Publié il y a 1 an - Mise à jour le 29.04.2023 - Anthony Maurin - 6 min  - vu 927 fois

FAIT DU SOIR Procès théâtralisé et intime conviction affirmée

Standing ovation (Photo Anthony Maurin).

Avait lieu à l'Atria le procès des acteurs de la corrida. Organisé par la Coordination des Clubs Taurins de Nîmes et du Gard, ce procès a réuni 400 personnes.

À l'Atria (Photo Anthony Maurin).

L’artiste peintre Nathalie Bousquet est le premier témoin à prendre la parole. Elle raconte son amour de la tauromachie devant la cour d’Assise. Pourquoi ? Retour en arrière.

La feria de Nîmes, organisée par le nouveau directeur des arènes Pierre Henry Callet, a débuté cette année par une corrida concours. Le premier toro appartient à la ganaderia française Cuillé et arbore une devise Bleue Jaune et Rouge. Face à lui, le matador français Julien Lescarret.

À l'issue d'un tercio de piques historique et d'une grande faena, le toro tombe, foudroyé par l'estocade. Surgit alors la police qui, en guise de tour de piste triomphal, interpelle le maestro surpris, sous une bronca phénoménale.

La salle (Photo Anthony Maurin).

En effet, une plainte avec constitution de partie civile a été déposée par François de Saint-Hubert, président du RAT (Révolution Animaliste pour le Toro ), les forces de l'ordre interviennent et les différents protagonistes sont placés en garde à vue, puis sous mandat de dépôt. À la suite d'une instruction rapide, ils se retrouvent aujourd'hui devant la cour d'Assise du Gard. Deuxième jour du procès.

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Retour en scène. Ce faux procès met en scène un vrai mais retiré matador de toros en la personne de Julien Lescarret. À ses côtés, un vrai éleveur de toros, Benjamin Cuillé, est lui aussi dans la nasse. Avec eux, le troisième prévenu n’est autre que le directeur des arènes Pierre Henry Callet, réellement directeur d’arènes. C’est Emmanuel Durand, autre avocat bien réel qui prendra leur défense et c’est d’ailleurs à lui que l’on doit l’écriture de ce procès fictif.

La partir civile est représentée par l’acteur Philippe Béranger sous le nom de monsieur de Saint Huber et l’avocat général n’est autre que Patrice Bornand. La présidente, Stéphanie Gaziello est assistée par Tommy Weber et Ludovic Para.

Bernjamin Cuillé à la barre (Photo Anthony Maurin).

Le deuxième témoin entre en piste, il porte les propos d’un journaliste espagnol. A-t-on besoin d’être compris pour être respecté ? Est-il décent de contempler la mort après le combat ?

Au tour des experts d’entrer en scène. À la barre est appelé un scientifique, vétérinaire qui évoque la souffrance chez les bovins. « Il faut une douleur pour que le toro exprime son caractère. La douleur ne signifie pas forcément la souffrance. De plus, les bovins n’expriment que peu la douleur, il n’y a qu’à voir quand je pratique une césarienne sur une vache quasi sans anesthésie… Le cortex cérébral d’un bovin n’est pas le même que celui d’un humain et parmi les races bovines qui fuient souvent la douleur celle des toros bravos retourne au cheval du picador. »

Nouvel expert, un pédopsychiatre. Il parle de l’impact de la tauromachie sur les mineurs qui vont aux arènes et se réfère à un rapport de l’ONU qui l’évoque sans pour autant noter grand-chose de sérieux. « Le traumatisme psychologique ne survient que rarement quand l’enfant est initié à ce qu’il voit. » L’avocat général pose la question, « Et dans les arènes ? L’enfant voit la mort en direct… » Et l’expert de répondre, « Le fait d’assister à la mort fait partie de la vie. Dans les arènes on ne ridiculise pas le toro, on l’applaudit quand il meurt. Il n'y a pas de sentiment de culpabilité, on parle de sa bravoure, on ne se nourrit pas d’émotions pénibles, il n'y a aucun parcours victimaire."

La salle d'audience (Photo Anthony Maurin).

La partie civile prend la suite. On parle alors de tradition. De la torture, non, de la cruauté oui. La salle commence gentiment à huer. « Le toro est un être sensible, arrêtez de tuer ces milliers de toros torturés et sortis de leurs pâtures. Le droit a réussi à masquer tout cela mais ces animaux sont soumis au régime des biens corporels maintenant ! »

L’écologie vient à son tour s’immiscer au cœur du débat qui tourne peu à peu et dont la sémantique évolue pour ne parler plus que d’animaux non humains et d’impossibilité de manger d la viande quand on exploite ces animaux. Voici quelques propos qui font sourire l’assemblée. La présidente menace de vider la salle, autre rigolade générale.

