Publié il y a 1 an - Mise à jour le 17.11.2022 - Stéphanie Marin - 5 min  - vu 522 fois

FAIT DU SOIR Valérie Andanson, enfant réunionnaise déracinée : "À travers cette pièce de théâtre, c'est de dire : plus jamais ça"

Le Collectif V.1 présentera sa deuxième pièce, "Tous nos ciels", au théâtre L'Odéon à Nîmes, les 22 et 23 novembre 2022.
Valérie Andanson, porte-paroles de Fédération des enfants déracinés des DROM

Le Collectif V.1 s'est inspiré de l'histoire de Valérie Andanson, l'une des 2 015 enfants réunionnais déracinés de 1964 à 1984.

- Olivier Monge/Agence Myop

Pour son deuxième projet, le collectif montpelliérain V.1 s'est une nouvelle fois emparé d'un fait de société. Il s'agit cette fois-ci de l'affaire des "enfants dits de la Creuse", cet épisode de l'histoire française qui a marqué une génération d'enfants coupés de leur famille d'origine, de leur île, de leur culture, de leurs racines.

Tout part d’une rencontre entre Valérie Andanson et Jessica Ramassamy, comédienne et dramaturge, accompagnée du metteur en scène, Elian Planes. Tous deux avec Sabine Moulia, sont co-créateurs du collectif V.1. Cette rencontre a eu lieu en décembre 2019 à Aix-en-Provence, où habitait Valérie, l’une des « enfants dits de la Creuse », porte-parole de la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d'Outre-Mer (FEDD). « Pour ce deuxième spectacle, nous avions envie de nous emparer à nouveau d’un fait de société comme on a pu le faire pour notre première création, "Il faut dire", qui revenait sur l’affaire de Gabrielle Russier », lance Jessica Ramassamy.

Cet épisode encore trop peu connu de l’histoire de France, a pourtant marqué toute une génération d’enfants coupés de leur famille d’origine, déracinés. Mais aussi les générations suivantes : « Quand j’étais petite, on me disait de ne pas sortir après 18h, sinon on va t’attraper et t’envoyer on ne sait où », se souvient Virginie Sibalo, comédienne d’origine réunionnaise, qui a rejoint l’équipe artistique du collectif V.1, pour ce spectacle. « Une légende » directement liée à cette affaire d’État racontée par le collectif.

Le collectif V.1 au théâtre de Nîmes
Virginie Sibalo, comédienne et les trois co-créateurs du collectif V.1, Elian Planes, metteur en scène, Jessica Ramassamy et Sabine Moulia, commédiennes.  • Photo S.Ma

Au début des années 60, l’Île de la Réunion, considérée comme un département encore sous-développé, présente un taux de natalité parmi les plus élevés au monde. Face à une démographie galopante, au niveau de la pauvreté et au risque d’une explosion sociale, Michel Debré, député de La Réunion, renforce le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-Mer (BUMIDOM), et l'élargit aux mineurs. C’est dans ce cadre que plus de 2 000 enfants réunionnais sont immatriculés par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales pour être transférés dans 83 départements de l’Hexagone. La Creuse voit transiter au Foyer pour l’enfance de Guéret l’un des plus gros contingents. Ces enfants, dont les parents pour la plupart illettrés ont signé un acte d’abandon, ont rarement pu retourner sur leur île, retrouver leurs racines et leurs proches.

« J’avais 3 ans quand on nous a arrachés à notre famille. »

Valérie Andanson

Parmi ces enfants passés par Guéret, Valérie Andanson. « J’avais 3 ans quand on nous a arrachés à notre famille. » Nous, car ses cinq frères et sœurs étaient également dans cet avion qui s’est posé à l’aéroport d’Orly(*). « Puis on est montés dans un bus, direction Guéret dans la Creuse. Là, nous avons été triés. La fratrie a été éclatée. » Valérie a été placée en famille d’accueil « où j’ai été maltraitée pendant 4 ans ». « Cette période-là, où j’ai été traitée comme un animal, j’essaie de l’occulter pour me protéger. » Puis à l’âge de 7 ans, celle qui est née dans la Creuse si on s’en réfère à sa carte d’identité de l’époque, est adoptée par une famille aimante et aimée. Mais ce n’est qu’à l’âge de 16 ans, en tombant par hasard sur des documents, qu’elle apprendra sa vraie histoire. « Sur ces papiers, il y avait un autre nom, un autre prénom et un autre lieu de naissance. On avait falsifié mes papiers, c’est grave. »

Valérie Andanson
Valérie Andanson a découvert sa véritable identité à l'âge de 16 ans. • Document V.A.

