Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 15.02.2022 - anthony-maurin - 5 min  - vu 1079 fois

FAIT DU JOUR Avec CPPP, c'est un autre monde qui s'ouvre au spectacle vivant

Le créateur des décors des deux spectacles des arènes, Yann Guerrero, est aussi le coscénariste de ces deux shows (Photo Anthony Maurin).

Yann Guerrero (Photo Archives Anthony Maurin).

Vous risquez de le voir crapahuter en ville avec son gros sac à dos sur le râble. Yann Guerrero est le co-scénariste d'Hadrien, la guerre des Pictes, mais aussi du prochain spectacle estival Nîmes, Cité des Dieux. Patron de CPPP, compagnie qui réalise aussi les décors de ces spectacles, Yann Guerrero est un sacré personnage.

"Société ? Non, c'est une compagnie. Chez CPPP nous faisons dans le spectacle vivant. Je suis un libéral communiste. J'aime créer de la richesse, donc je suis libéral, mais après, cette richesse, il faut en faire quelque chose. Aucune doctrine ne mène ma vie, je fais ce que je veux de l'argent que je gagne mais j'ai mes valeurs. J'aime pratiquer l'égalité salariale et l'égalité de traitement, de respecter les gens avec lesquels je travaille c'est aussi pour cela que j'aime le statut associatif de ma compagnie. Idéologiquement, nous ne reversons pas de dividendes à des actionnaires", explique Yann Guerrero.

Quand il a bâti CPPP, il s'est posé de nombreuses questions. Mais il a choisi. CPPP est quand même fiscalisée car la compagnie est dans un domaine commercial. Contrat de travail, TVA, impôt sur la société, charges, ici tout se paie mais tout se vit. Ainsi, tout l'argent est réinvesti dans le projet. "Je ne suis pas né riche, tôt dans ma vie j'ai décidé que je ne passerai pas mon temps à courir après l'argent. C'est une réalité. J'ai des problèmes avec l'argent, je n'aime pas ça, ça me gonfle par contre j'aime les projets et faire ce que je fais. J'aime ma vie !", confie-t-il.

Yann Guerrero (Photo Anthony Maurin).

Depuis dix ans, arborant bien souvent des chemises improbables (c'est aussi de là qu'il détient une certaine célébrité), Yann Guerrero est vu comme l'homme de l'ombre de ce que l'on appelait les Grands Jeux Romains (GJR). Comment est-il arrivé dans cette énorme machine ? Il s'occupait des décors et de la mise en scène de la pégoulade de Nîmes après avoir été un des dirigeants de la célèbre compagnie Malabar. Reconnue dans le monde entier, Malabar lui ouvre les porte de la Pégoulade qui lui ouvre celles des GJR. En parlant de Pégoulade, le fameux crocodile, c'est lui !

Savoir s'entourer

"En 2008 j'ai été appelé par la ville de Bucarest à la création d'un festival. En même temps, j'ai aussi un peu bossé avec R2B. La mairie de Nîmes a voulu récupérer la Pégoulade en régie directe, j'ai répondu à l'annonce mais je n'ai pas été pris. Finalement j'ai construit un projet complet et on s'est mis à faire ça. On avait des thématique un peu folles puis on a créé CPPP pour répondre à d'autres projets." Une thématique est proposée : on écrit alors une histoire et on fabrique des tableaux mis en scène. "Pour le théâtre de rue on raconte les histoires en utilisant le mode de la parade. J'aime le déluré, le fantastique et le démesuré. Je ne suis pas capable de faire un petit spectacle, je ne sais pas faire."

Vous l'aurez compris, Yann Guerrero aime faire ce qu'il fait et fait ce qu'il aime faire. Il ne ferme pas les portes pour autant. Sans tabous ni faux-semblants, il sait où il va. Il est aussi lucide, une qualité qui lui correspond bien même si parfois il aimerait l'être plus encore : "Je pense que je sais tout faire... mais mal ! Je sais bien faire une chose, m'entourer des bonnes personnes. Je n'ai pas de problème d'ego, j'arrive à m'entourer facilement de gens meilleurs que moi dans l'intérêt général du projet. Je mets toute mon énergie dans cet intérêt général, ce sont mes racines communistes qui parlent."