Piques, banderilles, mort préméditée et donc assassinat à l’épée puis au descabello et à la puntilla, tels sont les mots qui déclenchent la furie des accusés.

La pause (Photo Anthony Maurin).

L’avocat général plaide pour que la justice soit rendue pour les animaux, au même titre que pour les Hommes. « L’humanisme repose sur des préjugés spécistes. » Plaisirs pervers pour barbares sadiques ? Morale stoïcienne, culte fasciste, voyeurisme collectif… Il relève même des statistiques qui révèlent qu’un toreros meurt dans l’arène quand ce sont plus de 34 000 toros qui y sont combattus et tués. « Procéder selon des rites n’annule en rien la souffrance animale ! »

L’économie vient sur la table, on parle même du financement de la sécurité assurée par l’État lors des ferias. Au tour de la défense de parler, Julien Lescarret se lève, prend son capote de toreo, le pose droit comme un i à ses pieds, il prend la parole. « Au lieu d’être haï, je devrais être un exemple. Ce métier est une école de la vie, une passion, une éducation, il invoque des compétences, c’est une exception culturelle, une rencontre, une poésie, la lutte de l’éphémère artistique. Il permet d’anticiper la mort en tendant la main à la vie. Pensez de nous ce que vous voulez mais foutez-nous la paix ! »

Benjamin Cuillé, le ganadero incriminé, vient à son tour à la barre. « Je voulais parler de l’amour du toro mais comme tout ce qui s’est dit depuis tout à l’heure est faux… Le toro nous fascine, il n’est pas un bovin comme un autre, il est sauvage, caractériel. Il était moins docile que d’autres bovins alors les Hommes du passé l’ont combattu. Mon métier est de faire le plus bel animal possible, qu’il se sente bien, je respecte sa nature profonde, sa nature de combattant en lui offrant une mort glorieuse. On ne veut surtout pas dénaturer le toro qui vit comme un roi. Cela n’existe nulle part ailleurs au monde, c’est l’élevage le plus extensif d’Europe ! » Applaudissements à tout rompre dans la salle.

« Je suis fier d’aimer cette corrida ! » lâche l’empresa Pierre Henry Callet qui va expliquer qu’une corrida à organiser, c’est du travail tout au long de l’année. « La corrida et son organisation résulte d’un long travail. On essaie de trouver une union, une fusion du sable des arènes au ciel des gradins. Les démarches administratives sont lourdes, tous les acteurs d’une corrida son déclarés et paient des impôts, ils cotisent ! Mon métier, c’est de créer de l’émotion. »

Les jurés délibèrent (Photo Anthony Maurin).

Au tour d’Emmanuel Durand, l’avocat de la défense, de passer à la barre. Pour lui, ce n’est pas la mort qui heurte mais la mort publique. « Je vais même vous le dire une fois, une seule fois… J’aime L214 ! Par l’association mais l’article de loi ! Suspendons l’audience et allons ensemble, monsieur de Saint Hubert, mettre un licol autour d’un gentil toro en train de paître chez monsieur Cuillé ! Durand le combat, le toro n’est pas maltraité, il ne subit pas de graves sévices. La pêche est légale, la chasse est légale alors la tauromachie est légale. Pêcheurs et chasseurs ne sont pas condamnés alors pourquoi ces messieurs le seraient ? toréer, c’est créer de la beauté avec la peur de mourir. Les trois accusés doivent être acquittés car la corrida est une culture méridionale ! »

Suspension de l’audience d’une dizaine de minutes pour que les jurés puissent délibérer et passer ainsi à la seconde partie du spectacle. On se retrouve dans la salle de délibéré, la présidente au centre, fait la lecture des chefs d’accusation devant des jurés qui sont de chaque côté.

Standing ovation (Photo Anthony Maurin).

C’est parti pour le débat. Le jeu est plus approximatif mais la salle est emballée et rigole bien volontiers. On se croirait presque à la kermesse de l’école du quartier alliant mauvaise foi et bons mots. Les vannes sont ouvertes, les rires sont francs et honnêtes. Cette discussion de comptoir rappelle même celle de certaines tertulias de feria ! Les « pour », les « contre », tout le monde trouve sa place mais au final on sait comment la scène va se dénouer.

Un habile jeu de chaises musicales vient faire bouger la scène, les amateurs se régalent et les passionnés savourent. Petit bonus pour la vitalité d’une Arlette iintenable. Après quatre tours de vote, voici les résultats. Quatre votes pour la culpabilité des accusés et huit pour leur acquittement !

La salle (Photo Anthony Maurin).

Anthony Maurin

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