Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 28.04.2020 - thierry-allard - 5 min  - vu 1497 fois

FAIT DU JOUR Avec le coronavirus, le secteur viticole trinque

(Photo Anthony Maurin).

Après la sécheresse l’année dernière, la taxe Trump et le Brexit ces derniers mois puis le gel tardif en mars dernier, le secteur viticole avait déjà de quoi faire la grimace en cette année 2020. C’était sans compter sur l’épidémie de coronavirus covid-19, dont les conséquences sont aussi très palpables, notamment dans la côte du Rhône gardoise.

On le dit souvent, le vin, c’est une affaire d’hommes et de femmes avant tout. Une affaire de famille aussi, souvent. C’est le cas chez les Rivier, à Chusclan. Mathieu, la trentaine, perpétue la tradition familiale et a impulsé il y a quelques années une nouvelle stratégie : faire de son patronyme une marque, et proposer des vins premium. Et en ce moment, avec le confinement, son activité connaît « un effondrement total », souffle-t-il.

Car les vins de la Maison Rivier se vendent principalement chez les restaurateurs, qui représentent un débouché très important à l’échelle de la filière. « Notre modèle économique est basé sur la vente aux restaurateurs et sur la vente au caveau », précise le jeune vigneron. Et comme les restaurants et le caveau sont fermés, il ne reste pas grand chose en ce moment. Dans l’entreprise familiale, seul le travail dans les vignes se poursuit, avec toutes les précautions sanitaires nécessaires, « pour ne pas prendre de risque », ajoute Mathieu Rivier.

Claude, Mathieu, Maély et Jean Rivier (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

À une quinzaine de kilomètres plus au sud, Rodolphe de Pins, du domaine du Château de Montfaucon, estime tourner « à entre 15 et 30 % de nos capacités en avril, et à entre 15 et 20 % de nos expéditions. » Son domaine fait principalement dans l’export, et « dans le réseau de la gastronomie et de la belle restauration », présente-t-il, autant d’établissements actuellement fermés, ou au ralenti.

Les caves coopératives s’en sortent, les particulières trinquent

Leur cas illustre un fait que Philippe Pellaton, président de la cave Maison Sinnae, ex-Laudun-Chusclan Vignerons, constate sur l’ensemble des côtes du Rhône, lui qui préside aussi le syndicat des vignerons des côtes du Rhône. « Les entreprises très présentes dans les cafés-restaurants et à l’export, comme dans les crus et les vins premium, souffrent davantage de cette crise », explique-t-il. Autre phénomène : les caves s’en sortent mieux que les indépendants : « il y a un effet d’inertie plus fort sur les caves, qui de plus ont accès aux grandes surfaces car elles ont les volumes, pose Philippe Pellaton. Il y a plus de difficultés dans les caves particulières, où l’arrêt de trésorerie est plus immédiat. »

Pour maintenir un tant soit peu d’activité, la Maison Rivier propose des livraisons à domicile, « sans contact, il n’y a aucun contact physique, avec le paiement à distance par carte bleue », précise le vigneron. L’entreprise livre une à deux fois par semaine, et un transporteur pour la France part une fois par semaine. « Ça nous permet de maintenir 10 % du chiffre d’affaires habituel et de maintenir le lien avec nos clients », pose Mathieu Rivier, qui affirme que « aujourd’hui, ce qui se vend, ce sont les BIB », comprendre les bag in box. Qu’il ne fait pas, positionnement premium oblige.

Sur les BIB, le président de la Cave des 4 Chemins, à Laudun, Jean-François Chabert, confirme : « la vente des BIB a explosé. » La Cave peut ainsi sauver les meubles, même si elle a eu quelques petits problèmes de conditionnement, ses prestataires ayant, du moins dans un premier temps, suspendu leur activité avant de la reprendre. Son homologue de Maison Sinnae Philippe Pellaton a carrément passé ses équipes « en 2x8 sur les bag in box, nous avons beaucoup de commandes. »

Pour les deux caves, qui vendent aussi en grandes surfaces, le fait que les supermarchés soient restés ouverts, et fréquentés, est un point positif. « La grande surface marche pas mal », note Jean-François Chabert. « Les grandes surfaces se maintiennent, globalement ces marchés fonctionnent à pratiquement 100 % », affirme Philippe Pellaton.

