Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 20.01.2022 - stephanie-marin - 4 min  - vu 652 fois

NÎMES Inés Bacàn et Àlvaro Romero : deux générations, deux icônes, deux visions du flamenco

Àlvaro Romero et Inès Bacàn, deux artistes différents à l'affiche du Festival Flamenco de Nîmes. (Photo : Yannick Pons/Objectif Gard) - Yannick Pons

Tous deux à l'affiche de la 32e édition du Festival Flamenco de Nîmes (*), Inès Bacàn, 70 ans, et Àlvaro Romero, 39 ans, sont deux figures emblématiques de cet art qui trouve ses origines en Andalousie. La grande dame du Cante défend le flamenco gitan, le seul et l'unique. Le Sévillan joue quant à lui les "dynamiteurs" du genre et revendique dans son chant, dans sa musique, la liberté quelle qu'elle soit, y compris sexuelle. Interviews.

Objectif Gard : Inés, votre première participation au Festival Flamenco de Nîmes remonte à 2012. Quel souvenir en gardez-vous ?

Inés Bacàn : De très jolis souvenirs. Avant c'était différent, on faisait beaucoup la fête. Mais avec ce covid, ce n'est plus la même chose.

Àlvaro, c'est votre première fois au Festival Flamenco de Nîmes. Qu'est-ce que ça vous fait d'être là ?

Àlvaro Romero : Depuis que je fais du flamenco, j'entends parler du Festival de Nîmes. J'ai toujours été en alerte sur la programmation de chaque édition. Comme je suis un aficionado, je suis très heureux et je me sens très chanceux d'être ici et de partager l'affiche avec de très grands noms. Pour moi, il y a la Biennale de Flamenco de Séville et juste après le Festival Flamenco de Nîmes.

Inès, Origenes revient comme son nom l’indique, sur vos origines, vous qui êtes issue d’une grande dynastie flamenca. Vous nous emmenez chez votre grand-mère Fernanda. Quel est le premier souvenir qui vous revient ?

I.B. : J'ai beaucoup de souvenirs de ma grand-mère. C'est elle qui m'a élevée. Le Cante fait vraiment partie de notre famille. J'ai ma manière personnelle de chanter, mais de nombreuses paroles chantées me viennent de ma grand-mère. Nous avons une grande famille. Il y a les Pavón, les Pinini, malheureusement beaucoup ont disparu maintenant. Mon grand-père avait neuf frères et soeurs et tous chantaient et dansaient, chacun différemment. Chacun faisait selon ce qu'il ressentait à l'intérieur de lui. C'est aussi comme ça que je fais. Je n'ai pas un flamenco particulier, je fais comme je le ressens, je ne sais pas faire autrement.

Inès, est-ce de la nostalgie qui ressort des paroles que vous chantez ?

I.B. : Oui. C'est de la peine, parfois de la joie, ce sont des souvenirs. Il y a de tout... Et c'est toujours lié à la famille.

Àlvaro, vous avez pris le parti de mêler le cante à la musique électronique. Comment ce projet est-il né ?

A.R. : C'est très simple à comprendre. J'ai beaucoup de choses différentes dans ma vie. Il y en a trois qui me fascinent : le flamenco, la musique rave et draguer des mecs ! (Rires) Quand je prends une partition, c'est comme une toile blanche, j'utilise tous ces éléments, je les mets en relation. J'avais une formation de chanteur traditionnel de flamenco et je suis arrivé à un moment de ma vie où j'ai commencé à me sentir mal à l'aise. Je pense que j'avais besoin de connecter mes différentes expériences de vie avec le cante flamenco. C'était important pour moi, pour pouvoir poursuivre ma carrière. Après, toutes les mélodies que j'utilise sont vraiment traditionnelles, je n'essaie pas de faire quelque chose de moderne.

Pourquoi vous sentiez-vous mal à l'aise ? Vous ne vous sentiez plus à votre place ? 

A.R. : Les paroles des chants flamencos sont magnifiques, très poétiques, très profondes. Mais j'ai ressenti le besoin qu'elles soient connectées avec ma réalité, mes expériences de vie et y compris la sexualité. Il faut être honnête, je ne suis pas né au bord d'un ruisseau. Il y a des textes que j'écris moi-même et je vais puiser aussi dans des écrits de poètes homosexuels auxquels je peux m'identifier. Par exemple, le Français Jean Genet.

Est-ce une forme de revendication ?

A.R. : Oui et ce qui m'intéresse c'est de questionner à travers la musique flamenca et la musique électronique, les différents modèles homosexuels qui existent aujourd'hui et de voir comment tous les changements politiques affectent le collectif LGBT.

Àlvaro Romero présentera ce vendredi soir en duo avec le DJ Toni Martín, le spectacle "Manifiesto" au théâtre L'Odéon à Nîmes. (Photo Yannick Pons/Objectif Gard) • Yannick Pons

Inès, vous êtes la figure emblématique du flamenco traditionnel. Que pensez-vous de l’évolution du flamenco, des formes modernes qui émergent de la danse et de la musique ?

I.B. : Effectivement, il y a des jeunes qui chantent des choses "aflamencadas", qui sont dans le style du flamenco, mais ce n'est pas du flamenco. Nous les Gitans, nous étions en Andalousie avant même les Castillans. Il y a le cante gitano, le chant gitan. Il y a la forme gitane et la forme flamenca qui est la manière de chanter des Castillans. L'un par rapport à l'autre n'est ni mieux, ni moins bien. Mais le flamenco contemporain n'existe pas. Cette expression a été sortie du chapeau. Je suis désolée de le dire, mais je suis âgée maintenant, je me dois de dire la vérité. Il faut parler ! Les Gitans se sont beaucoup tus et si personne ne parle, personne ne nous entendra. Les contemporains pensent que le flamenco n'évolue pas mais ils se trompent. Quelqu'un qui se met à poil sur scène pour chanter, ce n'est pas du flamenco, ce n'est pas du cante gitano. Non pas parce qu'il se met nu, mais parce qu'il ne le fait pas comme il faut le faire, jouant avec 50 pantomimes qui n'ont rien à voir avec le flamenco.

Àlvaro, que pensez-vous des propos tenus par Inés concernant le flamenco contemporain ?

A.R. : Pour moi, il n'y a pas de différence entre le flamenco gitan, le flamenco contemporain, etc. Pour moi, le flamenco a toujours été en constante évolution. Après, je pense qu'il y a des personnes comme Inés - que j'apprécie énormément et qui provoque chez moi beaucoup d'émotions - qui sont restées attachées à un concept défini par Mairena, un grand flamenco ancien. Il a établi une forme de dictature de la manière de chanter, il a voulu l'imposer dans les années 50-60, alors que le flamenco était déjà en changement et cela depuis son apparition.

Propos recueillis par Stéphanie Marin (traduction de Céline Garcia Navio)

* Inés Bàcan - Orígenes - ce jeudi 20 janvier à 21h au théâtre de Nîmes, salle Bernadette-Lafont. Àlvaro Romero et Toni Martín - Manifiesto - le vendredi 21 janvier à la salle L'odéon à Nîmes. En première partie dès 21h : Rocío Màrquez. Informations et réservations : www.theatredenimes.com.

Stéphanie Marin

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