AUTOUR DES ARÈNES Frédéric Bon, entre passion et épreuves

Frédéric Bon, 39 ans, dans les arènes de Saint-Gilles au mois de novembre 2024.
- Photo d'archives S.MaChaque vendredi de l'été, Objectif Gard & Arles vous emmène à la rencontre de ces femmes et ces hommes qui font battre le cœur de la tradition camarguaise. Pour inaugurer cette série, lumière sur Frédéric Bon, fils du manadier Jacques Bon. À travers ses mots et son engagement quotidien, Frédéric incarne la transmission d’un patrimoine, entre respect du taureau de Camargue et adaptation aux enjeux contemporains.
"Petit, Tristan de la manade Saumade (Biòu d'or en 1999 et 2001, NDLR) est le taureau qui m'a le plus impressionné." Frédéric Bon a été biberonné aux traditions camarguaises. Une passion transmise par son père, Jacques, créateur de la manade éponyme en 1979. Bien entouré dès ses débuts, l'éleveur d'ovins reconverti s’appuie sur les liens familiaux et amicaux : son ami Marcel Mailhan et son beau-frère Paul Laurent, père d’Henri Laurent, tous deux figures emblématiques du milieu. Les premières bêtes viennent de ces élevages, donnant rapidement naissance à une manade solide. En parallèle, Jacques Bon développe avec son épouse Lucille, architecte, une activité touristique au Mas de Peint, au Sambuc, une propriété bâtie en 1602 qu'il a fallu rénover. L'établissement transformé en hôtel-restaurant haut de gamme a ouvert ses portes en 1994 après cinq années de travaux.
L'homme à la moustache blanche décède le 14 mars 2010 à l'âge de 83 ans, son cadet n'en avait que 24. Fougueux, "peut-être inconscient aussi", concède ce dernier, le jeune homme reprend les rênes de la manade structurée selon le triptyque : taureaux, agriculture (notamment la culture du riz) et tourisme. La saison de course occupe chaque week-end, et plusieurs jours par semaine supplémentaires en été.
"Le jugement d’un taureau demande beaucoup d’humilité"
Comme beaucoup d'autres, la manade Bon a connu des hauts et des bas. Après des années de réussite, le début des années 2000 marque une phase plus compliquée. Certains choix de sélection n’ont pas donné les résultats espérés. Frédéric l’analyse avec lucidité : « Il faut une remise en question permanente. Le jugement d’un taureau demande beaucoup d’humilité. Il faut savoir reconnaître quand ce n’est pas bon. » La sélection est un long processus, parfois ingrat. Plusieurs paramètres entrent en compte : la qualité de la vache, de l'étalon, mais aussi leur alchimie.
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Le manadier élève environ 200 bêtes à cornes. Aujourd’hui, Novillero et Campino incarnent les figures de proue de la manade, deux taureaux de 8 ans au tempérament affirmé. Mais la relève est déjà en vue. Socrate et Pirate, 6 ans, montrent des qualités prometteuses. Chaque sortie en course est une épreuve. « Avec mon gardian, on n’est pas bien un ou deux jours avant », confie Frédéric. Le stress est là, même s’il ne se dit pas toujours. L’enjeu est simple : "que les taureaux soient à la hauteur, que le public prenne du plaisir". Mais tout peut arriver en piste pour les hommes comme pour les taureaux. La blessure de Camaï, il y a une quinzaine d’années dans les arènes du Grau-du-Roi, reste un souvenir douloureux. "Il s’était coincé dans le burladero, on avait mis une heure pour le sortir. Quand on a des taureaux qui se blessent, c’est difficile. On fait tellement de choses pour les choyer et les emmener jusqu’au bout", commente le manadier.
Son visage se fend à nouveau d'un large sourire lorsqu'il pense aux jours plus heureux, un particulièrement, toujours dans ces mêmes arènes du Grau-du-Roi. La course complète du 21 septembre 2024 "était exceptionnelle, portée par la qualité des taureaux et des raseteurs". "Ce jour-là, toutes les planètes étaient alignées. Le public nous a même fait saluer en piste, avec les raseteurs et mon gardian. C’était un moment d’euphorie", ajoute-t-il.
Un moment qui balaye les coups durs, les heures de labeur... Jamais l’Arlésien n’a regretté d’avoir emprunté le chemin tracé par son père. Peut-être que ses propres enfants, un jour, suivront le sien. Qui sait ? Un chariot taurin miniature a tout de même trouvé sa place dans la maison familiale au Sambuc. Il ne forcera pas le destin, en tout cas. Ce métier ne peut s’exercer sous la contrainte, ni être motivé par la seule recherche d’un profit. « Faire courir des taureaux ne couvre pas les coûts réels de l’élevage (nourriture, transport, salarié(s), assurance...). Lorsqu’un taureau participe au Trophée de l’Avenir, il est payé entre 300 et 450 €. Pour le Trophée des As, la rémunération peut aller de 600 à 4 000 €, mais à ce prix-là, ce sont des vedettes, rares dans le circuit. Et ces taureaux ne courent pas plus de quatre fois dans l’année. »
"Il y a de très belles choses. Mais aussi de vraies difficultés"
Quant à l’avenir de la course camarguaise, Frédéric Bon reste lucide. « C’est un spectacle unique. Il y a de très belles choses. Mais aussi de vraies difficultés, à commencer par une sur-réglementation. L’administratif, les contraintes d’assurance… Tout devient lourd. Chaque année, de nouvelles obligations s’ajoutent, difficilement supportables, que ce soit physiquement, mentalement ou financièrement », souffle-t-il. Malgré tout, le manadier reste dans le rang de ceux qui se battent pour défendre cette tradition. « Si la course camarguaise veut continuer à exister et à rayonner, il faut que chacun se sente concerné : manadiers, raseteurs, présidents de course etc. C’est ensemble qu'on fera les beaux jours de cette tradition », conclut Frédéric Bon.