Publié il y a 1 mois - Mise à jour le 03.04.2024 - Louis Valat - 5 min  - vu 937 fois

FAIT DU JOUR Boudi, premier lauréat du prix Alès Audace, recycle les déchets plastiques

Jean Sauttreau, fondateur de l'entreprise Boudi.

- Photo Louis Valat

Récompensée en tant que premier lauréat du prix Alès Audace 2024 dans la catégorie "Climat", l'entreprise Boudi s'engage fermement à rester fidèle à la vision circulaire et inclusive souhaitée par son fondateur, Jean Sauttreau.

"Boudi", cette expression qui puise ses racines dans le mot occitan "boudiou" signifiant "bon Dieu", rappelle immédiatement le sud de la France. C'est également le terme choisi pour la nouvelle entreprise de Jean Sauttreau. Après près de trente-cinq ans d'expérience dans l'industrie du bâtiment et de la construction, dont plus de vingt ans à la tête d'une entreprise spécialisée dans le compartimentage coupe-feu, rachetée en 2017 par Vinci, ce père de famille âgé de 56 ans a décidé de tout lâcher à la fin de l'année 2022. En raison d'une découverte qui le marquera et changera la conception qu'il avait de son métier, l'incitant à fonder une nouvelle entreprise... mais à son image cette fois-ci.

Le recyclage et l'environnement, comme une révélation

Dans son précédent emploi, Jean Sauttreau a été profondément marqué par une découverte. Collaborant avec un partenaire spécialisé dans la fabrication de coffrages en plastique pour le secteur du bâtiment, il a été stupéfait d'apprendre, lors d'un échange, que cette entreprise produisait annuellement 600 tonnes de plastique. Et selon lui, l'entreprise se vantait de la recyclabilité de ses produits, sauf qu'après vérification, le plastique n'était en réalité que rarement voire jamais recyclé. En réalité, il était destiné à une utilisation unique et finissait systématiquement enfoui, rendu inutilisable par les dommages causés par le béton, entre autres. Un véritable aberration pour Jean : "Cela a été un choc pour moi, car cela m'a fait réaliser que l'on nous casse les pieds, et à juste titre, sur des initiatives à propos de l'usage des pailles et des touillettes de café, alors que cette entreprise utilisait à elle seule 600 tonnes de plastique par an ! On marche sur la tête. Cette prise de conscience m'a poussé à croire qu'il existe forcément des alternatives, qu'il devait y avoir des solutions."

Pour ce faire, ce Cévenol d'adoption, comme il aime à le dire, a rejoint l'incubateur de l'IMT Mines d'Alès, qu'il connaissait parfaitement après y avoir passé de nombreuses années avec son entreprise précédente, au sein du laboratoire C2MA. Le Centre des matériaux des mines d’Alès (C2MA) est l’un des trois centres de recherche et d’enseignement de l'IMT, spécialisé dans le domaine des matériaux et de la construction à faible impact environnemental. L'objectif était de fonder une entreprise à mission dans le domaine de l'économie sociale et solidaire (ESS) dès le 1er janvier 2023. Sa raison d'être était claire - et l'est toujours - : offrir des opportunités de travail enrichissantes à des individus en situation de handicap, tout en proposant des solutions novatrices pour le secteur de la construction, en utilisant des matériaux recyclés, réutilisables et recyclables dans une logique d'économie circulaire.

La première étape consiste à récupérer principalement les mobiliers de jardin en plastique. • Photo DR

Au cours de cette première année, l'accent a été mis sur la recherche et le développement (R&D). Boudi a pris le temps d'identifier les sources de déchets plastiques dans la région et de les qualifier. Cette phase initiale a exigé une collaboration étroite avec les fournisseurs locaux de déchets plastiques afin de comprendre en profondeur leurs caractéristiques et de mener ainsi des essais pour déterminer les méthodes de retraitement les plus efficaces. Quatre mois ont été nécessaires pour dresser un état des lieux exhaustif des différentes sources de déchets, suivis de quatre mois supplémentaires dédiés au perfectionnement des processus.

Ce n'est qu'en juillet 2023 que l'entreprise Boudi a pu dévoiler fièrement son tout premier prototype fonctionnel : un coffrage destiné au lycée de La Salle à Alès. Dès lors, l'équipe s'est attelée à l'amélioration de ses processus industriels. La récente acquisition d'une presse industrielle de grande taille constitue en ce sens une belle évolution et permet de "produire des panneaux de plastique de dimensions importantes et de différentes épaisseurs". L'aventure industrielle et de production de Boudi a alors commencé il y a peu.