Aujourd’hui âgée de 59 ans et désormais installée sur sa (vraie) terre natale, la porte-parole de la FEDD poursuit son combat avec force et détermination, pour faire connaître l’histoire de ces enfants réunionnais mais aussi et comme d’autres associations, pour obtenir pleinement réparation de la part du Gouvernement. « Je ne suis pas en colère, je suis sur le chemin de la résilience. Mais ce combat est important, je le dédie à mon frère, à tous ces compatriotes décédés trop jeunes. Je m’en suis sortie, mais nous sommes tous traumatisés physiquement et psychologiquement. »

« Le corps autant que les mots, raconte une histoire"

Elian Planes, metteur en scène

Maman de trois enfants et grand-mère de six petits-enfants, Valérie parle avec émotion de l’attention portée par le collectif V.1 à son histoire. "Quand je les ai rencontrés, je me suis dit : On va aller loin avec eux ». Son parcours que l’équipe montpelliéraine retrace entre fiction et réalité, constitue le fil rouge de « Tous nos ciels », une pièce qui interroge aussi sur l’héritage culturel, sur le regard que nous portons sur nos origines, sur la transmission de cette histoire aux générations d’après et de la façon dont elles s’en emparent. Jessica Ramassamy a également pris des libertés « afin de faire écho aux voix des autres enfants dits de la Creuse, d’avoir une dimension universelle. »

Dans la mise en scène, on y retrouve la patte du collectif, sa volonté d’impliquer le public – à qui il n’est pas question d’imposer un avis, mais d’ouvrir à la réflexion sur ce sujet - dans ce qui se passe sur scène, avec les trois comédiennes Jessica Ramassamy dans le rôle principal, Sabine Moulia et Virginie Sibalo. Il y a ce qui se dit, ce qui se joue, ce qui se voit, « le corps autant que les mots, raconte une histoire, chaque chose sur scène n’est pas due au hasard », précise Elian Planes, metteur en scène. Et le même de poursuivre : « Dans la mise en scène, il y a beaucoup de subtilités, de décalage, de vie. On insuffle de la lumière, de la vie, malgré le fait que ce soit un thème dur. »

"C’est une affaire politique, une affaire d’État, il faut en parler."

Valérie Andanson

Valérie Andanson a pu voir un extrait de cette pièce le 20 novembre 2021, journée de commémoration de l’histoire des « enfants réunionnais dits de la Creuse ». « S’ils parlent de mon histoire, ils ont réussi à élargir le sujet, il y a des scènes qui sortent de l’ordinaire, qui sont rigolotes et c’est bien », souligne la quinquagénaire. Elle ajoute : « Qu’une telle pièce soit portée par des jeunes, c’est très fort, très important. L’exil d’enfants est quelque chose d’inhumain, de traumatisant. De quel droit peut-on décider de l’avenir d’un enfant ? Et dans la façon dont les comédiennes jouent la pièce, on sent la déchirure, on sent que nous avons vécu abandon sur abandon, rupture sur rupture. C’est une affaire politique, une affaire d’État, il faut en parler. Le combat que nous menons, au travers de la culture, de cette pièce de théâtre, de cette jeunesse, c’est de dire : plus jamais ça ! »

Valérie Andanson, porte-paroles de Fédération des enfants déracinés des DROM
Le Collectif V.1 s'est inspiré de l'histoire de Valérie Andanson, l'une des 2 015 enfants réunionnais déracinés de 1964 à 1984. • Olivier Monge/Agence Myop

La pièce « Tous nos ciels » sera présentée les mardi 22 et mercredi 23 novembre au théâtre l’Odéon à Nîmes. Puis, entre autres représentations, le collectif V.1 s’envolera pour la Réunion. Une trentaine d’ex-mineurs d’origine réunionnaise viendront de métropole pour participer à cet événement. Des rencontres scolaires seront également organisées. « Notre histoire doit être étudiée au niveau de l’Éducation nationale, insiste Valérie Andanson. C’est le cas à La Réunion depuis le mois de septembre, mais il faut que ce le soit à l’échelle nationale. Et grâce à cette jeunesse-là qui porte ce projet culturel, avec ses tripes, ses convictions et beaucoup d’amour, on va y arriver. »

Le 20 novembre, jour de commémoration de l'histoire "des enfants dits de la Creuse"

*Une stèle a été posée à l’aéroport d’Orly le 17 février 2022 pour commémorer l’exil des enfants réunionnais dits de La Creuse. Rappelons qu’en 2014, l’Assemblée nationale a reconnu la responsabilité morale de l’État français dans cette affaire. En 2018, une commission d’information et de recherche historique a rendu un rapport qui a permis de relancer l’action judiciaire.

Stéphanie Marin

Nîmes

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