CÉVENNES Centrale biomasse de Gardanne : les intentions de prélèvement de Gazel Énergie peinent à convaincre

Près de 80 personnes ont assisté à la réunion publique menée par Gazel Énergie, sous l'égide du commissaire enquêteur, Daniel Béraud
- François DesmeuresMalgré une autorisation d'exploitation rayée par le Conseil d'État en novembre 2023, la centrale biomasse de Gardanne a repris sa production au 1er janvier. Ce n'est que depuis le 5 mai que se tient une enquête publique (jusqu'au 6 juin) sur une part des départements et communes concernées par l'approvisionnement en bois. Soit 17 départements des régions Provence, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes, et plus de 4 000 communes. L'enquête concerne 84 communes gardoises, des Cévennes à la Vaunage, et jusqu'à Tavel à l'est. Ce mardi soir, en réunion publique à Alès, les opposants se sont fait entendre.
La réunion promettait d'être animée. Mais peut-être pas tendue au point que l'entreprise Gazel Énergie dépêche un cerbère au regard menaçant en fond de la salle des projets d'Alès, où se tenait la réunion, et que quatre membres des forces de police observent la sortie des participants à la réunion publique en lien avec la Centrale thermique de Provence de Gardanne. L'assemblée n'était, d'ailleurs, pas uniquement composée d'opposants à la centrale biomasse portée par l'entreprise Gazel Énergie, propriété du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.
L'entreprise, Gazel Énergie, est venue présenter un nouveau dossier pour plaider sa cause environnementale, après que le Conseil d'État avait donné un an à l'exploitant, en novembre 2023, pour rendre une étude d'impact plus poussée que celle initialement fournie. L'étude aura finalement mis plus d'un an. Un délai trop long pour la ministre déléguée à l'énergie, Olga Givernet, qui, dès l'automne dernier, et alors que la centrale était à l'arrêt dans l'attente du rendu de l'étude, fêtait le nouveau contrat d'achat de l'électricité produite par la Centrale biomasse en annonçant sa réouverture au 1er janvier. Au passage, face à la demande de Gazel Énergie de renégocier le contrat d'achat en lien avec la hausse du prix du bois, l'État s'est engagé sur 800 millions d'euros sur huit ans.
4 708 communes potentiellement concernées par les prélèvements sur 17 départements
"Le Conseil d'État a estimé qu'il convenait de compléter l'étude avec les impacts indirects", traduit Gilles Martinez, principalement le bilan carbone et l'incidence du prélèvement du bois sur les zones Natura 2000. Une pratique que l'entreprise promet, désormais, d'éviter. Le périmètre de l'étude a été limité à 16 départements et 324 communes. Mais Gilles Martinez l'a précisé par la suite : le prélèvement de bois ne se limitera pas à ces seules communes, la visibilité sur les lieux exploitables ne dépassant pas dix ans. Ce sont donc 4 708 communes qui sont concernées par les prélèvements sur 17 départements.
"Notre méthode, c'est de quantifier le prévisionnel de récolte sur dix ans, et de le ramener au taux de boisement de la commune, argumente Gilles Martinez. Notre contrat avec l'État porte sur 600 GWh de production annuelle, avec 100% de biomasse certifiée durable." Et ce, même si du charbon doit continuer à brûler quelque temps dans la centrale. Le nouveau contrat prévoit 4 000 heures de production électrique, soit environ 5 mois, pendant les demandes importantes en électricité des mois d'hiver.
450 000 tonnes de bois par an
Il faut donc 450 000 tonnes de bois pour faire tourner la centrale une année. Le nouveau plan d'approvisionnement prévoit 240 000 tonnes de bois local certifié, prélevés dans les 17 départements concernés. Et 150 000 tonnes de plaquettes forestières internationales, "principalement d'Italie et d'Espagne, à 70%", plaidera ensuite la directrice de la communication de Gazel Énergie, Camille Jaffrelo, "et 30% du Brésil". 60 000 tonnes de bois recyclés doivent compléter l'approvisionnement de la centrale, selon la présentation faite par l'entreprise. "Avant, 56% du portefeuille de bois était assuré par l'international", assure Gilles Martinez, quand la centrale devait avaler 825 000 tonnes de bois par an depuis sa reconversion, ce qui n'a jamais été réellement le cas. Auprès de l'assemblée, le bois en provenance du Brésil a du mal à passer...
Selon Gazel Énergie, les 240 000 tonnes prélevés dans le sud de la France "représentent 5% de la part d'approvisionnement par rapport à la disponibilité en bois forestier local. On ne prend pas de la bûche, pas du granulé, mais plutôt du résineux et du marché de broyat, poursuit Gilles Martinez. Sur les 17 départements concernés, six sont parmi les dix plus boisés de France." Var, Alpes-Maritimes et Alpes-de-Haute-Provence sont 2e, 3e et 4e, avec près de 70% de surfaces boisées. Ardèche, Pyrénées-Orientales et Drôme sont 7e, 8e et 9e, et en comptent plus de 50%. Le Gard dépasse légèrement les 46%.
