Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 17.11.2020 - corentin-corger - 4 min  - vu 12087 fois

FAIT DU JOUR Ces restaurateurs qui abandonnent la vente à emporter

Yohann Campanale, gérant du restaurant et de l'épicerie fine 'Entre 2 Tapas" à Nîmes (Photo Corentin Corger)

Seule solution pour continuer à exister, la plupart des restaurateurs se sont lancés dans la vente à emporter. Lors de ce deuxième confinement, certains ont décidé d'abandonner ce service que ce soit par manque de rentabilité, la difficulté à s'adapter à cette nouvelle activité ou encore les prix élevés proposés par les prestataires de livraison. À Nîmes, c'est le cas de Yohann de l'établissement "Entre 2 Tapas", Mathieu du "Poco Mas" et Mélanie du restaurant "Le Dé-K-Lé" qui expliquent leur choix. 

C’est forcés par les mesures prises par l’État pour endiguer la propagation de la covid-19 que les restaurants ont dû renoncer à accueillir de public. Mais comment continuer à réaliser du chiffre d’affaires quand sa mission principale est d’asseoir des gens à une table et de les faire manger ? La seule - maigre - consolation s’appelle la vente à emporter. Adoptée par tous lors du premier confinement pour survivre, cette activité commence à s’essouffler. À tel point que certains ont fait le choix de stopper ce service, préférant rester fermés.

C’est le cas depuis vendredi dernier pour le restaurant "Le Dé-K-Lé" situé rue de la Madeleine à Nîmes qui affiche actuellement une baisse de chiffre d’affaires de 85% et un bilan déficitaire de 45 000€ en 2020 justifié par les deux confinements imposés. "Cela nous rapporte environ 200 € le soir contre 2 500€ quand le restaurant est ouvert. On perd de l’argent, ce n’est pas rentable. Ça éponge à peine les charges fixes", constate froidement Mélanie Pieters, responsable de la salle, qui voit le panier moyen par personne être divisé par deux dans cette configuration.

Un argument avant tout financier pour un établissement qui dispose de trois salles et donc trois loyers à régler par mois, ce qui représente 6 000€. Après deux semaines à servir tous les jours, midi et soir, le restaurant a décidé d’arrêter et de mettre ses 12 salariés au chômage partiel. "Ça fait un pincement au cœur de ne plus servir et de voir du monde", regrette Mélanie. Elle n’arrête pas pour autant de travailler puisque chaque jour "Le Dé-K-Lé" livre une soixantaine de plats au magasin "U Express Nîmes la Cigale" qui sont vendus sur place 12€ l’unité.

Mélanie Pieters, responsable de salle au restaurant "Le Dé-K-Lé" (Photo DR)

Si la vente à emporter avait pourtant bien fonctionné au début du premier confinement, Mathieu Alcalde, gérant du "Poco Mas" n’a pas hésité cette fois-ci. "Je ne l’ai même pas tentée car nous sommes les seuls à ne pas travailler. Les gens bossent et le soir ils se font leur popote. Je ne voulais pas me fatiguer moralement pour rien et je l’ai bien senti car j’ai quelques potes restaurateurs pour qui ça ne marche pas du tout", confie le chef d’entreprise qui en profite plutôt pour donner un coup de main à son frère Nicolas, qui vient de racheter "Le Bistronome" en ville active où "ça bricole un peu" en vente à emporter.

"Nous sommes trop mis en concurrence par les concepts qui font ça toute l’année : sushis, burgers, pizzas… Pour de la cuisine traditionnelle, les gens vont aux halles le week-end acheter les produits et cuisinent eux-mêmes", poursuit-il alors que le Nîmois vient d’investir dans une troisième affaire rue Saint-Antoine en reprenant "À la Tchatche". "J’ai un peu de trésorerie d’avance donc je profite d’avoir du temps pour faire les travaux et être prêt pour la reprise", conclut Mathieu. Des restaurateurs qui après avoir touché 1 500 € d’aides du fonds de solidarité en début d’année espèrent obtenir une subvention pouvant aller jusqu’à 10 000 € pour pallier la perte de leur chiffre d’affaires. Les recettes de la vente à emporter ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’aide.

"Sur 10 000€ de bénéfices, j’en ai versé plus de 3 500€ à Uber Eats"

Un soutien encore flou pour certains, en attendant Mélanie a décidé de lancer une cagnotte en ligne et a déjà 1 670 € collectés. "On ne sait pas encore ce qu’on va avoir", s’interroge Yohann Campanale, patron de "Entre 2 Tapas". Ce dernier a aussi fait le choix de garder le rideau baissé lors de cette deuxième fermeture administrative : "Maintenant, il y a tellement de choix que je ne vois pas l’intérêt d’ouvrir chaque soir avec le risque de devoir jeter des produits frais invendus. Tout ça pour faire des chiffres dérisoires". Ainsi, il consacre son énergie à son épicerie fine du même nom installée près de la Maison carrée où sa clientèle peut retrouver certains plats cuisinés.

Outre l’aspect financier, vendre à emporter entraîne une toute nouvelle organisation qui ne fait pas partie de leur activité au départ. "Ce n’est pas notre métier", insistent Yohann et Mélanie mettant en avant le fait que leur cuisine pose beaucoup de contraintes pour l’adapter à ce service. "Ça va à l’encontre de ce que j’ai appris. Nos plats ne vont pas dans une barquette, on perd la motivation", précise la jeune femme. Et le dernier argument et pas des moindres qui pousse à ne plus vendre sur le seuil de son commerce se nomme Uber Eats et Deliveroo.

À gauche, Mathieu Alcalde avec son frère Nicolas (Photo DR)

"Sur le premier confinement sur 10 000€ de bénéfices, j’en ai versé plus de 3 500€ à Uber Eats. Ce sont des voleurs", fustige Mélanie contrainte de verser des commissions de 30% à 40% au prestataire de livraison. D’où une partie des livraisons que le "Dé-K-Lé" faisait par ses propres moyens. "On prenait la trottinette, mais les jours de mauvais temps c’était compliqué", ajoute-t-elle. Mathieu et Yohann, qui est "contre ces services", se chargeaient eux-mêmes d’apporter les commandes chez leurs clients.

Cela nécessite du personnel supplémentaire, de quoi les détourner complètement de ce système. Des restaurateurs qui ont surtout envie d’enlever les tables des chaises et d’ouvrir à nouveau leurs portes, "pas avant début janvier", s’inquiètent Mélanie et Nicolas. Ils espèrent surtout que l’État n’oubliera pas de payer l’addition.

Corentin Corger

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