Des cuves de vinification de Maison Sinnae, à Laudun (Photo d'archives : Thierry Allard / Objectif Gard)

La trésorerie, le nerf de la guerre

Pas de quoi toutefois compenser le manque à gagner dû à la crise actuelle. Sur la vente directe, importante pour les caves et les indépendants, « l’activité a considérablement ralenti, même si nous avons maintenu un drive », souligne le président de la Cave des 4 chemins, qui estime l’activité globale de sa cave en ce moment à 40 % de la normale. Philippe Pellaton estime quant à lui l’activité actuelle de la vente au cerveau à 50 % du chiffre d’affaires habituel. Quant au vrac, il plonge de 30 % environ chez Maison Sinnae, et représente « un gros problème » pour les 4 chemins. Pas bon, tant le vrac est important pour la trésorerie des caves.

« La trésorerie, c’est la grosse inquiétude, admet Jean-François Chabert. Le PGE (prêt garanti par l’État, ndlr) c’est du 0,25 % sur un an, mais on ne sait pas après, il y a beaucoup d’incertitudes. » Chez les Rivier, on compte sur ce système de prêt garanti par l’État. Quand on lui demande s’il est inquiet pour la pérennité de l’entreprise, Mathieu Rivier répond que « non, à condition que nous obtenions le prêt garanti par l’État et qu’il y ait une reprise de l’activité en juillet. »

« Nous sommes bien inquiets, et nous allons avoir recours au prêt BPI (Banque publique d’investissement, ndlr), ce qui va nous aider si ça ne dure que deux ou trois mois, mais on ne sait pas comment ça va repartir », affirme de son côté Rodolphe de Pins, tout en ajoutant que l’activité dans les vignes continuant, les charges ne s’arrêtent pas de tomber.

Rodolphe de Pins dans sa vigne de 150 ans d'âge (Photo d'archives : Thierry Allard / Objectif Gard)

Du côté de Maison Sinnae, Philippe Pellaton se dit « assez serein dans le contexte donné, après il ne faut pas que ça dure quand même, il faut que les cafés et les restaurants rouvrent et qu’il y ait de l’activité estivale. » Nos quatre intervenants ont, ou ont eu, recours au chômage partiel dans le dernier mois.

Le gel tardif, « la cerise sur le gâteau »

Une chose est sûre, cette crise s’inscrit dans un contexte déjà délicat pour les importations, avec la « taxe Trump », une surtaxe de 25 % imposée par les États-Unis sur les vins notamment Français, et le Brexit, qui ont eu un impact. « Nous sommes un peu en difficulté sur les États-Unis et le Royaume-Uni », reconnaît Philippe Pellaton, tout en soulignant « une activité correcte » vers la Belgique et la Scandinavie, et un redémarrage vers l’Asie.

Rodolphe de Pins exporte 70 % de sa production. « En ce moment, c’est au cas par cas sur les exportations, mais d’une façon générale, pas grand chose se passe », explique-t-il. « L’Asie est encore au ralenti, j’espère qu’elle va repartir, et aux États-Unis, nous avons beaucoup expédié il y a quelques mois compte tenu des taxes, mais nos clients là-bas travaillent beaucoup avec la restauration, donc ils ne travaillent pas en ce moment », ajoute Rodolphe de Pins.

Philippe Pellaton, président de Maison Sinnae (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Du côté des 4 chemins, on souligne que « la Chine est un gros client, avec beaucoup de partenaires », et que la crise a eu un impact, logique, vers ce marché. Quant à la Maison Rivier, elle prévoyait de développer l’export cette année.

Dans ce contexte, le gel tardif de mars dernier a donc été « la cerise sur le gâteau », selon les termes de Jean-François Chabert. S’il est encore trop tôt pour se prononcer sur les pertes de récoltes effectives, Philippe Pellaton envisage une moyenne de « 25 à 30 % » sur les parcelles touchées, soit pratiquement toute la rive droite du Rhône.

Le vigneron parle d’un phénomène exceptionnel, « le plus important des 25 dernières années » et souffle qu’avec tout ça, « il est difficile d’être très optimiste. »

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectifgard.com

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