Tout feu, tout flamme, le Croco s'est taillé un franc succès Photo : Archives Philippe Gavilet de Peney/objectif Gard)

Limitée par la régie directe, l'action de CPPP pour la pégoulade irrite un tantinet Yann. Calquer de la compatibilité publique sur un projet de spectacle événementiel, dur d'y parvenir. L'administration freinait les idées qui mûrissaient. Yann et CPPP font leur dernière Pégoulade sur le Jean-Jaurès en 2016. Il était arrivé au bout du bout, il avait su motiver à nouveau 700 participants et tout le réseau associatif de la cité. Les conditions n'étaient hélas plus réunies pour donner à ce projet d'autres ambitions. "Quand je me lève le matin c'est pour faire bien, pas simplement pour toucher ma thune. On fait aussi ce métier pour le public et quand on sait qu'on ne sera pas pleinement à la hauteur de ce public..."

Se profilent peu à peu les Grands Jeux Romains. Ils existent déjà mais font d'une année sur l'autre le même spectacle. Au bout de quelques années, Éric Teyssier (qui assure avec lui le scénario de cette année) demande de thématiser le spectacle, comme les romains eux-mêmes le faisaient à l'époque. "Il a proposé en premier la Guerre de Troie, mythe fondateur des romains. Michael Couzigou, alors directeur nîmois de Culturespaces (délégataire de l'époque, NDLR), demandait des devis des festivités, et on a été choisi. Farid Hadjaz, aux festivités de la Ville, nous connaissait un peu mais Michael Couzigou cherchait aussi un régisseur, j'ai été pris. Le tournant c'est 2016 avec la bataille d'Actium et la création des deux magnifiques galères qui voguaient sur le sable de l'amphithéâtre. On ne pouvait pas faire plus gros. Tout le monde ne parlait plus que de ça, même Jean-Paul Fournier avait regretté de ne pas avoir compris plus tôt l'intérêt des GJR."

Le monde du spectacle ? Un grand CDD

Quand Éric Teyssier découvre le cheval de Troie dans un des hangars de l'école de police, créé par Yann et les siens, il est subjugué, son rêve d'enfant est exaucé. "Moi, jeune, je n'avais pas beaucoup de rêves. Disons que ça n'a pas été facile. J'ai vivoté, j'ai eu une enfance turbulente, pas très joyeuse. Viré de mon lycée à 15 ans, je me suis retrouvé dans un internat, à Crest (Drôme), ville noyeau dur du théâtre de rue." Vous avez compris la suite, de là tout débute alors même qu'il ne sait pas ce qu'est que le théâtre de rue. "Une claque ! Lors de mon premier festival à Châlons-sur-Saône, j'ai compris."

Les barbares tentaient d'assiéger le camp romain lors des derniers Grands Jeux Romains (Photo Archives Corentin Corger)

Il en a passé des nuits blanches à mesurer ses décors, créés exclusivement pour Nîmes et adaptés au centimètre près à nos arènes millénaires. Yann et CPPP participent à de nombreuses éditions des Grands Jeux Romains. Culturespaces parti, place à Edeis et aux nouveaux horizons. CPPP fait toujours partie de l'aventure. "C'est différent parce que c'est pas pareil. En effet, je ne connaissais pas cet univers, ce fut une découverte. Le milieu des reconstituteurs est spécial même si c'est du spectacle vivant. Tout cela m'étonne, je vois des gens impliqués, passionnés et je me régale avec le challenge et le développement que cela comporte, tout comme le fait de se retrouver face à 10 000 personnes. Ma première fois face au public, j'étais en jupette et j'allais ramasser le crottin d'un cheval devant un public chauffé à blanc. Un grand moment."

L'histoire se poursuit avec les Nuits de Nemaus et les deux éditions estivales proposées. "L'équipe change, le résultat n'est pas toujours à la hauteur mais je pense avoir fait le boulot. La vie dans le monde du spectacle, pour moi, c'est une succession de CDD. Rien ne dit que je ne referai pas ça !" La culture, c'est vivant. Un jour, Romain Bilowus l'appelle. L'homme est le producteur de Jean-Michel Jarre et travaille pour Edeis qui se lance dans la culture et qui émet une offre pour la délégation de service public de Nîmes. "Edeis savait que je travaillais pour les GJR de Culturespaces. Avec Éric Teyssier nous avons vu les dirigeants de Culturespaces, puis nous décidons d'accepter la proposition d'Edeis et nos propositions. Ils nous ont écoutés et ils ont gagné le marché."

Anthony Maurin

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