La deuxième étape implique la transformation du plastique en granules colorés après avoir été déchiqueté, broyé, lavé et homogénéisé. • Photo Louis Valat

L'entreprise Boudi fonctionne en traitant les déchets de polypropylène, un plastique largement présent dans la région. Ces déchets proviennent de divers articles tels que mobilier de jardin, gaines électriques, équipements d'arrosage et tuyaux de construction. Par exemple, une chaise longue de jardin est transformée en granules colorés après avoir été déchiquetée, broyée, lavée et homogénéisée. Ces granules sont ensuite utilisés pour fabriquer des panneaux présentant une solidité remarquable, adaptés à la construction de coffrages, de panneaux de signalisation et d'autres produits.

Partant du principe de "l'écoconception dès la conception initiale", les produits de Boudi sont entièrement fabriqués à partir de matériaux recyclés. Leur design est pensé pour favoriser la réutilisation plutôt que l'usage unique, et l'entreprise veille à ce qu'ils puissent être récupérés et réutilisés à la fin de leur cycle de vie. Une approche qui s'inscrit dans une économie circulaire. Chaque kilogramme de plastique recyclé permet d'économiser trois kilogrammes de CO2, en évitant l'extraction, la transformation de matières premières, l'enfouissement, la pollution et la dégradation des sols et de l'eau.

Le produit final. Ici un coffrage de bâtiment. • Photo DR

"Plutôt que de céder à l'anxiété écologique, nous encourageons l'adoption de produits polyvalents, fabriqués à partir de matériaux recyclés et recyclables, afin de promouvoir une gestion plus responsable des ressources et de réduire notre impact sur l'environnement."

Jean Sauttreau, président et fondateur de Boudi

 

L'inclusion sociale, comme une évidence

Boudi accorde une importance capitale à son engagement social. C'était également l'un des leitmotivs de Jean Sauttreau de créer une entreprise "qui fait sens" sur ce plan. Ces employés en situation de handicap, qu'il qualifie plutôt d'"autrement capables", représentent cinq membres sur cinq au sein de son entreprise. Peu importe qu'ils soient atteints d'autisme, de troubles cognitifs, moteurs, psychologiques ou physiques, le dirigeant leur offre une chance égale. Cette politique inclusive contribue largement au succès de l'entreprise, qui croule sous les demandes d'emploi. "Il y a environ 20 % de la population (1,3 milliard de personnes – soit 16 % de la population mondiale, NDLR) en situation de handicap, nous en connaissons forcément autour de nous, sinon c'est que notre entourage a de la chance, estime Jean Sauttreau. À un moment donné de notre vie, nous allons toutes et tous être concernés de manière temporaire ou évolutive par le handicap. Malheureusement, dans le travail, ce sont souvent des postes à faible valeur ajoutée qui leur sont proposés : des industries manufacturières, du ménage, de l'entretien, des petits travaux, mais rarement des postes très qualifiés."

Jean Sauttreau, fondateur de l'entreprise Boudi. • Photo Louis Valat

Ayant frôlé le handicap à vie en raison d'une double fracture à la colonne vertébrale et de problèmes à son épaule, Jean Sauttreau a néanmoins toujours su surmonter ces épreuves. Aujourd'hui, il prend pleinement conscience de la chance qu'il a d'avoir conservé toutes ses facultés physiques. Ce qui n'est malheureusement pas la chance de tout le monde : "Autour de moi, j'ai des personnes qui ont beaucoup moins de chances. Elles vivent leur handicap avec toutes les conséquences en termes de perte d'autonomie. Elles ont besoin d'une assistance permanente et, plus que quiconque, elles ressentent le besoin d'être reconnues socialement. Dépendantes au quotidien des autres, elles ont un besoin vital d'exister socialement et de démontrer quotidiennement qu'elles ne sont pas inutiles, qu'elles sont capables d'accomplir des choses. Pour ces personnes, travailler revêt une importance vitale."

Lui restant une dizaine d'années à travailler, le fondateur de Boudi aurait pu s'asseoir sur la reprise du groupe Vinci de son ancienne entreprise, sur sa rémunération plus que confortable, sur sa bonne condition sociale, mais il a finalement fait le choix de donner du sens à ces dernières années de sa carrière professionnelle. Du sens sur le plan environnemental, social, sur le plan de la proximité territoriale mais aussi du sens, simplement à sa vie personnelle. Avec Boudi, ce quinquagénaire a pleinement réussi son objectif. Remportant le prix Alès Audace Climat 2024, d'une valeur de 25 000 euros, une succursale de l'entreprise adaptée devrait éclore à l'île de la Réunion. Un élève de l’IMT Mines Alès, originaire de l'île volcanique et conquis par le projet, souhaite importer cette jolie initiative chez lui. Boudiou, quelle belle initiative !

Louis Valat

Alès-Cévennes

Voir Plus

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio