Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 26.02.2022 - pierre-havez - 5 min  - vu 4223 fois

AU PALAIS « Je vais vous crever, la Justice est avec moi ! »

La salle d'audience du tribunal correctionnel de Nîmes. Photo Tony Duret / Objectif Gard

Déjà condamné pour de nombreux outrages, le prévenu, coiffé d’un catogan et d’une courte barbe noire comparaît pour de nouvelles insultes et menaces envers des policiers, à proximité du commissariat de Nîmes, vers 4h30, dans la nuit du dimanche 20 au lundi 21 février 2022.

Ce soir-là, le comportement du jeune de 25 ans, en train de vociférer sur sa femme, derrière un portail, alerte une patrouille qui rentre au poste, situé dans la même rue. Et lorsque les agents interviennent, celui-ci s’énerve aussitôt. « Je sors de cinq ans de prison, je m’en fous de retourner en garde-à-vue. C’est ma femme, je fais ce que je veux !, s’excite-t-il, visiblement ivre et prêt à en découdre, les poings fermés le long du corps. Dégagez, allez faire un tour ! » Lorsque les agents tentent de l’interpeller, il résiste de plus belle et porte un coup de coude à l’un des deux gardiens de la paix en se débattant.

« Je connais Benslima et l’IGS ! »

La présidente répète la salve d’insultes et de menaces qu’il profère pendant l’incident. « Fils de pute. Heureusement qu’il y a Dupont-Moretti !, commence Béatrice Almendros, en levant les sourcils en signe de perplexité. Vous allez voir, je connais Benslima (le médecin légiste du CHU de Nîmes, Ndlr), qui va me filer 8 jours d’ITT, l’IGS (l’Inspection générale de la police nationale, Ndlr) et des avocats qui vont ruiner votre carrière ! Je vais vous crever, la Justice est avec moi ! »

La présidente interrompt sa lecture et regarde le prévenu droit dans les yeux. « Je pense que si le chef-légiste, Benslima entendait que vous suggérez qu’il est capable de faire des certificats de complaisance, il apprécierait moyennement, déclare-t-elle tranquillement. Et puisque vous dîtes que la Justice est avec vous, nous allons vous écouter et forger notre propre conviction. »

« Le flic part en cacahuète »

Le prévenu déroule sa propre version. « Quand le policier a commencé à me tabasser devant ma femme, je lui ai dit que j’allais prendre un avocat, et ça ne lui a pas plus, commence-t-il, avec un débit de mitraillette. Je suis père de famille, je travaille depuis deux ans. Je criais, oui, mais on rigolait, on ne se disputait pas. Là le flic arrive et part en cacahuète, je vous jure qu’il n’y a rien

La juge le regarde avec scepticisme. « Donc les policiers inventent cette histoire simplement pour se défouler sur vous ? », relance-t-elle. Le prévenu n’en démord pas. « J’étais en train de vivre un étranglement et son genou appuyait sur moi avec ses 80 kilos, maintient-il. C’est ce qui m’a frotté le visage au sol, j’ai cru que mon cou allait craquer, j’ai eu peur, je vous jure. »

Mais la présidente n’est pas dupe. « En fait, les policiers expliquent qu’en vous plaquant au sol, vous vous êtes éraflé vous-même sur le bitume en tournant la tête de droite à gauche pour tenter de vous relever, objecte-t-elle calmement. Ensuite, au commissariat, vous vous êtes d’abord fait passer pour un clandestin venu d’Italie, puis vous avez refusé de porter votre masque, de retirer vos chaussures, d’effectuer le test d’alcoolémie et d’entrer en cellule ! »

« On veut me faire passer pour un mauvais garçon »

Contre toute évidence, le prévenu fait preuve d’une mauvaise foi absolue. « Le PV est rempli de mensonges, ça aurait pu être vérifié. Tout ce qui est écrit, ça a été sorti du contexte pour me faire passer pour un mauvais garçon, soutient-il mordicus. Je vais pas aller en prison parce que j’ai pas mis de masque ! »

Patiente, la magistrate tente de rentrer dans son jeu. « Vous savez, les policiers rencontrent malheureusement des femmes victimes de violence tous les jours. Lorsqu’ils vous voient hurler sur madame, ils s’inquiètent, c’est normal. Qu’auraient-ils dû faire selon vous ? » Le prévenu continue à se faire passer pour la victime. « Ils auraient dû discuter avec moi. Là ils rentrent direct dans le rapport de force. On m’a donné 4 coups de poings. Direct. J’ai pas eu le temps de voir ce qui s’est passé. Puis on m’a menotté au sol. Direct. »

Sa vision semble très éloignée de la réalité. Aux enquêteurs, le jeune de 25 ans déclare ainsi être quelqu’un sans histoire qui mène une vie tranquille. « Vous avez pourtant déjà 12 condamnations, dont une pour violences conjugales », lui oppose Béatrice Almendros. Le prévenu écarte les bras. « C’est sorti du contexte ! On ne parle que du négatif, pas du positif. Depuis que je suis sorti : je me suis formé pendant 6 mois, je travaille, je m’occupe de mes enfants... » Las, la juge interrompt sa litanie. « Pourtant le juge d’application des peines demande la révocation totale de votre sursis mise à l’épreuve ! »

« Hallucination collective »

L’avocat des policiers tente à son tour de comprendre la version du prévenu. « Mais quel est l’intérêt pour ces policiers qui rentrent de leur patrouille, à 4h35, de se jeter gratuitement sur vous, et de vous rouer de coups jusqu’à, presque, vous tuer selon vos dires, puis de vous accuser de les menacer de mort ? », s’interroge Jean-François, interloqué. Le prévenu le regarde de travers. « L’enquête a été bâclée. C’est juste une histoire pour se dédouaner. C’est vraiment dommage qu’il n’y ait pas d’images de vidéosurveillance. Comme par hasard ! Sinon on aurait vu que je n'ai rien fait, à part refuser de mettre mon masque », s’entête le jeune récidiviste.

Jean-François Corral se tourne vers le tribunal. « Michel Audiard disait qu’à un certain niveau la mauvaise foi avait des vertus hallucinatoires. Croit-il vraiment à ce qu’il raconte ou les policiers ont-ils eu une hallucination collective ?, paraphrase-t-il. Je n’ose pas imaginer le ressenti des deux policiers, qui se lèvent chaque jour pour nous protéger, face à cette histoire extraordinaire de complot, dans lequel ils auraient décidé de le tabasser, devant témoin, avant de se liguer contre lui. »

Le procureur est du même avis que l’avocat de la partie civile. « On ne peut pas soutenir l’implaidable, même avec beaucoup de conviction personnelle. Il y a trop d’incohérences et d’éléments improbables. Ce que les policiers auraient fait, c’est au-delà du masochisme ! Le pire, c’est que vous allez peut-être sortir d’ici en étant convaincu que vous n’avez pas été compris. C’est terrible car cela montre que vous n’avez aucun recul. Vous vous défendez dans le vide ! », tonne Jonathan Heurguier, qui réclame contre lui 6 mois d’emprisonnement, ainsi que la révocation d’une peine de sursis de 6 mois.

L’avocat de l’obstiné prévenu tente d’amadouer le tribunal. « Tout n’est pas linéaire dans un parcours comme le sien. Il a atteint une stabilité familiale, il fait des efforts, observe Romain Fugier. Cela n’excuse pas tout, mais cela doit être pris en compte. » La famille du prévenu vocifère à son tour à l’annonce de sa condamnation à 9 mois d’emprisonnement et son retour en maison d’arrêt sous escorte pénitentiaire.

Pierre Havez

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