"Je suis Jean-Marie Maton. Le vrai !" Quand on demande au gérant de la société "Le Plaisir du camping-car" de se présenter, il précise toujours. Depuis juillet, de faux Jean-Marie Maton pullulent sur le site Internet Le Bon Coin. En plus d'usurper son identité et celle de sa société, des escrocs publient de fausses annonces de vente de camping-cars. Préjudice estimé pour les acheteurs tombés dans le panneau : près d'un million d'euros !

À première vue, les offres n'ont rien d'une arnaque. Les photos des véhicules et la description sont cohérentes, la société - en l'occurence "Le Plaisir du camping-car" - existe bien et a une fiche Kbis(*). Mais quand on regarde de plus près, on s'aperçoit que le numéro de téléphone et l'adresse mail ne correspondent pas aux références de la société implantée à Saze. Et chose hautement importante : Jean-Marie Maton ne vend aucun véhicule. Agréé chez Dometic, il s'occupe seulement de l'entretien, de la maintenance et de la réparation de pièces telles que la climatisation, les frigos, les fenêtres et autres accessoires que l'on peut trouver dans un camping-car ou dans une caravane.

C'est le 8 juillet 2021 qu'on lui remonte un premier signalement. Un client tombe sur une annonce du Bon Coin. Il explique avoir versé un acompte de 9 600€ pour acquérir le camping-car en vente. L'argent est parti, mais la maison roulante, elle, n'a jamais existé. Les photos ont été piquées sur d'autres sites de vente. Quelques jours après, Jean-Marie Maton dépose une plainte contre X à la gendarmerie de Rochefort-du-Gard, accompagné de son demi-frère, Michel-Henri Jaunâtre qui l'aide depuis.

En août, tous deux ont aussi souhaité porter plainte dans une lettre recommandée adressée au procureur de la République d'Avignon (le siège de la société étant domicilié dans le Vaucluse, ndlr) contre le site Le Bon Coin pour complicité d'escroquerie et volonté délibérée de nuire. Car malgré leurs nombreux échanges et coups de fil, les annonces frauduleuses reviennent sans cesse sur le site.

Un couple vient de Séville pour récupérer un camping-car fantôme

Encore aujourd'hui, entre une et trois fausses annonces sont publiées chaque jour. Jean-Marie Maton, son demi-frère et son associé passent entre quatre et cinq heures par jour à écumer le site de petites annonces traquant et signalant les faux. Souvent, il faut attendre plusieurs heures, voire plusieurs jours avant qu'ils ne soient supprimés... avant d'être remis en ligne. Telle une hydre numérique dont les têtes coupées ne cessent de repousser.

Le cercle vicieux n'arrête donc pas depuis trois mois. "On a recensé 45 victimes de ces arnaques. On a reçu 236 appels de personnes qui demandaient des renseignements sur ces camping-cars que l'on ne vend pas. Et c'est sans compter, les personnes qui ne trouvent pas notre véritable numéro et se sont faites avoir", déplore Jean-Marie Maton. Il y a quelques jours, des retraités espagnols ont pris l'avion de Séville à Marseille, se sont rendus jusqu'à Saze en voiture de location bien décidés à récupérer leur nouveau véhicule. Véhicule qui, bien sûr, n'était pas là. "Ils avaient versé 32 000 € d'acompte aux escrocs", tonne Jean-Marie Maton.

Au total, le préjudice s'élèverait à près d'un million d'euros pour les personnes tombées dans le panneau. Jean-Marie Maton invite ses clients à faire preuve d'une grande prudence et livre son désarroi dans les médias pour alerter les acheteurs. Mais certains se laissent encore happer par les prix très attractifs fixés par les usurpateurs, et ne flairent pas les signaux d'alarme derrière l'apparente bonne affaire.

Des menaces de mort et une réputation qui dégringole

"On ne peut pas accuser les personnes d'être crédules. La parade des escrocs est bien rodée. Ils ont réussi à se procurer la photocopie du Kbis de la société. Le Bon Coin, site très connu, inspire la confiance. Une fois sur deux, il est écrit "paiement sécurisé". Et surtout, ils n'ont pas vraiment de moyens de vérifier la véracité de la vente", atteste Michel-Henri Jaunâtre. Après avoir un peu enquêté de son côté, il s'est rendu compte que les aigrefins incitaient les clients à verser un acompte de 50% de suite, sous peine de céder le camping-car à d'autres personnes par la juteuse aubaine.

Sur le coin du bureau de la direction, un dossier épais d'une bonne dizaine de centimètres retrace l'affaire avec des procès-verbaux, des dépôts de plainte et la liste des numéros de téléphone portable utilisés par les malfaiteurs. Malgré ça, il est très difficile de remonter jusqu'à eux. Aucun nom, aucune localisation et les comptes recueillant l'argent volé sont ouverts sur des banques en ligne étrangères. Banques qui n'exigent pas forcément toutes les vérifications d'une banque classique.

Pour l'instant, le gérant gardois n'a pas eu de retour sur l'enquête. Il sait qu'il n'est malheureusement pas le seul dans ce pétrin. Par contre, les conséquences sont bien là. En pleine nuit cet été, il a entendu les chiens aboyer méchamment. En sortant, il s'aperçoit qu'on a collé une banderole sur son portail. Dessus, pulvérisé à l'aérosol rouge, est écrit une menace de mort : "Voleur, escroc, j'aurais ta peau", avec le dessin d'un bonhomme pendu.

Sur Internet, les commentaires ne sont pas glorieux et la réputation durement bâtie depuis 2011 est en train de chavirer. Sur un site Internet, Jean-Marie Maton est référencé comme "le pire employeur" des derniers jours, matraqués d'avis négatifs. Certains penseraient même que c'est directement lui qui est derrière cette affaire... Et cela se ressent aussi au niveau de la fréquentation : "En une semaine, on a dû voir passer trois clients, avant, c'était au moins cinq par jour", estime son demi-frère.

Le gérant de "Le plaisir du camping-car" se donne jusqu'à la fin de l'année pour redresser la barre. Sinon, il fermera sa société déjà mise à mal par les blocages des Gilets jaunes et la crise sanitaire. Lui-même a failli mourir cette année et a passé cinq semaines dans le coma, terrassé par le covid-19. Il s'en est sorti mais très affaibli. Au point de ne plus pouvoir tenir une fourchette sans ciller. Alors imaginez pour porter un frigo dans un camping-car...

Mais grâce à son entourage et à un grand travail de rééducation, Jean-Marie Maton va mieux mais n'arrive "pas à se défendre comme il aurait pu se défendre avant la maladie". À chaque coup de fil, à chaque client énervé qu'il reçoit à cause de cette arnaque, "c'est un nouveau coup de massue sur la tête" : "Je suis dégoûté et je vois l'avenir en noir."

Marie Meunier

(*) Le Kbis est un document officiel attestant l'existence juridique d'une entreprise commerciale ou d'une société en France.

Contactés par Objectif Gard, les responsables de la communication et des relations presse chez Le Bon Coin n'ont pas donné suite à nos sollicitations pour l'instant.