FAIT DU JOUR Jean-Marie : coiffeur de préfets et "influenceur" en Occitan
Ce joyeux bavard, installé avenue Feuchères de 1981 à 2013, a coiffé six préfets. Aujourd’hui retraité, il publie chaque semaine des vidéos cocasses en occitan sur Facebook. Ce "Portrait de Gardois" est tiré du numéro 41 d'Objectif Gard Le Magazine.
Il s'appelle Roussel et il s'est présenté aux élections présidentielles. Mais sa moustache bien peignée n'est apparue sur aucune affiche devant les bureaux de vote. Jean-Marie Roussel a mené campagne sur Internet, sur le réseau social Facebook. Le 3 mars, un Valéry Giscard d'Estaing plus vrai que nature constate dans une vidéo que c'est vraiment le bazar en France. Mais il a une solution. Il invite à voter pour "l'homme de Bourdic" : Jean-Marie Roussel. Le 12 mars, ce dernier est filmé, dans une élégante chemise blanche, à côté d'un miroir doré, le combiné d'un téléphone à cadran calé à l'oreille. Du bout des doigts, il feuillette un annuaire. En occitan, il annonce qu'il galère à trouver des parrainages. Il a appelé à Bordeaux et a demandé à parler à Jacques Chaban-Delmas. Pas de chance, on lui a annoncé qu'il était mort. Il a tenté Georges Frêche à Montpellier. Même réponse. Heureusement qu'il peut compter sur les maires de Bourdic et d'Aubussargues.
Cela fait pile un an que Jean-Marie Roussel, 74 ans, publie des vidéos cocasses en occitan sur Facebook. À l'époque des Jeux Olympiques de Pékin, on le voit en tenue de ski avec une médaille d'or au cou. Juste avant Noël, il est filmé à Paris sur le quai du métro, en train de chercher désespérément des gens de Bourdic. "Personne ne faisait attention. À Paris, les gens passent et te bousculent", s'amuse-t-il. À Nîmes, en revanche, Jean-Marie Roussel se fait souvent interpeller par d'anciens clients, ravis de revoir leur coiffeur. Entre 1981 et 2013, Jean-Marie Roussel a coiffé policiers, préfets, monsieur et madame Tout-le-Monde, dans un salon voisin de la gare.
Né dans une famille d'agriculteurs, Jean-Marie laisse son frère reprendre l'exploitation familiale. Lui choisit un apprentissage de coiffure à Uzès. "J'ai une vigne à Bourdic. Je vais la tailler mais au bout d'1h30, je m'ennuie", avoue ce grand bavard. À Uzès, son patron décroche le marché de l'hôpital psychiatrique. Il expédie son apprenti couper les cheveux des malades. "Il ne fallait pas de rasoirs, pas de ciseaux à bouts pointus. J'ai eu coupé des cheveux à une personne avec deux autres qui la tenaient. J'avais 15 ans et j'avais une de ces pétoches", confie- t-il. Un autre coiffeur remporte le marché. Jean-Marie respire.
Coiffeur d'officiers et de préfets
Appelé au service militaire, il y part avec ses outils de coiffure. Bonne pioche. Il devient coiffeur dans l'armée de l'air à Aix-en-Provence. "J'ai gagné des ronds à l'armée, s'amuse-t-il. Au début je coiffais les hommes du rang puis les officiers sont venus. Ils étaient ravis d'avoir un vrai coiffeur et de payer moins cher qu'en ville." On lui propose de continuer à travailler comme coiffeur civil dans l'armée dans la caserne refaite à neuf. Il décline. Son père lui finance l'achat d'un salon de coiffure au 9, avenue de Lattre-de-Tassigny, au Chemin-bas d'Avignon, à Nîmes. En 1981, il s'achète un second salon sur l'avenue Feuchères face au commissariat qui employait plus de 150 personnes.
Durant l'été 1982, Jean-Marie Roussel reçoit un appel de la secrétaire de Guy Pigouillet. Le préfet souhaite qu'on lui coupe les cheveux à la préfecture. "Je n'y étais jamais entré. Je devais ouvrir de ces billes, raconte Jean-Marie Roussel. Le préfet passait, ouvrait les portes et me montrait toutes les pièces." La coupe aura lieu dans la salle de bain. Le préfet, très grand, est obligé de s'agenouiller pour le shampooing. "C'est la première fois que j'ai vu un préfet à genoux. À la fin, il m'a dit que c'était la première et la dernière fois que je le coiffais à la préfecture. Il est ensuite venu au salon."