"Sur ce périmètre, les forêts ont augmenté leur surface de 30% dans les trente dernières années"
Gilles Martinez, responsable Approvisionnement biomasse et durabilité chez Gazel Énergie
"Sur ce périmètre, les forêts ont augmenté leur surface de 30% dans les trente dernières années", veut rassurer Gilles Martinez. Qui avance l'empreinte carbone annuelle d'une production au charbon (1 250 tonnes) pour la comparer à celle du gaz (420 tonnes) et de la biomasse (257 tonnes). Pour en déduire une réduction de 80% des émissions de CO2. Gilles Martinez finit en promettant un approvisionnement responsable, une traçabilité du bois et un soutien à la certification PEFC (label de gestion durable des forêts).
"En admettant que l'enquête publique vous donne le droit de faire, lance Jacqueline Balvet, d'ATTAC, pour intier le débat, il reste des questions sur l'accessibilité de la ressource." En opposante, la mlilitante évoque l'étroitesse des routes cévenoles, et parfois leur mauvais état, et se demande qui assurera "la restauration des chemins" ? Gilles Martinez se veut rassurant, évoque le "schéma régional de gestion sylvicole" des propriétaires privés de la forêt. "On ne peut pas récolter plus que l'accroissement logique de la forêt", développe Gilles Martinez. Quant aux transports, ils ont lieu, selon le cadre de Gazel Énergie, "sur les itinéraires dérogatoires de bois rond". "On voit que vous ne connaissez pas les forêts des Cévennes", a commenté Jacqueline Balvet, en référence à leur difficulté d'accès.
Pour l'ancien agent de l'Office national des forêts, Christian Sunt, "j'ai l'impression que vous nous avez un peu enfumé : vous ne vous arrêterez pas aux forêts qui ont un plan de gestion". Il dénonce "des coupes à blanc, sans aucun tri". Et poursuit sur l'emplacement de la centrale, "qui n'a aucune raison d'être là, si ce n'est de maintenir l'emploi à coups de subvention". Il dénonce aussi un "rendement énergétique très mauvais, 30%, alors que ma chaudière à bois rend 80%". "La suppression d'emploi, on sait ce que c'est", répond sèchement répondu Camille Jaffrelo. On se bat pour protéger nos emplois", a-t-elle poursuivi, usant de la prise de position de la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, venue soutenir les salariés en 2023, pour appuyer son discours. Quand Gilles Martinez, lui, a justifié l'emplacement de la centrale par sa proximité avec des départements boisés. Et rassuré : "S'il n'y a pas de plan de gestion dans la forêt privée, on a exigé qu'elle soit certifiée PEFC".
"La progression de la forêt dans les années futures ne suit pas la courbe que vous avez présentée"
Béatrice Ladrange, élue du Printemps alésien au conseil municipal
Il a également souhaité différencier le rendement thermique, de 90%, avec celui énergétique, de 27%. Pour autant, ces 90% de chaleur produite n'ont pas trouvé de débouché. "Nous avons essayé, plaide Camille Jaffrelo. Mais le réseau de chaleur d'Aix-en-Provence n'en veut pas." Élue en mairie d'Alès, Béatrice Ladrange a ensuite contesté les chiffres avancés par la présentation de Gazel Énergie. Des chiffres "d'un autre temps", pour l'élue du Printemps alésien, plaidant pour d'autres énergies "bien plus décarbonnées", comme le solaire ou l'éolien. Elle a aussi contesté "la progression de la forêt dans les années futures, qui ne suit pas la courbe que vous avez présentée" en raison du changement climatique et du dépérissement de certaines essences. Avant de reprendre sur l'emploi : "Les 80 à 90 personnes qui travaillent à Gardanne pourraient faire leur reconversion dans les énergies renouvelables".
"Nous sommes sylviculteurs, depuis trois générations, en Cévennes, a voulu répondre Yann Philipp, de la société Environnement bois énergie, aux Salles-du-Gardon, qui fait partie des entreprises qui approvisionnenent Gardanne. On produit du bois aussi pour les scieries locales, la papèterie de Tarascon ou du bois énergie. Contrairement à ce qui a été dit, je n'ai pas encore vu de traces de forêts balaffrées. C'est un procès qu'on refuse. On travaille même en zone coeur du Parc national des Cévennes, on se conforme aux préconisations. On a une approche de la forêt pour préserver la ressource."
"Le problème de fond, c'est qu'on ne vous fait pas confiance", lance un participant du fond de la salle, qui craint que la quête du profit n'envoie finalement valser les bonnes intentions affichées de l'entreprise. Et les montants remontent : "800 millions d'euros donnés à Kretinsky sur huit ans, s'insurge un participant, c'est le rachat d'électricité le plus cher qu'on n'ait jamais vu !" "Vous avez un intérêt écologique, mais sans doute plus économique", enchaîne un autre, qui oublie que Gazel Énergie n'est pas venu vendre de la philanthropie. "Le profil type de nos fournisseurs, ce sont des TPE et PME", tente de rassurer une dernière fois Gilles Martinez.
Si vous voulez réagir à l'enquête publique, ou connaître les permanences des commissiares enquêteurs, c'est par ici. À Alès, les deux dernières permances du commissaire enquêteur ont lieu à Mairie Prim', les après-midi des 28 mai et 6 juin, entre 13h30 et 16h30.