place dans un foyer de la Croix Rouge. Je n'ai plus le courage de changer... J'ai découragé toute ma famille. Je ne mérite pas mieux..." Le mot de la fin ?...
Philippe GAVILLET de PENEY
philippe@objectifgard.com