Jean-Marie compte sur ses doigts : "Robert Miguet, Franck Ferriez, François Leonelli, Michel Gaudin, Hugues Bousiges, Guy Figouillet... j'ai coiffé six préfets." Originaire des Cévennes, Hugues Bousiges s'est rendu à son pot de départ en retraite en 2013. "Jean-Marie Roussel est un homme très attachant et qui a su créer de nombreuses amitiés. J'éprouvais beaucoup de plaisir à traverser l'avenue Feuchères, confie l'ancien préfet aujourd'hui à la retraite à Brioude. C'était un homme très compétent professionnellement mais également très agréable dans les relations humaines." Tous deux parlaient souvent de vin. Le préfet était d'ailleurs invité à la petite cérémonie du vin primeur qu'organisait Jean-Marie et son épouse, Claudie, chaque année au salon.
Bâtonnier
"Au départ, la cave de Bourdic organisait une fête du primeur. J'en parlais aux clients mais c'était compliqué pour eux d'y aller. Alors, j'ai proposé de faire venir le primeur à Nîmes. Cela a marché du feu de Dieu", s'enthousiasme l'ancien coiffeur. Le bâtonnier Guy Laick a même reçu en 2013 un diplôme officiel attestant de sa fidélité. Il le récompensait pour dix ans de participation assidue à la cérémonie du vin primeur. Petit clin d'œil, cet avocat a demandé au préfet Bousiges de lui remettre ledit parchemin. Il appelle toujours Jean-Ma- rie Roussel trois ou quatre fois par an pour prendre de ses nouvelles : "Chaque fois, je lui demande alors "comment va l'Ehpad, Roussel ?". En fait, on est presque jumeaux. Il a quatre jours de plus que moi."
Il a gardé soigneusement le diplôme. "Ma rencontre avec Jean-Marie Roussel a été tout à fait fortuite. C'était un vendredi, je cherchais désespérément un coiffeur. J'en avais vu plusieurs qui n'avaient personne. Chaque fois, on refusait de me prendre car je n'avais pas pris rendez-vous. À 18h55, j'ai vu que la lumière était allumée dans ce salon sur Feuchères." La porte lui a été grande ouverte : "Jean-Marie est un très bon vivant. C'était un coiffeur à l'ancienne avec la faconde, loin des codes de rentabilité actuels."
"Influenceur" en occitan
Jean-Marie Roussel prend sa retraite en 2013. Peu de temps après, il perd son épouse qui travaillait au salon avec lui. Installé à Bourdic, il assure la correspondance du quotidien Midi Libre. Il sait absolument tout sur cette métropole de... 400 habitants. Mais comment le coiffeur est-il devenu "influenceur" sur les réseaux sociaux ? C'est grâce au covid. Pendant le premier confinement, coincé dans sa maison, il poste un texte sur Facebook. "J'ai reçu quantité de réponses et j'ai répondu." La dynamique est lancée. Il publie chaque jour une chronique sur Bourdic. Quand le confinement s'arrête, il est en manque. Heureusement (pour lui!), deux autres confinements suivent. Il égrènera tour à tour des chroniques sur son enfance puis des anecdotes de son salon de coiffure. Le filon s'amenuise un peu. Il faut une idée neuve. Il suit des cours d'occitan dans une association. Son enseignante lui propose de travailler sur la traduction de ses textes. Bingo. Le 30 mars 2021, il publie une vidéo en occitan.
Jean-Marie Roussel fédère une "communauté" d'une centaine de fidèles qui le suivent. C'est sa compagne, Marie-Christine, qui le filme. Il a prévu un tournage à Paris la prochaine fois qu'il rendra visite à sa fille Julie, juriste. Il y retrouvera avec bonheur son petit-fils, Gaspar, 3 ans et demi. "C'est le plus beau du monde, bien évidemment. Il parle comme un livre", fait valoir fièrement le grand-père. Il y a un seul petit détail qui le chiffonne un peu. Le petit bonhomme a un accent pointu. Il pourra toujours essayer de s'imprégner de celui de son "papé" de Bourdic en regardant ses prochaines vidéos. Même si comme son homonyme communiste Fabien Roussel il a échoué au scrutin présidentiel, Jean-Marie Roussel compte bien tourner une vidéo dans le secteur de l'Élysée.
Sabrina Ranvier
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